L’obscurcissement de la solution à deux États

Critique du livre “Le paradigme perdu : De la solution à deux États à la réalité à un seul État”, par Ian S. Lustick, University of Pennsylvania Press (2019)

Couverture du livre : Le paradigme perdu : De la solution à deux États à la réalité à un seul État

Le paradigme perdu : De la solution à deux États à la réalité à un seul État

Tout Américain qui a posé à son représentant ou sénateur une question se rapportant aux droits des Palestiniens sait que cela ne semble susciter que la réponse suivante : « Je soutiens la solution à deux États. »

Les mots jaillissent de la boîte telle une mantra, ou comme une réaction de Pavlov, ou peut-être même comme un « Manchurian Candidate » (*) suscité par une suggestion post-hypnotique. Invariablement, la réponse élude elle aussi la question que l’on a en fait posée.

Comme dans tout paradigme, fait remarquer Ian S. Lustick dans Paradigm Lost: From Two-State Solution to One-State Reality, la solution à deux États s’est tellement ancrée et enracinée qu’elle a fini par représenter un obstacle à toute pensée critique.

Lustick, professeur de sciences politiques à l’Université de Pennsylvanie et spécialiste de la politique israélienne, a abandonné la solution à deux États au début des années 2010 après l’avoir préconisée pendant près de 50 ans.

Il a attiré l’attention du public grâce à un éditorial publié dans The New York Times en 2013 et intitulé « Two-State illusion » (L’illusion de la solution à deux États).

Trois obstacles

Dans ce petit livre, Lustick cite trois obstacles qui, accidentellement, ont contribué à assurer la désuétude de la solution à deux États, et il leur consacre un chapitre à chacun.

Son chapitre de conclusion, intitulé « One-State Reality and Its Future » (La réalité à un État et son avenir) met en évidence des stratégies en faveur d’une approche centrée sur les droits afin de garantir l’égalité et la liberté de tous – les Juifs israéliens, les immigrants non juifs et les Palestiniens.

L’auteur identifie le premier obstacle comme une « faille » dans la fameuse stratégie de Wall Street mise en exergue par le dirigeant sioniste révisionniste Ze’ev Jabotinsky en 1923 et plus tard adoptée par David Ben-Gourion, le tout premier Premier ministre israélien.

La stratégie préconisait la défaite militaire totale des Palestiniens et de leurs alliés arabes avant que l’implantation sioniste dans la « Terre d’Israël » n’émerge de façon triomphale et désormais imprenable. Et c’est seulement à partir de ce moment, prévoyait Jabotinsky, qu’Israël allait pouvoir procéder à un accord de paix avec les Arabes « modérés » désireux d’« accepter un compromis ».

La « faille » de cette stratégie, affirme Lustick, c’est que sa puissance militaire résultante encourageait uniquement Israël à rester implacable. Lustick impute entièrement la fin de la solution à deux États aux dirigeants israéliens qui, prétend-il, ont été incapables de reconnaître la volonté de l’Organisation de libération de la Palestine de sceller un compromis lorsqu’elle avait accepté officiellement une solution à deux États en 1988.

Lustick identifie le deuxième obstacle comme une distorsion de la mémoire collective de l’Holocauste. Les dirigeants sionistes cataloguaient les Palestiniens de « nazis », dans le cadre d’une campagne grossière en vue d’unir les juifs ashkénazes et arabes et de renforcer l’idée sioniste « un abîme infranchissable séparant les juifs des gentils ».

Ce procédé a été utilisé pour rassembler les Israéliens autour de nombre d’aventures militaires quand, par exemple, le Premier ministre Menahem Begin avait invoqué le camp d’extermination de Treblinka de la Seconde Guerre mondiale pour gagner l’approbation du public à l’invasion du Liban en 1982. Ou, plus récemment, quand l’actuel chef de l’État israélien, Benjamin Netanyahou, a proclamé que « c’est 1938 » et « l’Iran c’est Allemagne ».

Pour Lustick, cette distorsion de la mémoire de l’Holocauste ne tient pas compte des « crimes nazis contre l’humanité », qui comprenait non seulement l’exterminations des juifs, mais aussi celle des Roms, des Slaves, des homosexuels et des personnes handicapées.

Les invocations permanentes de l’Holocauste a également opéré contre la direction sioniste et son objectif séparatiste d’un État exclusivement juif, fait remarquer l’auteur.

Bien des Israéliens se sont mis à comprendree « l’universalisme » de l’Holocauste, affirme Lustick, particulièrement à la suite de la publication en 1963 de Eichmann à Jérusalem, de Hannah Arendt, et de la sortie en 2008 du film d’animation Valse avec Bashir, qui traite des massacres des Palestiniens dans les camps de Sabra et Chatila, à Beyrouth, en 1982.

L’universalisme a permis aux Israéliens d’apprécier « l’humanité commune des Juifs et des Arabes palestiniens ». Ce faisant, il a contribué à saper l’effort en vue de présenter les Palestiniens comme des nazis, bien que la propagande, malgré tout, soit restée un facteur assez fort pour empêcher une solution à deux États.

Finalement, en tant que troisième obstacle et clou ultime dans le cercueil de la solution à deux États, Lustick accuse le lobby pro-israélien et son « influence disproportionnée » au sein du Congrès américain. En insistant avec succès, une année après l’autre, en faveur d’une aide militaire à Israël, le lobby a créé « un cocon de soutien américain inconditionnel » qui a coupé bras et jambes aux modérés israéliens et a rendu les faucons israéliens encore plus belliqueux.

Du fait que l’électorat israélien balançait de plus en plus vers la droite, les dirigeants israéliens ont compris qu’il n’était pas nécessaire de négocier pour une solution à deux États. Une attitude de « maximalisne intransigeant » est apparue au sein du régime politique israélien, écrit Lustick, et cette version triomphaliste du sionisme « a anéanti les possibilités » de tout compromis historique.

Gagner des droits pour tous

Il en a résulté une réalité à un seul État, sans démocratie. Lustick est partisan du mouvement boycott, désinvestissement et sanctions (BDS) comme voie vers le progrès.

Il prétend que le paradigme à deux États « s’appuie sur une solution » tandis que BDS se rapporte à un « processus ».

Le premier se concentre sur le résultat – deux États indépendants – tandis que BDS traite du processus du gain de droits pour tous, qu’importe qu’il y ait deux États ou un seul.

Dans le cadre de la solution à deux États, Israël pourrait continuer à opérer une discrimination à l’égard de ses citoyens palestiniens et des réfugiés palestiniens. BDS, par contre, affirme les droits de tous.

Les propositions d’une solution à deux Etats, prétend Lustick, ont toujours mis

« l’accent sur l’indépendance souveraine de ces États, sans pratiquement la moindre considération envers les droits et statuts des populations qu’ils gouverneront ».

De plus, les personnes qui proposent la solution à deux États ont souvent recouru à des arguments chauvinistes prônant la séparation et instillant la crainte d’un problème démographique arabe,

« en exploitant efficacement et même en attisant la haine et la crainte des Juifs envers les Arabes ».

Le mouvement BDS, par contre, se concentre sur

« la réalisation des droits palestiniens dans le sens de l’égalité et de la non-discrimination, conformément à la législation internationale et aux lois de l’État qui les gouverne »,

écrit Lustick.

Cependant, comme il examine ce à quoi pourrait ressembler le « processus », il soulève des questions sensibles concernent les droits nationaux palestiniens. Dont la question de savoir si les Palestiniens devraient boycotter les élections municipales à Jérusalem sous contrôle israélien au lieu de s’en servir pour tenter d’améliorer les conditions sur place.

Similairement, il suggère « de ne pas s’opposer à l’annexion en soi mais plutôt de lui donner forme ». Lustick semble impliquer que, puisque BDS est un processus et que la solution à deux États est morte, cela pourrait n’avoir aucun sens que de s’opposer à tous les plans d’annexion.

Il semble également réduire les revendications de la société civile palestinienne à une seule : l’égalité des droits. Ce faisant, Lustick néglige le fait que l’appel de la société civile palestinienne à BDS réclame également la fin de l’occupation et la permission pour les réfugiés palestiniens d’exercer leur droit au retour.

Peut-être est-ce parce que l’auteur est un spécialiste de la politique israélienne qu’il se concentre exagérément sur ce que la gauche israélienne peut accomplir au pays même et qu’il néglige le rôle du mouvement BDS mondial, particulièrement aux États-Unis et en Europe.

Le mouvement peut influencer directement les gouvernements ou blocs qui jouent des rôles cruciaux dans le maintien de l’apartheid israélien, particulièrement les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Union européenne. Le défi dans ce cas consiste à mettre la pression sur les représentants politiques afin qu’ils reconnaissent qu’adopter le soutien à une solution à deux États n’est en aucun cas une réponse à la question des droits palestiniens, mais qu’au contraire elle l’obscurcit.


Publié le 17 février 2020 sur The Electronic Intifada

(*) Quelqu’un dont on ne sait trop qui il est et dont il y aurait tout lieu de se méfier, personnage tiré du titre d’un livre de Richard Condon et du film homonyme de John Frankenheimer, 1962. Titre en français : Un crime dans la tête. (NdT)

Rod Such est un ancien rédacteur des encyclopédies World Book et Encarta encyclopedias. Il vit à Portland, dans l’État d’Oregon, est est actif dans la campagne Occupation-Free Portland.

Photo à la une : Andrew Lichtenstein

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