Rêver de la révolution : Réseaux clandestins et associations publiques, 1951-1967

Les contributions palestiniennes aux efforts révolutionnaires dans le monde arabe coïncidèrent avec la formation de mouvements et de groupes qui s’occupaient spécifiquement de la cause palestinienne. Parmi les réseaux les plus actifs figuraient les syndicats et sociétés d’étudiants au Caire, à Damas et à Beyrouth.

Dans les deux premiers comptes rendus, Salim al-Za’nun (Abu al-Adib) et Salah Khalaf (Abu Iyad) décrivent leur engagement au début du travail d’organisation des étudiants au Caire.

Ces récits permettent de comprendre le processus de mise sur pied d’une direction tel qu’il avait lieu à l’époque.

L’absence d’autorités palestiniennes réelles signifiait que les étudiants n’avaient guère d’autre choix que d’assumer un degré considérable d’initiative. Cela leur permettait aussi d’opérer librement sans la moindre contrainte venue d’en haut.

En Égypte, par exemple, les étudiants endossaient des responsabilités et opéraient dans les campus, tant au niveau populaire qu’au niveau officiel, tout en s’engageant dans l’activisme au sein même de leurs universités.

Ils contribuaient également à accroître la conscience générale autour de la cause palestinienne dans le pays et représentaient les revendications des Palestiniens aux échelons les plus hauts du gouvernement égyptien, avec lequel il leur arrivait aussi d’avoir des heurts.

En dehors des frontières de l’Égypte, ils faisaient une promotion extensive au sein du mouvement estudiantin international.

Suite à ce travail sur diverses scènes, les activistes estudiantins acquirent une large panoplie de compétences politiques et d’expériences qui les armèrent pour collaborer avec le monde extérieur.

Pas moins importante fut la dynamique interne qui prit forme alors.

Outre le fait de souscrire à l’une ou l’autre des idéologies proposées à l’époque, bien des étudiants étaient doublement actifs tant dans des partis et mouvements régionaux que dans leurs syndicats estudiantins.

Ce type de travail organisationnel a toujours débouché sur un certain degré de rivalité, laquelle reflétait une diversité d’affiliations, d’opinions et de convictions ainsi que des sensibilités subjectives et des incompatibilités personnelles.

Pourtant, il nécessitait aussi le développement de mécanismes solides pour le travail ordinaire : les élections estudiantines étaient toujours des événements chauds, reflétant la rivalité entre partis (rivalité impliquant la Fraternité musulmane, le Ba’ath, le Mouvement des nationalistes arabes, les communistes et d’autres groupes encore), et elles donnaient souvent lieu (comme on peut le voir dans les mémoires d’Abu Iyad) à des alliances entre étudiants appartenant à divers courants politiques, de même qu’avec des « indépendants » ou avec des étudiants qui n’étaient affiliés nulle part. Ces alliances allaient s’avérer d’une grande importance pour le développement des futurs réseaux clandestins.

Pas moins importants furent les liens personnels, durant cette période. Un nombre substantiel de principaux dirigeants du Fatah et du Front populaire de libération de la Palestine (qui allaient devenir les deux plus grands partis révolutionnaires palestiniens à la fin des années 1960 et dans les années 1970) ont initialement émergé des réseaux estudiantins opérant au Caire et à Beyrouth.

Une étude superficielle des noms cités dans les mémoires illustre comment ce dut le cas pour le Fatah, et on peut constater la même chose pour les fondateurs du FPLP mentionnés dans les mémoires de George Habash.

Outre le fait qu’elle représenta un creuset de talents révolutionnaires individuels, la première génération des syndicats estudiantins palestiniens posa les fondations de la consolidation institutionnelle palestinienne.

Ces syndicats furent les noyaux à partir desquels se constitua, en 1959, l’Union générale des Étudiants palestiniens (GUPS).

Ce fut le premier syndicat général palestinien à être créé, et cette expérience estudiantine fut répétée plus tard par les travailleurs et les femmes de Palestine.

L’instauration de ces deux derniers syndicats est décrite dans les mémoires de Husni al-Khuffash et dans une interview d’Issam ‘Abd al-Hadi.

Outre les syndicats, des douzaines de réseaux secrets firent leur apparition dans les années 1950 et se multiplièrent rapidement au début des années 1960.

Un exemple intéressant fut les Arabes de Palestine, un très petit groupe opérant à Damas.

Formé par de jeunes étudiants inspirés par les carbonari italiens, il constitua l’alma mater politique de plusieurs cadres palestiniens éminents.

Son histoire est racontée de façon évocatrice par l’un de ses membres, Faisal al-Hurani.

L’un des éléments les plus fascinants de ce récit réside dans la tentative secrète, de la part des jeunes de ce groupe, de s’entraîner à la lutte armée.

En dépit de ses résultats modestes, leur entreprise reflétait l’esprit de l’époque : l’idée de la lutte armée commençait à prendre racine dans de nombreux esprits.

1956 : Des réseaux armés combattent l'envahisseur.

Planche de la BD de Joe Sacco “Gaza 1956”.

En 1956, cette vision commune se traduisit sur le terrain au moment où les Palestiniens combattirent contre les forces israéliennes qui avaient envahi la bande de Gaza.

Ce fut la première expérience populaire de lutte armée depuis la Nakba.

De nombreux cadres qui y avaient participé furent convaincus que le peuple palestinien devait s’armer lui-même plutôt que de compter sur les armées arabes, s’il voulait avoir avait la moindre chance de libération et de retour.

Cette expérience pratique fut complétée par l’inspiration venue d’au-delà de la Palestine.

Les jeunes Palestiniens se tournèrent vers l’Algérie, en la considérant comme un modèle d’espoir.

Depuis 1954, des Algériens de toutes idéologies et contextes s’étaient unis dans un front de libération nationale (le FLN) et avaient lancé une puissante lutte armée – dirigée par des Algériens, mais soutenue par tous les Arabes. C’est cela que de nombreux Palestiniens estimaient nécessaire pour leur cause, et cela fournit la base sur laquelle fut fondé le Mouvement de libération nationale palestinien (le Fatah).

Créé lors d’une série de réunions qui eurent lieu au Koweït, ce groupe fusionna bientôt avec d’autres formations similaires opérant au Qatar, en Arabie saoudite et en Allemagne de l’Ouest.

Il se mit également à recruter en Cisjordanie, à Gaza, en Jordanie et en Syrie, principalement via les connexions personnelles des membres fondateurs, dont beaucoup s’étaient formés durant leur précédente période d’activisme estudiantin.

Le modèle organisationnel du Fatah fut présenté dans un pamphlet de 1958 intitulé La structure de la construction révolutionnaire (Haykal al-Bina’ al-Thawri)Le modèle organisationnel du Fatah fut présenté dans un pamphlet de 1958 intitulé La structure de la construction révolutionnaire (Haykal al-Bina’ al-Thawri).

Ce pamphlet, le plus important du début de l’histoire du mouvement, décrit ses principes et le planning de ses structures. Il était proposé comme un plan direct en vue de lancer une révolution et de libérer la Palestine.

Plusieurs caractéristiques distinguaient cette vision d’une série d’autres qui étaient également mises en évidence vers cette époque, tel le “Plan de libération de la Palestine”, en 1961, du Mouvement des nationalistes arabes (MAN).

L’une des différences clés réside dans leurs attitudes envers les gouvernements arabes : le MAN considérait que la République arabe unie (RAU) de Nasser dirigeait la lutte et affirmait que la mobilisation et l’organisation des Palestiniens devaient avoir lieu en totale coordination avec la RAU, comme faisant partie d’un effort général pan-arabiste.

Au contraire, le Fatah insistait sur le fait que les Palestiniens devaient se charger eux-mêmes de la libération de leur pays, avec le soutien de tout pays arabe désireux de les y aider.

Alors que le MAN envisageait de créer une organisation limitée sous le contrôle et la direction du mouvement mère et de son idéologie, La structure de la construction révolutionnaire prônait un large front populaire impliquant tous les Palestiniens sans tenir compte de leur idéologie ou parti.

Finalement, le MAN perçut un mandat limité pour son organisation palestinienne, un mandat impliqué dans les besoins quotidiens, dans l’entraînement et la formation militaires et politiques, et dans l’expression des points de vue palestiniens lors des événements arabes et internationaux.

Le Fatah, de son côté, fut impliqué dans la préparation immédiate de la lutte nationale armée le long des lignes suivies en Algérie et dans la création des structures organisationnelles et matérielles nécessaires pour atteindre ce but.

Afin de faire connaître cette vision (comme on l’a vu dans cette interview de Hani Fakhuri), le Fatah fonda une publication intitulée Filastinuna (Notre Palestine).

Ce périodique publiait des articles concentrés sur la tragédie palestinienne et l’urgent besoin de lancer une révolution pour inverser le cours des choses.

Le magazine continua à paraître jusqu’au moment du lancement de la première opération du Fatah et de la proclamation de la lutte armée palestinienne, au début de l’année 1965.


Karma Nabulsi est chargée de cours en politique au collège St Edmund Hall de l’université d’Oxford.
Avec son équipe elle a réalisé un cours en ligne sur la révolution palestinienne.

Le cours est disponible sur : The Palestinian Revolution

Le texte ci-dessus est le troisième chapitre de la partie
Enseigner la révolution

Sources

Traduction : Jean-Marie Flémal

Mise en page + quelques photos et liens supplémentaires : la rédaction de ce site

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