La dernière fois que Sumoud Saadat, 26 ans, a vu son père, Ahmad Saadat, secrétaire général du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), ce fut lors d’une brève séance en 2008.
Sumoud et deux de ses trois frères se sont vu interdire de rendre visite à leur père puisque, selon les services carcéraux israéliens (IPS), ils constituent une « menace sécuritaire ».
Leur mère Abla et leur frère aîné Ghassan ont tous deux la possibilité de rendre visite à Saadat, du fait qu’ils sont tous deux détenteurs de la carte d’identité bleue de Jérusalem, qui leur accorde plus de privilèges et leur accorde une relative liberté de mouvement en Cisjordanie et dans les territoires occupés de 1948.
L’accord, signé le 14 mai 2012 entre les IPS et le Comité supérieur des prisonniers qui signala la fin de la grève de la fin massive de 28 jours menée par environ 2.500 prisonniers palestiniens, contenait des dispositions qu’Israël allait systématiquement violer.
L’une des conditions, selon la mise à jour trimestrielle d’Addameer, le groupe qui défend les droits des prisonniers, consiste en la restauration des visites familiales pour les parents au premier degré des prisonniers de la bande de Gaza (qui sont frappés de l’interdiction du droit de visite depuis cinq ans) et pour les familles de la Cisjordanie à qui ce droit de visite a été refusé pour de vagues raisons de « sécurité ».
« Il y a 700 familles de Cisjordanie qui, avant l’accord, étaient empêchées de rendre visite à leurs êtres chers dans les prisons israéliennes, et ce, pour des raisons de sécurité et parce qu’on les accusaient de n’avoir aucun lien de parenté avec le prisonnier »,
a déclaré l’avocat de Saadat, Mahmoud Hassan.
Les familles qui sont toujours interdites de visite à leurs parents derrière les barreaux ont dirigé leur colère contre le Comité international de la Croix-Rouge (CIRC), le corps chargé de faciliter les visites des familles aux détenus dans les prisons israéliennes.
Cependant, la directrice de la branche du CICR à Ramallah, Suha Musleh, a critiqué l’accord parce qu’il ne prenait pas en considération le rôle du CICR dans ses dispositions.
Pendant la grève de la faim dans les prisons israéliennes, ou « bataille des estomacs vides », comme on y a fait populairement allusion, l’équipe des médecins de la Croix-Rouge ont rendu visite aux grévistes de la faim chaque fois que les IPS le leur ont permis.
« Chaque jour, Israël délivre aux membres de la famille des autorisations de rendre visite aux prisonniers »,
a commenté Musleh.
« Malgré cela, nous n’avons pas été repris dans l’accord et on ne nous l’a même pas demandé. Pour autant que je sache, personne ne dispose d’une copie de cet accord »,
a-t-elle ajouté.
« La faute en incombe au camp palestinien qui n’a pas pris de garanties concrètes pour que soient respectées les conditions de l’accord »,
a insisté Hassan,
« et au médiateur égyptien qui n’a réclamé aucune garantie officielle et, en lieu et place, s’est fié aux bonnes intentions d’Israël. Supposer qu’Israël puisse avoir de bonnes intentions était absolument ridicule, parce cela faisait reposer ses décisions uniquement sur la politique et non sur la sécurité. »
En 2002, Ahmad Saadat avait été arrêté par les Forces spéciales de l’Autorité palestinienne, après que celle-ci eut cédé aux pressions d’Israël accusant Saadat d’avoir organisé l’assassinat du ministre israélien – d’extrême droite – du Tourisme, Rehavam Zeevi, en octobre 2001.
Zeevi était un partisan notoire des assassinats ciblés de Palestiniens ainsi que de l’expulsion forcée et son assassinat avait été perçu comme une réponse au meurtre ciblé d’Abu Ali Mustafa, le précédent secrétaire général du FPLP à son bureau de Ramallah.
Un mois plus tard, quatre membres de l’aile armée du FPLP, la brigade Abu Ali Mustafa, étaientt arrêtés à Naplouse par les services généraux de renseignement de l’AP et, en compagnie de Saadat, ils étaient enfermés au complexe de la Muqata, à Ramallah.
Au contraire de la réaction populaire des Palestiniens, l’AP avait condamné l’assassinat et Jamil Rjoub, l’ancien chef des Forces sécuritaires préventives de Cisjordanie, fut l’homme qui adressa un ultimatum à Saadat ordonnant à celui-ci de se livrer ou de devoir être arrêté.
Le 1er mai 2002, Saadat et cinq autres membres du FPLP étaient transférés de la Muqata à la prison de Jéricho, au cours d’une transaction entre Israël et feu le président de l’AP, Yasser Arafat, transaction qui mit fin aux 33 jours de siège de la Muqata.
Quatre ans plus tard, le 3 mars 2006, l’armée d’occupation israélienne faisait une descente dans la prison de Jéricho qui, sous la façade du contrôle par l’AP, était en fait gardée par des observateurs américains et britanniques. Le temps écoulé entre l’arrestation et la condamnation de Saadat par Israël, soit en tout deux ans, avait impliqué plus de 30 séances de tribunal, la plupart tenues dans la prison d’Ofer, dans la périphérie de Ramallah.
Ces sessions ne permettaient qu’à deux membres à la fois de la famille de Saadat d’être présents et Sumoud dut alterner avec ses deux frères, sa sœur et sa mère afin d’assurer que chacun pût le voir. Sumoud put rendre visite à son père à quatre reprises.
« À l’intérieur du tribunal »,
se souvient Sumoud,
« nous n’étions pas autorisés à adresser la parole à mon père. Nous n’étions pas autorisés à le toucher physiquement, même pour une poignée de main. Nous essayions de communiquer via des mimiques faciales, c’est tout. »
Se définissant comme la plus proche de son père, Sumoud attribue la chose au fait qu’elle avait manqué à son père durant ses deux premières années, alors qu’il était derrière les barreaux.
« Il avait fait un surcroît d’efforts pour se rapprocher de moi, du fait que je le rejetais et que je considérais mon oncle comme mon père. »
Le jour de Noël, en 2008, Saadat fut condamné à 30 ans de prison. Quelques mois plus tard, il y eut un ordre de six mois d’isolement contre Saadat, ordre qui fut renouvelé tous les six mois pendant trois ans, avant la signature de l’accord du 14 mai.
Saadat refusa de reconnaître le tribunal militaire, qui ne l’accusait de rien de concret s’appuyait uniquement sur des preuves de circonstance. Il fut accusé d’avoir été le chef de l’équipe qui commit l’assassinat de Zeevi ainsi que d’avoir été responsable d’actions exécutées par divers membres du FPLP et ce, à partir des années 1980.
Sumoud a affirmé que son père allait refuser d’être relâché suite aux « bonnes intentions » d’Israël, une disposition à laquelle recourt Israël pour récompenser l’AP d’avoir repris les négociations et qui est synonyme de concessions de la part de l’AP.
Saadat est intransigeant : La seule façon dont il accepte d’être libéré se fera par le biais d’un échange de prisonniers ou par la fin de l’occupation.
Le 23 septembre 2011, Saadat s’est lancé dans une grève de la faim de 23 jours pour protester contre sa mise en isolement.
La grève de la faim s’est terminée suite au marché mis sur pied entre le Hamas et Israël et par lequel le soldat israélien fait prisonnier depuis cinq ans, Gilad Shalit, allait être échangé contre 1027 prisonniers palestiniens. Saadat est resté incarcéré en isolement.
Depuis la capture de Shalit, le nom de Saadat figurait parmi ceux que l’on avançait.
Quand l’information d’un possible échange de prisonniers commença à circuler, des hauts responsables du Hamas, y compris Aziz Duweik et le membre du bureau politique Khaled Meshaal, assurèrent personnellement à la famille de Saadat qu’il ne faisait aucun doute que Saadat serait du nombre des prisonniers qui regagneraient leurs foyers et non de ceux qui seraient envoyés en exil.
Des rumeurs variaient, allant entre la libération de Saadat en même temps que le très populaire membre du Fatah, Marwan Barghouti, et la poursuite de leur détention.
Néanmoins, en octobre, lorsque sortit la confirmation finale de la liste des prisonniers qui devaient être relâchés, Sumoud et ses frères furent choqués de ne pas voir le nom de leur père sur cette liste.
« Mon père nous avait toujours dit de ne pas placer nos espoirs aussi haut, du fait que les Services carcéraux israéliens étaient si imprévisibles »,
déclara Sumoud.
« Mais ce fut néanmoins un choc énorme pour la famille, et spécialement après que le Hamas nous avait garanti qu’il serait relâché. »
Le 17 avril de cette année, Saadat rallia une grève de la faim massive, qui se développa pour atteindre approximativement 2.500 prisonniers sur un total de 5.000 Palestiniens détenus dans les prisons israéliennes.
Sa santé se détériora rapidement et il fut transféré à l’hôpital de la prison de Ramleh, où il est toujours gardé en isolement total.
L’ancien gréviste de la faim Thaer Halahleh, qui passa 77 jours sans nourriture et se trouvait également à l’hôpital de la prison de Ramleh, fit savoir à Sumoud à quel point son père Saadat était gardé au bord de la mort, dans une minuscule cellule pour lui seul, emballé dans un genre de draps en nylon qui l’empêchaient de saisir les moindres bribes de conversation chez les autres détenus.
La seule fois qu’il put voir les prisonniers, ce fut au cours de la nuit où l’accord fut signé, le 14 mai, quand il fut extrait de sa cellule dans une chaise roulante.
Après trois années d’isolement, Sadaat remportait un triomphe majeur et il est actuellement détenu à la prison de Shatta, où il partage une cellule avec d’autres prisonniers.
Bien que sa femme Abla et son fils aîné Ghassan aient pu lui rendre visite après l’arrêt de sa grève de la faim, ses autres enfants n’ont toujours pas la permission de le faire, sous le prétexte que les IPS estiment qu’ils constituent des « menaces pour la sécurité ».
Salah Hammouri, l’ancien prisonnier franco-palestinien qui a passé sept ans en prison avant d’être relâché lors de la seconde moitié de l’application de l’accord, en décembre 2011, était en prison avec Saadat en 2007.
« Un jour, le gardien de prison, qui se montrait à peine pendant tout un mois, s’est amené au matin et a informé Saadat qu’il avait une visite privée de quelqu’un »,
se souvient Hammouri.
« Une visite privée, c’est une grosse affaire, puisque ça signifie que la visite aura lieu sans obstacle physique et, habituellement, ce n’est accordé que dans les cas les plus urgents ou après de dizaines et des dizaines de demandes. »
Saadat avait demandé au gardien si la visite privée était pour tous les prisonniers. Le gardien avait répondu que ce n’était que pour lui.
« Saadat a refusé d’y aller, à moins que tous les autres prisonniers n’obtiennent le même privilège »,
sourit Hammouri.
« Le gardien de la prison a pris la chose comme une insulte personnelle à son égard et, dès ce jour, pourrait-on dire, il l’a traité de façon beaucoup moins favorable. »
L’avocat Mahmoud Hassan reconnaît que la fin de l’isolement de Saadat est une victoire et il estime dur comme fer que la libération de tous les détenus palestiniens n’est pas un rêve inaccessible, comme le prétend la législation internationale.
La Quatrième Convention de Genève interdit le transfert forcé de personnes des territoires occupés vers le territoire de l’occupant. C’est pourquoi, quand Israël prétend qu’il n’accorde pas d’autorisation de visite aux membres de la famille parce qu’ils ne détiennent pas de carte d’identité israélienne, c’est un prétexte fallacieux, puisqu’il repose avant toute chose sur une violation par Israël des lois internationales en transférant les prisonniers sur son territoire.
« Dès le début, Israël a eu l’intention d’utiliser les prisonniers comme un moyen de pression en faveur de négociations »,
a déclaré Hassan. L’exemple le plus récent réside dans la promesse de Netanyahu de libérer 125 prisonniers incarcérés avant la signature des accords d’Oslo et l’installation de l’AP en 1993, si Abbas revenait à la table des négociations ou, inversement, la menace par le même Netanyahu de ne pas libérer les prisonniers si l’AP allait aux Nations unies.
« S’il y avait des pressions significatives de la part des pays arabes et du monde en général »,
a poursuivi Hassan,
« la question des prisonniers se terminerait par la libération de tous les détenus, précisément parce qu’il s’agit d’une question internationale et qu’Israël contrevient aux Conventions de Genève. »
Publié le 9 septembre 2012 par Alakhbar English
Traduction pour ce site : Jean-Marie Flémal
Lina Alsaafin a 21 ans. Elle est originaire à la fois de Gaza et de Cisjordanie. Elle a un blog sur le site d’Electronic Intifadah. On peut la suivre sur Twitter : @LinahAlsaafin.
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