« Iyad était la fleur de la famille. Ils l’ont fauché bien trop tôt. »
La famille d’Iyad al-Hallaq, le Palestinien souffrant d’autisme et abattu par la police, décrit un homme qui s’était mis récemment à cuisiner et qui était terrifié par les soldats israéliens.
« Ils ont ravi la joie de ma mère et ont laissé une plaie qui ne se refermera pas. »
Par Suha Arraf, 3 juin 2020
Iyad al-Hallaq « retenait son souffle » en attendant de retourner à l’école, explique sa sœur, Diana al-Hallaq. Durant l’épidémie de coronavirus, l’école Elwyn pour enfants et adultes aux besoins spécifiques et fréquentée par Iyad, était restée fermée.
Iyad, un Palestinien de 32 ans souffrant d’autisme, pleurait parce qu’il voulait étudier et sa mère devait chaque fois lui expliquer que l’école était fermée. Quand elle ne pouvait le convaincre, elle l’emmenait jusqu’à deux fois de suite pour bien lui montrer, explique Diana.
« Notre mère a compris qu’il était différent [de ce qu’il était, plus jeune] », raconte Diana.
« Dès le moment où nous avons compris qu’il était autiste, ma mère l’a aimé plus encore. Elle croit en Dieu et elle voyait en Iyad un ange qu’on lui avait envoyé du ciel pour nous protéger, nous et elle. »
Quand l’école a rouvert ses portes, Iyad s’est senti « exalté », poursuit Diana.
« Ils enseignent des tas de choses, là : comment cuisiner, comment prendre soin de soi-même, comment prendre soin des plantes et de l’environnement. Il revenait à la maison et il voulait aider ma mère à cuisiner. Elle était si heureuse de le voir heureux. »
« Iyad était la fleur de la famille. Ils l’ont fauché bien trop tôt. Il était notre joie, une âme pure. »
Samedi matin, Iyad al-Hallaq a quitté la maison, dans le quartier de Wadi Joz à Jérusalem-Est, pour se rendre à l’école, comme il l’avait déjà fait de nombreuses fois auparavant.
Lorsqu’il est passé à proximité d’un groupe d’agents de la Police israélienne des frontières, ils l’ont soupçonné de porter une arme et lui ont ordonné de s’arrêter.
Au lieu de cela, Iyad s’est enfui, craignant pour sa vie. Les agents l’ont pourchassé et ont ouvert le feu. Ā ce qu’il paraît, ils l’ont trouvé gisant blessé par terre, dans un local où l’on range les poubelles, accompagné d’un enseignant d’Elwyn qui a discuté avec les militaires. Selon les rapports, l’un des agents a ouvert le feu à bout portant, tuant ainsi Iyad al-Hallaq.
Al-Hallaq ne se rendait seul à l’école que depuis ces toutes dernières années.
« Sa mère était trop effrayée pour le laisser y aller seul. Il nous a fallu longtemps pour la convaincre »,
dit Sami, le mari de Diana.
« Il en a résulté qu’il a été abattu sur le chemin de l’école. Je n’imagine absolument pas comment ma belle-mère va pouvoir continuer sans lui. Il est son âme, sa vie, la lumière de ses yeux ! »
Pendant plus de deux ans, explique Diana, Iyad al-Hallaq a été accompagné par une escorte qui l’emmenait chaque jour jusqu’à l’école.
L’escorte lui expliquait comment emprunter les trottoirs, comment s’arrêter à un passage pour piétons, comment traverser la rue. Elle l’avait même emmené au bureau de police local et l’avait présenté aux agents sur place.
« C’était une pratique habituelle », fait remarquer Diana.
« C’est comme ça qu’ils faisaient à l’école depuis qu’il y avait eu un incident avec un autre enfant, au cours duquel un élève avait été abattu par les soldats après qu’on lui avait demandé de s’arrêter mais qu’il ne l’avait pas fait. Il n’était pas mort mais, depuis, l’école s’assurait que la police reconnaisse les enfants. Iyad avait très peur des soldats et de la police et, quand il les voyait, il se repliait toujours sur lui-même et se mettait à s’enfuir. Dans notre secteur, il y a des tas de soldats et de policiers. »
Même alors, leur mère était trop inquiète pour le laisser aller à l’école tout seul, et elle l’accompagnait jusqu’à l’école et allait le reprendre chaque jour, déclare Diana.
« Ce n’est que lorsqu’elle a vu qu’il savait comment s’y prendre de lui-même qu’elle l’a laissé aller tout seul. »
« Il était l’amour de notre mère, toute sa vie », se lamente Diana.
« Elle lui tenait la main comme s’il était un bébé, et il l’accompagnait au marché ou à la mosquée ou au magasin de vêtements. Il était comme son ombre. Elle était inquiète pour lui et craignait que d’autres enfants ne l’ennuient ou ne lui fassent du mal. »
« Il n’était pas que mon frère – il était comme mon fils. Tout ce que j’achetais pour mes enfants, je l’achetais pour lui aussi. »
« Je ne puis m’empêcher de pleurer en pensant à lui et je ne sais pas ce que ma mère va faire sans lui », dit Diana.
« Ils restaient tous deux assis, des heures entières dans sa chambre à lui, chaque jour, jouant et mangeant et riant ensemble. Ils le lui ont enlevé. Ils lui ont ravi sa joie et l’ont laissée avec un grand chagrin et le cœur brisé. Ils l’ont laissée avec une plaie qui ne se refermera jamais jusqu’au jour de sa mort. »
Publié le 3 juin 2020 sur +972 Magazine
Traduction : Jean-Marie Flémal
Traduction : Jean-Marie Flémal
Suha Arraf est réalisatrice, scénariste et productrice. Elle écrit sur la société arabe, sur la culture palestinienne et sur le féminisme
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Vidéo ci-dessous : une manifestation à Haifa contre le meurtre d’Iyad. Vidéo : Maria Zreik / Activestills
https://www.facebook.com/Activestills/videos/543055753243415/?t=27