Le corps emprisonné… l’âme libre : Samah Jaradat
Vêtus de leurs uniformes militaires khakis et lourdement armés, les soldats israéliens de l’occupation ont fait irruption dans la maison de Samah Jaradat en pointant leurs armes sur elle alors qu’elle dormait avec son chat blotti contre son visage.
Surpris un instant par cette vision, les soldats ont échangé des regards sur la scène inattendue et inhabituelle. Leur étonnement s’est encore accru lorsqu’ils ont examiné la chambre, où un violon était disposé avec soin dans un coin et où l’on pouvait découvrir des notes de musiques partout où l’on posait les yeux.
Ils ont également remarqué un portrait du compositeur et musucien allemand Bach, en même temps qu’un souvenir. La chambre comportait également une petite bibliothèque pleine de livres et de romans.
Les parents de Samah disent que les regards qu’ils avaient échangé reflétaient la confusion et le doute à propos de leur mission consistant à arrêter la jeune femme. Mais, quoi qu’il en soit, l’arrestation forcée a bel et bien eu lieu.
Samah a été arrêtée trois jours après avoir obtenu son diplôme de bachelière en sociologie à l’Université de Birzeit. Cette tournure des événements a balayé ses rêves et ambitions, y compris son désir de devenir professeure l’Université de Birzeit.
L’arrestation a eu lieu le 7 septembre 2019, jour où l’armée israélienne d’occupation l’a enlevée de force dans la maison de sa famille à Al-Bireh.
Dans le tristement célèbre centre de détention de Moskobiyyeh (le Complexe russe), Samah a été soumise à 22 jours d’interrogatoires musclés. Pendant toute cette période, il lui a été interdit de voir son avocat, rappelle son père.
Pendant ses interrogatoires,
« ma fille a subi toutes sortes de méthodes de torture systématique et arbitraire. De plus, les responsables de la prison l’ont également déshabillée complètement pour la fouiller et l’ont enfermée en isolement, période pendant laquelle elle a été régulièrement soumise à diverses formes de torture psychologique, y compris la privation de sommeil »,
fait-il remarquer.
Connaître Samah, c’est l’aimer. C’est une personne généreuse et sensible. Sa générosité et sa gentillesse émanent de son amour pour les gens – particulièrement ceux qui ont été marginalisés ou opprimés – ainsi que de son empressement en faveur du changement social.
Par exemple, elle a pris sur elle-même de consacrer une partie de son emploi du temps pourtant chargé à l’université à apprendre à lire et à écrire à une jeune femme analphabète. Elle a initié la jeune femme à l’alphabet arabe et, un peu plus tard, lui a apporté des manuels et des récits simples afin qu’elle puisse pratiquer la lecture et l’écriture.
Un autre exemple de son empressement à entreprendre des démarches pratiques pour aider autrui est très bien exprimé par Abu Shadi, un artisan du camp de réfugiés de Qadduraa qui gagne sa vie en gravant une carte de Palestine, entre autres sujets, dans du bois d’olivier.
Il parle du temps où Samah l’a aidé à trouver un espace adéquat pour vendre ses objets faits main, après que son échoppe avait été expropriée par la municipalité.
« Samah a parcouru tout Ramallah pour me trouver un local afin que je puisse poursuivre mon travail. Comment peut-on oublier une personne aussi adorable ? »,
dit-il.
Samah, emprisonnée, manque à beaucoup de monde. Son amie Yasmine parle d’elle avec passion quand elle décrit son sens de l’humilité et son empathie envers ses égaux. Elle dit que Samah avait l’habitude de laisser son sandwich sur la table de la cafeteria de l’université pour les étudiants qui vivent dans des dortoirs et qui peuvent n’avoir pas assez d’argent pour acheter de la nourrirure.
L’absence de Samah touche le plus durement sa propre famille. Sa mère a tenté d’exprimer ses sentiments quand elle a célébré l’anniversaire de sa fille en son absence.
« Ç’a été une journée très douloureuse, célébrer l’anniversaire de Samah en son absence. Ç’a encore été plus douloureux de souffler les bougies pendant que nos pensées étaient avec elle, alors qu’elle subissait des interrogatoires, qu’elle était torturée et qu’elle avait froid. »
Samar, la sœur de Samah, énumère ses souvenirs positifs de sa sœur.
« J’imagine Samah en train de danser sur la musique de »chambre » de Bach tout en partageant sa nouvelle »chambre » avec ses amies »,
dit elle.
« Après tout, c’est ce qu’elle faisait en rangeant sa chambre. Les forces d’occupation ont emprisonné le corps de Samah, mais elles ne peuvent emprisonner son âme. L’âme de Samah sera toujours libre. »
Cette prison était utilisée pour recueillir des animaux avant d’être transformée en prison, si bien qu’elle ne convient pas pour y détenir des humains. Elle manque de lumière naturelle et d’aménagements hygiéniques de base, comme des toilettes propres, l’eau courante, etc. Elle est également infestée d’insectes, de rats, etc.
Les femmes et et les filles qui y sont emprisonnées souffrent de cellules surpreuplées, de conditions des plus pénibles, de négligence médicale, y compris pour les femmes enceintes au moment de leur arrestation.
De plus, ces prisonniers et prisonnières se voient refuser tout droit à l’éducation et, à certains moments, tout droit de visite de leur famille, et ce, sous des prétextes sécuritaires. On leur refuse aussi leurs droits élémentaires en les plaçant en enfermement solitaire sans considération de sexe.
Ces conditions pénibles comprennent également la difficulté de rencontrer des conseillers juridiques et avocats palestiniens. Des camarés de surveillance sont de plus utilisées 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, leur refusant ainsi la moindre intimité.
Selon l’association des droits de l’homme et de soutien aux prisonniers Addameer, toutes les pratiques mentionnées ci-dessus sont illégales, aux yeux des lois internationales.
Le rapport d’Addameer dit entre autres :
« La majorité des femmes prisonnières palestiniennes sont soumises à l’une ou l’autre forme de torture psychologique et de mauvais traitements tout au long du processus de leur arrestation et détentionn y compris diverses formes de violence sexuellement explicite. Ceci comprend tabassages, insultes, menaces, fouilles corporelles et harcèlement sexuellement explicite. Ces techniques de torture et de mauvais traitements sont utilisées non seulement pour intimider les détenues palestiniennes, mais aussi comme outils destinés à les humilier et à les forcer à se livrer à des aveux. »
Publié le 24 février 2020 sur Samidoun
Traduction : Jean-Marie Flémal
Hind Shraydeh est une écrivaine qui défend les droits de l’homme. Elle est originaire de Jérusalem occupée, en Palestine. Elle est mariée à Ubai Aboudi, le directeur exécutif emprisonné du Centre Bisan et lui aussi écrivain et chercheur palestinien.
Pour soutenir la campagne d’Ubai pour la liberté, prière de visiter le site Scientists for Palestine et de signer la pétition.