De la défense du Sud-Liban au siège de Beyrouth

 

Au cours des premières années 1970, les raids successifs d’Israël au sud-Liban n’étaient pas parvenus à anéantir l’OLP.

Par conséquent, Israël reconfigura sa stratégie à la suite du déclenchement de la guerre civile libanaise, en 1975, dans l’intention de manipuler les contradictions sectaires locales.

Le nouvel objectif visait à étendre le contrôle indirect des Israéliens sur les villages du sud-Liban, où vivait une population à majorité maronite, soit via un contrôle direct, soit en intimidant la population.

En octobre 1976, ces villages avaient effectivement été séparés de leur environnement local et leurs relations avec les villes et villages avoisinants peuplés de gens d’autres religions ou sectes, de même qu’avec le Mouvement national libanais (MNL) et les bases des partisans palestiniens, avaient pour ainsi dire disparu.

À partir d’une série de milices locales naguère dispersées, les autorités israéliennes avaient créé une force unifiée à leur solde et l’avaient placée sous le commandement de Sa’ad Haddad, un ancien officier de l’armée libanaise. Ce fut le noyau d’où allait émerger l’Armée du Liban Sud (ALS).

Le 14 mars 1978, les forces israéliennes lancèrent une invasion terrestre, occupant une bande de territoire du sud-Liban s’étendant jusqu’au fleuve Litani. C’est ce qu’on allait appeler la guerre des Huit Jours.

La Brigade estudiantine du Fatah fut l’une des unités palestiniennes qui défendit la zone et ses membres ont décrit comment les forces palestiniennes allèrent de l’avant plutôt que de se replier vers l’arrière, livrant d’intenses combats dans des villages frontaliers comme Maroun al-Ras et Bint Jbeil.

La déclaration officielle du président de l’OLP à propos de l’invasion israélienne illustre la réponse politique palestinienne à cette crise, réponse combinant la résistance armée sur le terrain et la gestion des pressions diplomatiques internationales.

L’offensive israélienne fut dévastatrice et se traduisit par quelque 2 000 tués (selon une estimation) et le déplacement de plus de 250 000 civils.

À ce moment, le Conseil de sécurité de l’ONU fit en sorte d’éviter toute destruction supplémentaire, via sa Résolution 425, qui enjoignait à Israël de

« cesser immédiatement son action militaire contre l’intégrité territoriale libanaise et de retirer dès lors ses forces de la totalité du territoire libanais ».

L’ONU déploya également des troupes (la FINUL) pour superviser le retrait. Israël n’appliqua que partiellement cette résolution et maintint une présence dans le Sud-Liban.

Néanmoins, la quasi-totalité du Sud était désormais libéré de son contrôle direct et l’OLP avait résisté à l’invasion en gardant toujours intacte son importante série de structures nationales et civiles palestiniennes.

Toutefois, la destruction de ces institutions nationales demeurait le premier objectif des décideurs politiques israéliens.

L’existence de ces institutions donnait au peuple palestinien un poids concret sur les plans militaire et politique ; elles offraient un locus organisationnel et une base de mobilisation des plus nécessaires, tout en procurant un foyer au discours révolutionnaire si essentiel pour mobiliser les énergies nationales et internationales au profit de la cause palestinienne.

Les slogans et images du Calendrier du Fatah de 1977 reflètent une réponse claire aux offensives de la Phalange et d’Israël deux ans après le début de la guerre civile libanaise.

La Journée de la Terre

La Journée de la Terre

Cela illustre aussi la façon dont des événements nationaux, y compris ceux qui se déroulaient dans la Palestine historique, étaient soutenus par les institutions de l’OLP et incorporés dans les calendriers de ses parties constituantes.

L’événement le plus important de tous était la Journée de la Terre, très vite internationalisée en tant qu’anniversaire commémorant la résistance en Galilée contre les expropriations par Israël de terres palestiniennes. Elle avait eu lieu le 30 mars 1976.

La prochaine lecture, un discours de 1975 par la célèbre avocate de la défense des terres palestiniennes en 1948, Hanna Naqara, nous fait comprendre que les communautés palestiniennes ont développé une conscience détaillée (particulièrement dans les derniers jours précédant les événements de la Journée de la Terre) des plans d’expropriation israéliens en Galilée et ailleurs.

Une mobilisation extensive contre ces plans eut lieu tout au long de l’année 1975 et au début de 1976.

Dès que les forces israéliennes se mirent à organiser une nouvelle série de confiscations de terres, des manifestations massives apparurent, suite à l’appel en faveur d’une journée nationale d’action.

Un couvre-feu militaire fut imposé aux villages galiléens d’Arrabeh, Sakhnin, Deir Hannah, Tara’an, ‘Tamra et Caboul.

Les dirigeants du Parti communiste, dont le maire de Nazareth, Toufiq Zayad, jouèrent un rôle important en initiant l’appel, qui fut appuyé par des figures représentant les principales institutions palestiniennes, tel le révérend Shehadeh Shehadeh, de l’Église épiscopale évangélique.

Le présent article s’appuie sur une interview du révérend Shehadeh à propos de la décision de mobiliser.

L’armée israélienne riposta avec brutalité, tuant six protestataires non armés et en blessant des douzaines d’autres. Presque aussitôt, des manifestations surgirent partout où vivaient des Palestiniens : en Cisjordanie, à Gaza, au Liban, en Syrie et dans d’autres pays arabes.

C’était la première fois depuis 1948 que tous les groupements majeurs du peuple palestinien mobilisaient en même temps. Le caractère historique de l’événement fut célébré dans de nombreux poèmes et chansons, y compris le fameux « Kirmalak Ya Yawm al-Ard » d’Abu Arab.

En raison de l’intensification de la lutte palestinienne, il y eut une conscientisation accrue de l’imminence d’une invasion israélienne à grande échelle du Liban visant à détruire l’OLP.

Dès 1981, des publications palestiniennes discutaient cette possibilité en long et en large, comme le montrent ces extraits d’une interview du général de brigade Sa’ad Sayel, le commandant des forces révolutionnaires palestiniennes.

Des mesures pratiques furent prises pour se préparer à cette possibilité et un état de mobilisation générale fut ordonné.

Dans les zones où l’OLP et le MNL étaient présents, on proposa aux jeunes hommes et femmes un entraînement militaire de base à l’échelle de masse. Les structures de la société civile, comme les syndicats et les associations populaires, furent également placées en alerte générale et se préparèrent à la possibilité d’une guerre.

De la défense du sud-Liban au siège de Beyrouth

Le 6 juin 1982, l’armée israélienne lança son invasion, avec plus de 78.000 soldats et un arsenal des plus sophistiqués d’armes aériennes, terrestres et navales principalement fournies par les États-Unis.

Le principal objectif d’un tel déploiement de forces pour affronter les quelque 14 000 combattants de l’OLP était d’anéantir totalement la présence palestinienne au Liban et d’éradiquer les futures activités de la lutte de libération dans les pays entourant la Palestine historique. Un autre objectif était d’installer un gouvernement pro-israélien dans la capitale Beyrouth.

Sur le terrain militaire, les unités israéliennes parvinrent à envahir le sud-Liban assez rapidement, recourant à une série d’atterrissages simultanés le long de la côte, lesquels furent précédés ou accompagnés d’intenses bombardements aériens.

Les lignes de communication furent coupées entre le centre des opérations à Beyrouth et les unités sur la ligne de front ailleurs, ce qui provoqua un repli des forces palestiniennes.

Les combattants s’adaptèrent bientôt au choc initial, et certains opérèrent derrière les lignes israéliennes au cours d’opérations « hit and run » (frapper et décrocher), comme on peut le lire dans le témoignage d’un chef militaire local du FPLP du district de Tyr.

D’autres livrèrent des combats dans des zones moins peuplées, et l’une des plus célèbres de ces batailles, celle de Shuqeif Castle (Beaufort), est commentée dans une interview du chef de la brigade des Étudiants du Fatah, Mouin al-Taher.

De lourds combats eurent lieu à travers le pays et les Forces aériennes syriennes subirent des pertes au-dessus de la vallée de la Bekaa. L’armée syrienne s’en tira mieux sur terre, défendant avec efficacité l’autoroute Beyrouth-Damas, sa principale voie d’approvisionnement, au cours des batailles d’Ayn Zahalta et de Sultan Yaqoub. Alors que la participation syrienne fut remarquable dans quelques zones, la majorité des combats furent livrés sous la direction d’un commandement conjoint représentant les forces palestiniennes et celles du Mouvement national libanais.

Le compte rendu qui suit est celui de l’expérience de Ziad Saab, un combattant du Parti communiste libanais dans les guerres menées dans les zones montagnardes stratégiques de la côte libanaise.

Le plus large site de résistance fut Beyrouth. À partir du 13 juin, la capitale fut soumise à deux mois d’un siège qui se termina après le retrait des forces de l’OLP, qui débuta le 21 août.

L’OLP et les forces nationales libanaises gardèrent le contrôle de la ville, grâce à l’Armée de libération palestinienne, tous les groupes palestiniens majeurs et les divers partis du Mouvement national libanais qui coordonnèrent leurs actions, instaurant ainsi un commandement supérieur commun et un quartier général des opérations.

Pendant le siège, les Israéliens tentèrent à plusieurs reprises d’assassiner des dirigeants palestiniens, et tout particulièrement Yasser Arafat, par des bombardements aériens.

Arafat se déplaçait sans cesse dans Beyrouth dans un effort d’encourager la détermination, comme l’illustre un extrait de la vidéo d’une de ses tournées dans Beyrouth en état de siège.

Les forces israéliennes détruisirent plus de cinq cents bâtiments importants, au cours du siège, par des bombardements intensifs et l’usage de bombes à fragmentation.

Il en résulta de lourdes pertes, surtout civiles, et on estime que plus de 20 000 Libanais et Palestiniens perdirent la vie et qu’il y eut plus de 30 000 blessés.

Les violations par Israël des lois internationales sont rapportées dans notre source suivante, le rapport officiel de la Commission internationale instaurée sous la direction du célèbre juriste Seán MacBride, l’un des auteurs de la Déclaration universelle des droits de l’homme, ancien secrétaire général adjoint et président de l’Assemblée générale des Nations unies.

Vu la sévérité du siège, une question se posa immédiatement : Comment les forces de l’OLP survécurent-elles pendant deux mois et, qui plus est, en demeurant pratiquement intactes ?

Si l’on tient compte du grand déséquilibre des forces, une explication militaire à elle seule ne suffit pas à éclairer la chose.

Au lieu de cela, il convient de noter quatre facteurs importants, pour apprécier la capacité de résistance révolutionnaire : la profondeur et l’étendue des structures civiques palestiniennes ; l’existence de mécanismes efficaces d’absorption des chocs permettant le maintien du moral ; le fonctionnement de puissants réseaux internationaux de solidarité anticoloniale ; et, enfin, une forte conscience anticoloniale dans les rangs des révolutionnaires.

Les structures civiques palestiniennes avaient été établies au Liban avec l’arrivée de la révolution et atteignirent le point culminant de leur organisation et diffusion en 1982.

Les organisations populaires opérant au Liban au cours des treize années précédentes possédaient une très grande expérience pour répondre aux nécessités urgentes.

Lors de la bataille de 1982, les médecins et les équipes médicales de la Société du Croissant-Rouge palestinien (PRCS) furent à même d’étendre au maximum leurs ressources, grâce aux leçons des urgences précédentes.

L’Union générale des femmes palestiniennes assuma la responsabilité de distribuer des rations et fit en sorte qu’on prît soin des orphelins de la révolution. Comme on peut le voir ici, les nécessités de base, telle la fourniture de pain, étaient assurées avec efficacité.

Toute une série d’autres organisations assumèrent des rôles qui permirent la poursuite de la vie à Beyrouth, en dépit de huit semaines de siège.

Elles s’appuyaient sur le talentueux savoir-faire des Palestiniens et des Libanais dans la ville, de même que sur les contributions des Palestiniens vivant à l’étranger.

Par exemple, l’Union générale des étudiants palestiniens (GUPS) appela à la mobilisation totale de ses membres dans le monde entier.

L’effort de mobilisation porta grandement ses fruits et des centaines d’étudiants universitaires en provenance de l’Europe, des Amériques et d’ailleurs s’arrangèrent pour entrer au Liban par la Syrie, et ce, malgré les violents bombardements.

Tout aussi importante pour préserver cette résistance, il y eut la force du moral. Malgré le coup dur initial du retrait dans le Sud, les structures de la révolution retrouvèrent toute leur combativité.

Cela se fit de diverses façons, en tirant une fois de plus parti de l’existence d’un large réservoir de créativité révolutionnaire à Beyrouth.

Par exemple, des écrivains et intellectuels palestiniens et arabes organisèrent spontanément et très rapidement un quotidien spécial baptisé « Al-Ma’araka » (La Bataille), qui fut largement diffusé.

Plus accessibles et plus importantes encore au niveau populaire, il y eut les émissions des stations de radio du Mouvement national libanais, telle « La Voix du Liban arabe », de Murabitoon, qu’on pouvait entendre à chaque coin de rue et qui passait des chants patriotiques de Marcel Khalife combinant les mélodies du chanteur et compositeur libanais et les paroles du poète palestinien Mahmoud Darwish.

Nombre de nouvelles chansons furent produites dans le contexte du siège. Par exemple, la Voix de la Révolution palestinienne fit des enregistrements écrits par Zain al-Abideen Fouad, et joués par son compatriote égyptien Adli Fakhri.

Tout aussi importante pour la résistance palestinienne en 1982 fut l’ampleur de la solidarité internationale.

Parmi des centaines d’initiatives, des brigades de combattants internationaux se constituèrent rapidement et plusieurs milliers de volontaires arrivèrent du Bangladesh, du Yémen, de l’Iran, de l’Algérie, du Salvador et de bien d’autres pays encore.

Notre source suivante, le poème « Un Algérien du Château Beaufort », fut publiée le 8 juin en tant qu’ode à l’un de ces combattants.

Outre des volontaires militaires, d’autres partisans vinrent, dont des médecins qui jouèrent un rôle particulièrement important.

Le plus connu fut Chris Giannou, un chirurgien de guerre gréco-canadien (futur directeur de l’équipe chirurgicale d’urgence du CICR) qui avait appris l’arabe en Algérie et donc le compte rendu en tant que témoin oculaire est compris ici.

Des personnalités anticoloniales payèrent leur tribut à la révolution palestinienne en dépit du siège. Il y eut la délégation cubaine, entre autres, qui visita Beyrouth au plus fort du siège afin de témoigner sa solidarité. Loin de ces lignes de front, dans les salles des Nations unies, de multiples résolutions de l’Assemblée générale et du Conseil de sécurité furent adoptées, condamnant l’invasion israélienne.

Fait d’une importance capitale, Beyrouth résista au siège en raison d’une forte conscience anticoloniale qui prévalut dans toute la ville et sa défense fut organisée par la population dans l’ensemble et par des cadres expérimentés.

Cette sensibilité fut retranscrite par l’auteur jordanien Amjad Nasser dans ses journaux du siège.

En dépit du haut élevé de détermination et des pertes croissantes du côté de l’armée d’invasion israélienne (657 tués et 3 887 blessés), le nombre élevé de civils libanais tués suite aux bombardements aériens massifs signifiait que la présence révolutionnaire palestinienne ne pouvait être maintenue.

Beyrouth n’était pas une ville palestinienne et il fut bientôt évident que rester allait se solder par des pertes civiles plus importantes encore.

En l’absence de toute intervention régionale à grande échelle pour protéger le pays, la destruction massive de Beyrouth par Israël était destinée à se poursuivre.

Les dirigeants palestiniens considéraient de plus en plus que la seule manière d’empêcher plus de morts et de destructions était d’en arriver à une formule acceptable pour le départ des forces palestiniennes.

Les facteurs complexes qui informèrent cette décision controversée sont discutés en détail dans une interview de George Hawi, à l’époque secrétaire général du Parti communiste libanais.

Le retrait des forces palestiniennes de la ville débuta à la fin du mois d’août et l’OLP réinstalla ses combattants dans plusieurs pays arabes, comme l’Algérie, la Syrie et le Yémen.

Comme nous le montre la vidéo du départ, ce fut un moment poignant pour le peuple palestinien, avec les cadres qui partaient et marquaient ainsi les derniers instants du Liban en tant que principale terre d’acueil de la révolution palestinienne.

Comme les forces de la révolution s’en étaient allées en emmenant leurs armes, leur départ annonça une terrible tragédie.

L’accord mis sur pied avec l’envoyé américain Philip Habib reposait sur la condition que les civils palestiniens réfugiés (et vivant au Liban depuis la Nakba de 1948) verraient leur sécurité assurée, particulièrement du fait que les combattants palestiniens n’étaient plus là pour les protéger des militaires israéliens et des milices fascistes de la Phalange.

Le départ des forces palestiniennes fut presque aussitôt suivi du massacre de plusieurs milliers de civils palestiniens dans les camps de Sabra et Chatila, à Beyrouth, lorsque les forces israéliennes encerclèrent les camps et permirent aux forces fascistes d’y pénétrer.

L’écrivain français Jean Genet, à l’époque à Beyrouth, rédigea un compte rendu des suites immédiates du massacre.

Sa vision de ce qui s’était passé à Beyrouth s’entremêlait à l’histoire de la révolution palestinienne même. Il avait déjà écrit sur la révolution lors de ses phases précédentes en Jordanie et, ici, il décrivait ce qu’il définissait comme sa qualité essentielle, l’extrême beauté de la liberté.

Sources



Karma Nabulsi est chargée de cours en politique au collège St Edmund Hall de l’université d’Oxford.
Avec son équipe elle a réalisé un cours en ligne sur la révolution palestinienne.

Le cours est disponible sur : The Palestinian Revolution

Le texte ci-dessus est le huitième chapitre de la partie
Enseigner la révolution

Traduction : Jean-Marie Flémal

Mise en page + quelques photos et liens supplémentaires : la rédaction de ce site

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