Journée internationale des travailleurs : Israël continue à violer les droits des travailleurs palestiniens

1er Mai 2020 : Journée Internationale des Travailleurs

Aujourd’hui, en cette Journée internationale des travailleurs, B’Tselem partage les récits de trois travailleurs palestiniens.

Les travailleurs palestiniens de Cisjordanie qui travaillent en Israël (avec ou sans permis) ne bénéficient pas de la protection de leurs droits en tant que travailleurs – une réalité qui les rend vulnérables à l’exploitation de la part de leurs employeurs.

Ceux qui disposent de permis doivent quitter leur foyer très tôt le matin, subir l’expérience éprouvante et dégradante consistant à passer par des check-points noirs de monde avant d’entrer en Israël et de retourner chez eux après une longue et épuisante journée de travail.

Nombreux sont ceux aussi qui doivent payer des milliers de shekels chaque mois à des intermédiaires pour leur permis.

Ceux qui n’ont pas de permis doivent emprunter des voies dangereuses pour entrer en Israël, souvent au péril de leur vie.

Aucun de ces travailleurs ne reçoit les bénéfices sociaux auxquels ils ont droit, et ils sont exploités par leurs employeurs – dans le même temps que l’État s’abstient bien de contrôler leurs conditions de travail.

Après le début de la pandémie du corona, Israël avait annoncé que les Palestiniens de Cisjordanie désireux de continuer à travailler en Israël ne seraient pas autorisés à rentrer chez eux par crainte de l’infection.

Toutefois, les autorités n’ont pas sorti de directives pour les héberger en Israël et certains ont dû dormir sur les chantiers mêmes, dans des conditions pénibles.

En mars, Israël a déclaré qu’il permettrait à 70 000 travailleurs de rester sur son territoire, mais nombreux sont ceux qui ont choisi de retourner en Cisjordanie, citant comme principales raisons la crainte de l’infection et la difficulté d’être éloignés de leurs familles.

Quelque 20 000 travailleurs ont quand même choisi de rester en Israël.

Les travailleurs rentrés chez eux n’ont reçu aucune indemnité, du genre allocation de chômage ou prime, et nombreux sont ceux qui ont été licenciés sans la moindre compensation.

Quant aux travailleurs restés en Israël à ce jour, ils n’ont aucune assurance médicale et, s’ils devaient rentrer en Cisjordanie pour un traitement, ils risqueraient de perdre leur emploi.

Dans trois cas examinés par B’Tselem, des travailleurs soupçonnés d’avoir contracté le virus ont été emmenés à proximité d’un check-point en Cisjordanie et laissés sur place, sans assistance médicale ni coordination avec quelque autorité en Cisjordanie.

Selon des rapports des médias, ce dimanche 3 mai, quelque 50 000 travailleurs de Cisjordanie seront autorisés à se rendre en Israël pour travailler dans la construction ou l’agriculture.

Ils recevront un permis d’entrée valable une seule fois et il ne leur sera pas permis de rentrer chez eux avant la fin du Ramadan, d’ici quelque trois semaines.

L’obligation de les pourvoir de logements adaptés incombe toujours à leurs employeurs – sans le moindre contrôle de l’État.

S’ils doivent tomber malades pendant ce temps, ils seront renvoyés en Cisjordanie.

Aujourd’hui, en cette Journée internationale des travailleurs, B’Tselem partage les récits de trois de ces travailleurs palestiniens.

Quarante jours loin de chez lui : le témoignage de Muhammad Nawaj’ah

Journée Internationale des Travailleurs : le témoignage de Muhammad Nawaj’ah

30 avril 2020.

Après l’apparition du coronavirus, Israël a informé les Palestiniens employés sur son territoire qu’ils avaient le choix : rester sur leur lieu de travail en Israël, loin de leur famille et dépendre entièrement des bonnes grâces de leur employeur, ou rentrer chez eux et renoncer à leur emploi et à leur revenu.

Muhammad Nawaj’ah (33 ans), un ouvrier de la construction originaire de Yatta, dans le district de Hébron, venait d’obtenir un permis de travail en Israël et il s’apprêtait à entamer sa nouvelle existence. Les nouvelles restrictions ont écourté son rêve.

Il a livré son témoignage à B’Tselem le 19 avril 2020, alors qu’il était toujours à Tel-Aviv, où il venait de passer 40 jours d’affilée à travailler sur un site de construction :

Voici trois mois, j’ai finalement obtenu un permis de travail en Israël, après avoir loué les services d’un avocat à qui j’ai payé 10 000 shekels (environ 2 860 USD).

Jusqu’alors, j’avais travaillé dans la construction à Yatta, mais le travail était irrégulier. Je ne gagnais pas lourd et, de ce fait, je me suis retrouvé endetté.

J’aide aussi mes parents, en dehors de ma femme et de notre petite fille de 8 mois. Je contribue aussi à payer les frais d’université de deux de mes frères.

Nous avons été très heureux que je reçoive ce permis de travail israélien. On aurait dit que nous entamions un nouveau voyage et que nous allions pouvoir sortir des dettes. J’étais euphorique.

Après avoir obtenu le permis, j’ai commencé à travailler à Tel-Aviv. Je partais pour le travail chaque jour à 3 heures du matin et je ralliais le check-point 300, où j’attendais un long moment en compagnie de milliers d’autres travailleurs, dans des conditions sévères et au milieu d’un monde fou.

Après avoir franchi le check-point, je me rendais au chantier à Tel-Aviv, travaillais toute la journée et ne rentrais chez moi que vers 9 heures du soir. Voilà à quoi ressemblait ma vie.

Je paie 140 shekels (environ 40 USD) par jour pour le permis, ce qui fait 2 700 shekels (environ 770 USD) par mois. Les frais de déplacement sont d’environ 100 shekels (environ 28 USD) par jour.

Mais, même avec toutes ces dépenses, je gagne encore le double de ce que je gagnais à Yatta. Du fait que je suis parqueteur, je me fais environ 500 shekels (environ 140 USD) par jour.

Les ouvriers non qualifiés gagnent seulement 300 shekels (environ 85 USD) par jour. Il leur reste en main 100 shekels (environ 28 USD), après avoir déduit les frais de permis et de déplacement.

Nous sommes tous vulnérables à l’exploitation par les intermédiaires qui vendent les permis. Ils prennent même une commission sur les jours où nous ne travaillons pas, comme les jours fériés juifs.

Quand la pandémie est apparue et qu’Israël a déclaré l’état d’urgence, il a instruit les travailleurs palestiniens de ne pas rentrer chez eux et de rester en Israël.

J’ai de la chance, parce que la société pour laquelle je travaille a loué un appartement pour nous, tout près du chantier.

Bien d’autres travailleurs sont forcés de dormir sur les chantiers, dans des conditions très dures. Je ne sors de l’appartement que pour acheter de la nourriture au supermarché.

Je ne suis pas rentré chez moi depuis 40 jours et j’essaie toujours de m’adapter à la nouvelle réalité, loin de ma famille. Je reste ici pour l’instant.

Retourner chez moi coûterait des centaines de shekels, parce que les chauffeurs de taxi n’ont le droit que de transporter un seul passager à la fois.

De plus, l’Autorité palestinienne a installé ses propres check-points à proximité des check-points militaires israéliens et elle force chaque travailleur qui revient à rester en quarantaine pendant 14 jours.

Le problème, c’est que personne ne leur verse une compensation pour les journées de travail perdues, de sorte que je préfère rester loin de la famille. Et, ainsi, je peux garder mon boulot.

Je ne sais pas quand je vais rentrer chez moi, mais j’espère réellement que je pourrai passer au moins une partie du Ramadan avec ma famille.

Mise à jour : Après plus de 40 jours, Muhammad Nawaj’ah est retourné chez lui afin de passer le mois de Ramadan avec sa famille.

Note : Ce témoignage a été enregistré téléphoniquement par l’enquêteur de terrain de B’Tselem, Mousa Abou Hashhash, le 19 Avril 2020.

Haitham al-Janazrah ne peut travailler sous les restrictions du corona et sa famille vit de prêts des voisins et des amis

Journée Internationale des Travailleurs : le témoignage de Haitham al-Janazrah

30 avril 2020
Haitham al-Janazrah est un peintre en bâtiment de 51 ans, originaire du camp de réfugiés d’al-Fawwar, près de Hébron.

Il est actuellement sans travail, puisque les restrictions imposées par Israël depuis l’apparition du coronavirus interdisent aux Palestiniens de plus de 50 ans d’entrer en Israël pour y travailler.

Après plusieurs tentatives – déraisonnables – en vue d’atteindre son lieu de travail, il y a renoncé.

Depuis lors, il reste assis chez lui, attendant impatiemment que les check-points ouvrent à nouveau et craignant pour la santé de sa femme, qui a besoin de soins médicaux qu’il ne peut payer pour l’instant.

Je travaille par le biais d’un entrepreneur et je peins des bâtiments à Beit Shemesh.

Comme tout le monde, j’ai acheté mon permis de travail en Israël en passant par un intermédiaire. Cela me coûte 2 500 shekels par mois (environ 710 USD).

Avant la crise du coronavirus, je me rendais à mon travail en passant par le check-point de Meitar. Chaque jour, je quittais la maison à 5 heures du matin et j’allais jusque Be’er Sheva, d’où une navette m’emmenait à mon chantier à Beit Shemesh.

Le trajet me prenait six heures par jour. C’était une très longue journée. Même si je voyais à peine ma famille durant la semaine, j’étais content d’avoir un boulot et de gagner ma vie.

Ma femme a des artères bouchées. Elle est sous traitement et elle devrait subir une opération compliquée et coûteuse.

Après avoir payé le permis, la nourriture et les déplacements, je gagnais mois de 200 shekels (environ 57 USD) par jour.

Je préférais travailler pendant les jours fériés et les vacances, malgré les difficultés et la fatigue parce que, pour chaque jour que je ne travaillais pas, je perdais de l’argent, ce qui compliquait encore le paiement de nos nombreux frais.

Il y a environ un mois et demi, Israël a annoncé des mesures d’urgence afin de combattre la propagation du coronavirus et il a interdit aux Palestiniens de plus de 50 ans d’entrer en Israël pour y travailler.

Le premier jour après l’interdiction, j’ai essayé d’y aller quand même, mais les forces de sécurité israéliennes ne m’ont pas laissé passer.

Je n’ai pas renoncé. Les quatre jours suivants, j’ai essayé de nouveau de me rendre à mon boulot mais, au moment de commencer à travailler, j’étais épuisé.

J’ai donc décidé de ne pas m’y risquer. Je suis un homme d’âge mûr et je ne cours plus au-delà des collines.

Depuis lors, je suis resté à la maison, en attendant que la crise du coronavirus se termine.

Aujourd’hui, après avoir passé 40 jours chez moi, je n’ai plus d’autre choix que d’emprunter de l’argent à des amis et des voisins. Chaque fois, quelqu’un me donne 200 shekels.

Ma femme a cessé de se rendre en Israël pour son traitement, parce qu’il est impossible d’avoir des renvois, désormais, et je suis très inquiet à propos de sa santé.

Je crains également qu’elle ne finisse par être infectée par le coronavirus.

J’ai l’impression que ma vie s’est immobilisée, depuis que j’ai arrêté de travailler. Je ne sais pas où je vais trouver l’argent pour soutenir ma famille.

C’est très angoissant. Je n’ai jamais connu une telle situation auparavant.

Note : Ce témoignage a été enregistré téléphoniquement par l’enquêteur de terrain de B’Tselem, Mousa Abou Hashhash, le 21 avril 2020.

S.H. est retourné chez lui en Cisjordanie par crainte du coronavirus ; son employeur a refusé de lui verser son salaire complet

Journée Internationale des Travailleurs : le témoignage de S.H.

30 avril 2020

Après être resté en Israël durant 21 jours, suite aux mesures imposées par Israël en vue de limiter la propagation du coronavirus, S.H. a décidé de rentrer chez lui, dans le village de Zawata, près de Naplouse, par crainte d’être infecté.

En réponse, son employeur a refusé de lui payer son salaire et a menacé de le remplacer par un autre ouvrier.

J’ai 40 ans et j’ai quatre petits enfants. Je travaille en Israël comme métallurgiste.

Il y a trois mois environ, j’ai commencé à travailler dans une fabrique de fer dans le centre d’Israël et, ensuite, la pandémie a éclaté.

D’abord, les autorités israéliennes ont annoncé un lockdown et certains transports publics ont été supprimés.

J’ai décidé de rester au travail afin de continuer à gagner ma vie. Tout le monde a dit que la situation pouvait durer des mois et il faut que je subvienne aux besoins de mes enfants.

L’usine pour laquelle je travaillais a aménagé un endroit où nous pourrions dormir. Je suis resté là avec neuf autres travailleurs de Cisjordanie, et nous nous tenions à distance sûre les uns des autres.

Notre employeur nous apportait à manger et tout ce dont nous avions besoin, y compris du désinfectant. Au travail, nous portions des masques et des gants.

Après trois semaines, j’ai vu que le nombre de patients du coronavirus ne cessait d’augmenter en Israël et en Cisjordanie et j’ai décidé de rentrer chez moi pour prendre soin de ma famille et de ma santé.

Le gouvernement palestinien pressait les travailleurs de rentrer et de rester en Cisjordanie. J’ai estimé que c’était ce qu’il y avait de mieux à faire.

J’ai dit à mon employeur que je rentrais chez moi et je lui ai demandé mon salaire pour les 21 jours que j’avais prestés.

Il a insisté pour que je reste et que je continue à travailler, parce qu’il savait que, si je rentrais chez moi, il aurait été très difficile de revenir au travail et il s’était engagé à fournir des commandes à ses clients.

J’ai insisté pour rentrer chez moi. Il y avait quatre autres travailleurs, à part moi, qui voulaient s’en aller eux aussi.

Finalement, il a payé 1 000 shekels (environ 285 USD) à chacun d’entre nous, ce qui ne représentait qu’une petite partie de ce qu’il nous devait.

Le trajet du retour a été des plus éprouvants. Je suis descendu à proximité du check-point de Za’atra, après quoi, il n’y avait plus de transport public et j’ai parcouru à pied les 12 km jusque Naplouse.

Je suis passé par plusieurs check-points de l’Autorité palestinienne, où l’on m’a dit d’appeler en cas d’urgence et l’on m’a également ordonné de rester en quarantaine dans une chambre à part dès que je serais rentré chez moi. Je veille soigneusement à respecter toutes les instructions.

Une fois rentré chez moi, j’ai téléphoné à mon employeur et lui ai demandé de transférer le reste de mon salaire.

Au bout de deux semaines, il m’a envoyé 3 000 shekels (environ 857 USD), mais il m’en doit toujours 2 000 (environ 570 USD).

Il m’a fait entendre clairement que, si je ne retournais pas travailler, il devrait trouver quelqu’un pour me remplacer.

Mais je crains de devoir retourner en Israël en raison du nombre élevé d’infections. Je ne tiens pas à compromettre ma santé et celle de ma famille.

Note : Ce témoignage a été enregistré téléphoniquement par l’enquêteuse de terrain de B’Tselem, Salma a-Deb’i, le 27 avril 2020.


Publié le 30 avril 2020 sur B’tselem
Traduction : Jean-Marie Flémal

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