L’apartheid israélien et Law Train en discussion à la Commission d’Intérieur du parlement belge

Charles Michel, Premier ministre, s’est rendu en Israël du 5 au 10 février. C’était l’occasion pour trois députés de lui poser quelques questions dans la Commission de l’Intérieur, des Affaires générales et de la Fonction publique du 21 mars.

Lors de son interpellation, Raoul Hedebouw (PTB) évoque la colonisation galopante en Cisjordanie et à Jérusalem-Est et dénonce la violation complète et flagrante du droit international. Et rappelle :

 » La résolution 2334 qui a encore été votée à l’ONU le 23 décembre dernier exhorte ainsi à nouveau Israël à cesser immédiatement et complètement toute activité de colonisation en territoire palestinien occupé, dont Jérusalem-Est. »

Pour en venir au rapport sur l’apartheid israélien.

« Pour la première fois dans l’histoire de l’ONU, un rapport officiel, publié en son nom, démontre également qu’Israël soumet les Palestiniens à un régime d’apartheid. Ce document, dévoilé le mercredi 15 mars à Beyrouth, émane de l’Economic and Social Commission for Western Asia,  l’une des commissions régionales des Nations Unies, chargée des questions économiques et sociales dans le monde arabe. Ce rapport, réalisé par Richard Falk, professeur à l’université de Princeton et ancien rapporteur de l’ONU sur la situation des droits de l’homme dans les territoires occupés, et Virginia Tilley, professeur à l’université d’Illinois, affirme clairement qu’Israël a mis en place ‘un régime d’apartheid qui institutionnalise de façon systématique l’oppression raciale et la domination du peuple palestinien dans sa totalité, qui est définie par les conventions internationales anti-apartheid depuis 1973. »

Raoul Hedebouw demande au Premier ministre quelles mesures concrètes la Belgique compte prendre à l’égard d’Israël et enchaîne sur le projet « Law Train ».

Une campagne internationale a également été lancée contre le projet « Law-Train » du partenariat qui existe notamment entre la Belgique, les institutions académiques et les services de sécurité israéliens. Que pensez-vous de ce projet ? Entendez-vous répondre positivement à la demande d’y mettre fin, afin d’éviter de soutenir ainsi la politique de colonisation et d’apartheid de l’Etat d’Israël.

Gwenaëlle Grovonius (PS) et Wouter De Vriendt (Ecolo-Groen) interviennent également sur les conclusions que Charles Michel tire de sa visite en Israël et en Palestine occupée et en particulier sur les contacts qu’il a eus avec les ONG B’tselem et Breaking the Silence.

Ils n’auront pas de réponse concrète à ce sujet. Charles Michel se limite à parler d’une rencontre « informative », d’une visite « équilibrée » : il  a rencontré les gouvernants et la société civile en Israël.

Si les rencontres avec les ONG ne connaissent pas de suite pratique, celles avec les autorités  israéliennes ont bien abouti : la Belgique va offrir encore plus de facilités à la  société israélienne Cargo Air Lines (CAL), installée depuis 1997 à l’aéroport de Bierset (Liège), plaque tournante d’un opaque trafic avec Israël. En créant une nouvelle compagnie, basée en Belgique, CAL pourrait accéder à des régions du monde qui lui sont difficilement accessibles comme le Moyen Orient ou l’Afrique.

Charles Michel aborde le « processus de paix » (bidon), les « deux États » (« des ambiguïtés se font sentir ») et, dans la bonne continuation de l’ingérence à caractère coloniale : les élections palestiniennes. Et il avertit : pas d’actes de résistance à l’occupation.

Je n’ai pas manqué de dire avec clarté qu’on ne pouvait tolérer aucun acte de violence, d’où qu’il vienne; et de rappeler que le droit à la sécurité d’Israël et la reconnaissance d’Israël sont, pour nous, extrêmement importants.

La réponse de Raoul Hedebouw.

Monsieur le premier ministre, vous parlez d’ambiguïté à propos de l’interprétation faite par la partie israélienne sur, notamment, le droit du retour des réfugiés. Mais il n’y a pas d’ambiguïté ! Je dirai tout simplement qu’il n’y a pas de droit de retour. Et quand on annonce 2.502 logements dans les colonies, que faut-il de plus pour faire comprendre qu’il n’y a pas d’ambiguïté du tout ? Je pense que la partie israélienne est très offensive pour l’instant. Il serait judicieux d’analyser avec le gouvernement ce rapport de l’ONU, qui relève clairement un problème d’apartheid en Israël.

Aujourd’hui il est facile de dire, maintenant que l’apartheid a été aboli en Afrique du Sud : « Tous soutiennent Nelson Mandela, il faillait soutenir l’Afrique du Sud de la résistance. » On réécrit un peu l’histoire. La question est de savoir ce qu’ont fait les gouvernements occidentaux dans les années 1970 et 1980 pour soutenir le peuple africain dans cette lutte contre l’apartheid. Telle est la question qui se pose. Si des sanctions internationales n’avaient pas été prises contre l’Afrique du Sud de l’apartheid, il y aurait encore maintenant un régime d’apartheid en Afrique du Sud.

La question qui se pose aujourd’hui pour Israël est la même. Le rapport de l’ONU indique clairement qu’une politique d’apartheid y est menée. Il ne faut pas tourner autour du pot. Dès lors, oui ou non, allons nous prendre des sanctions par rapport à Israël ? Là je ne comprends pas ce deux poids, deux mesures, la facilité avec laquelle notre diplomatie, notre défense qui est plutôt une attaque, va intervenir dans plein d’autres pays, mais quand il s’agit d’Israël… On a même voté une résolution au parlement pour dire …

Charles Michel :

Monsieur Hedebouw, vous voulez déclencher la guerre avec Israël, si je comprends bien ?

Raoul Hedebouw :

Sûrement pas ! J’ai justement demandé des sanctions.

Charles Michel :

Quelle est la cohérence entre la question précédente et celle-ci pour comprendre le raisonnement ?

Raoul Hedebouw :

Vous trouvez que prendre des sanctions contre Israël signifie la guerre ? Vous avez peur d’Israël ? C’est cela votre question ? Je vous parle ici de sanctions, à l’instar des sanctions économiques que nous avons prises contre l’Afrique du Sud à l’époque de l’apartheid. La majorité a fait voter une résolution au parlement,  selon laquelle tout était permis à leur encontre sauf des sanctions. Vous croyez que le gouvernement israélien va changer d’avis, parce que vous êtes allé leur dire que ce font pour l’instant n’est pas correct ? Il faut être un tant soi peu sérieux, monsieur le premier ministre ! On parle aujourd’hui de prendre des mesures par rapport à Israël. Et je pense que les rapports de l’ONU sont assez clairs en la matière : il faut lutter contre l’apartheid non seulement dans les mots mais aussi dans les actes !

C’est aussi le point de vue de Gwenaëlle Grovonius, qui répond à Charles Michel :

Monsieur le Premier ministre, j’ai toujours quelques réserves par rapport à ce qualitatif  « équilibré » lorsque, dans une situation donnée, on cherche à conserver des positions équilibrées, parce que j’ai tendance à considérer que nous ne sommes actuellement pas dans une situation équilibrée, mais au contraire, dans une situation où un peuple est sous occupation et clairement dans une situation d’apartheid. Aussi importe-t-il d’être attentif à ne pas toujours rechercher un équilibre mais à pouvoir affirmer aussi certaines positions claire en la matière.

Et quand j’entends dans votre bouche les considérations telles que le droit à la sécurité ou la reconnaissance d’Israël comme préalable absolu à toute forme de négociation ou toute forme de recherche d’une solution qui pourrait être une situation de paix dans la région, ce discours, on l’entend très souvent dans le chef des autorités israéliennes…

Je pense que nous devons veiller à pouvoir sortir de cette volonté constamment mise en avant de rechercher cet équilibre. Nous sommes face à une situation qui n’est pas du tout équilibrée. Dans cette situation d’impunité – on le constate au travers des propos de Netanyahu et de l’arrogance des autorités israéliennes – on devrait de temps à autre se montrer plus strict et effectivement envisager des formes de sanction économique, qui pourraient faire pression sur ce gouvernement israélien.

Wouter De Vriendt (Ecolo-Groen), pour sa part,  n’a apparemment pas encore entendu parler d’apartheid ou d’impunité au sujet d’Israël. Il reste toujours coincé dans sa logique de « différentiation » entre Israël et les colonies. Un leurre, car c’est toute l’économie israélienne qui finance l’occupation.

Il demande une application de la directive européenne sur l’ « étiquetage » des produits des colonies. Et estime qu’on devrait aller un pas plus loin et interdire l’importation des produits des colonies (alors qu’Ecolo et Groen ont voté, « avec enthousiasme », la résolution parlementaire qui interdit les sanctions).

Mr. De Vriendt estime que la Belgique devrait quitter le projet Law-Train parce qu’il n’est pas conforme à la « différentiation » : le quartier général de la police israélienne se trouve en territoire occupé. Et s’il se trouvait de l’autre côté de la Ligne verte, M. De Vriendt ? Pas de problème à ce moment-là pour collaborer avec la police israélienne qui emprisonne des enfants et torture les prisonniers ?

Le hasard veut qu’au moment que Charles Michel se trouvait en Israël, une délégation belge y était aussi, composée de Alexis Deswaef (président de la Ligue des droits de l’homme), Eva Brems,  professeure de Droits de l’Homme à l’Université de Gand Reine Meylaerts (professeur à la KU Leuven) et Pieter Staes (avocat).

Pendant une semaine, ils ont rencontré des organisations et des spécialistes des droits de l’homme. Leur conclusion : la Belgique doit se retirer du projet Law-Train.

Ils écrivent :

Il est absolument contraire à l’éthique que l’Union européenne accepte la police israélienne comme partenaire de projets de recherche. Et ce l’est tout autant que la KU Leuven et le Parquet fédéral entament et poursuivent une telle collaboration.

Le projet Law-Train, qui porte sur la formation et l’entraînement dans les techniques d’interrogatoire dans la lutte contre le trafic international de la drogue, n’est évidemment pas un projet qui subsidie ou favorise directement la torture.

Le problème, dans Law-Train, c’est la collaboration avec un partenaire problématique. En travaillant avec la police israélienne autour des techniques d’interrogatoire, tout comme on le ferait avec un service de police qui ne se rend pas coupable des faits que nous décrivons, le projet collabore à la normalisation de ce qui ne pourrait jamais passer pour normal.

Le ministère portugais de la Justice s’est déjà retiré du projet – officiellement pour des raisons budgétaires, mais tout indique qu’il ne veut pas être complice de ce projet de normalisation.

Le Parquet fédéral et la KU Leuven peuvent et doivent également faire la même chose.


Le PV des débats du 21 mars dans la Commission de l’Intérieur, des Affaires générales et de la Fonction publique

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