La société civile palestinienne rejette le financement conditionnel de l’UE

La clause antiterroriste de l’UE est politique, dans ses propositions de subvention, et elle « criminalise » la résistance palestinienne, disent les organisations de la société civile.

Linah Alsaafin, 1er juillet 2020

Poster de la Campagne nationale palestinienne contre le financement conditionnel

Poster de la Campagne nationale palestinienne contre le financement conditionnel

Les organisations de la société civile palestinienne ont mis sur pied une campagne nationale qui rejette le financement conditionnel de l’Union européenne s’appuyant sur sa « clause antiterroriste ».

La stipulation, qui a été ajoutée aux propositions de subvention à la fin de l’an dernier, identifie au moins sept partis politiques palestiniens comme des « groupes terroristes » et appelle les organisations de la société civile palestinienne à soumettre les individus à un contrôle minutieux afin de s’assurer qu’ils ne sont pas affiliés à ces partis.

Cependant, ces organisations ont dit de ces conditions qu’elles « criminalisaient » la lutte nationale palestinienne contre l’occupation israélienne.

« L’imposition de la clause et les mesures restrictives de l’UE constituent une criminalisation de la lutte de libération palestinienne et de ses combattants pour la liberté et cette criminalisation s’appuie sur les critères et les normes de l’Occident »,

a déclaré Lubnah Shomali, la porte-parole de la campagne contre le financement conditionnel de l’UE.

« Cela ne prend pas en considération le statut juridique de la Palestine selon les lois internationales – en tant que pays et peuple confrontés à l’oppression et à une domination coloniale étrangère. »

La réponse vient au moment où l’on s’attend à ce que – ce mercredi – Israël entame ses plans d’annexion de certaines zones de la Cisjordanie et de la vallée du Jourdain.

« Des complice de la sécurité »

Selon l’Article 1.5 de l’Annexe II figurant dans les « Conditions générales applicables aux contrats de subventions financées par l’Union européenne pour des actions extérieures », plusieurs factions palestiniennes – dont le Hamas, le Djihad islamique et le Front populaire pour la libération de la Palestine (FPLP) – sont reprises en tant que groupes ou entités terroristes dans la liste des sanctions de l’UE.

La clause demande également aux organisations civiles de contrôler les individus impliqués dans des projets s’appuyant sur les « mesures restrictives » de l’UE – lesquelles ont été dénoncées par la campagne nationale palestinienne parce qu’elles forcent ces organisations à jouer “le rôle de complices de la sécurité contre leur propre peuple”.

Cela va créer une situation dans laquelle les organisations bénéficiaires seront forcées de déterminer qui peut et ne peut pas bénéficier des projets financés par l’UE, ou y participer, a expliqué Lubnah Shomali à Al Jazeera.

« De telles actions policières ressortissent à la compétence des États et des agences gouvernementales, et non à celle des organisations civiles », a-t-elle déclaré, ajoutant que la crédibilité des organisations palestiniennes va en souffrir, sur le plan de leurs relations avec la société civile.

« Vide de contexte »

Hanan Hussein, qui travaille avec le Centre Bisan de recherche et de développement, a déclaré que signer la clause antiterroriste équivalait à un accord avec la position de l’UE.

« Le processus de contrôle inclut le refus d’engager quelqu’un dans un projet potentiel si cette personne a jamais été arrêtée par Israël », a déclaré Hanan Hussein.

« C’est complètement vide du contexte de notre réalité, qui est de vivre sous une occupation israélienne. En tant qu’organisations civiles œuvrant à l’amélioration de la société palestinienne, sommes-nous censées contrôler toute personne qui a été arrêtée par Israël ? »

La Campagne nationale palestinienne de rejet du financement conditionnel, qui a été signée par quelque 230 organisations civiles palestiniennes, invite l’UE à annuler la clause antiterroriste de ses contrats avec les institutions de la société civile palestinienne.

Dans une déclaration de décembre dernier, la campagne annonçait qu’elle allait entreprendre d’autres actions au niveau international et intérieur afin de « s’opposer et résister à la criminalisation de l’histoire, de la lutte, des droits et des partis politiques de la Palestine », ainsi qu’aux « tentatives d’impliquer la société civile dans de piège dangereux ».

« Les factions et forces politiques palestiniennes ne sont pas des organisations terroristes et leurs statuts populaires, nationaux et juridiques ne sont pas définis par un document européen »,

disait encore la déclaration.

Lubnah Shomali a expliqué que la campagne ne s’opposait pas au financement conditionnel quand il concernait des critères administratifs ou financiers, mais qu’elle s’opposait à des conditions qui « marginalisent ou ignorent nos droits inaliénables ».

« Alors que l’UE a le pouvoir de définir ses propres critères et réglementations, elle ne peut appliquer cette idéologie occidentale à d’autres », a-t-elle dit.

La campagne s’est engagée à accroître la conscience de ce que cela signifie de recevoir un financement conditionnel de la part de donateurs, et à obtenir une position unifiée contre la condition imposée par l’UE, ce qui l’obligera à reconsidérer sa clause.

« L’UE prétend que la clause n’est pas nouvelle et que ceci n’est qu’une distinction technique ou administrative », a ajouté Lubnah Shomali. « Mais, manifestement, ce n’est pas le cas. »

Avant 2020, la « clause antiterroriste » n’était pas imposée comme condition dans les propositions de subvention de l’UE.

D’autre part, les États-Unis, avec leurs programmes de l’USAID, ont toujours mentionné cette clause dans leur financement de projets palestiniens dans les territoires occupés, mais une grande majorité des organisations palestiniennes ont refusé de donner leur accord à la condition et d’accepter le financement du gouvernement américain.

Au moment de publier le présent article, le bureau du représentant de l’UE dans les territoires palestiniens occupés n’avait toujours pas répondu aux demandes de commentaires adressées par Al Jazeera.

« Une position de principe »

En mai dernier, l’UE a subi des pressions d’Israël afin d’entreprendre des actions plus décisives contre les organisations palestiniennes, suite à une lettre adressée par un haut responsable de l’UE à des ONG palestiniennes qui les assurait que le fait d’être membre de – ou d’avoir des affinités avec – l’une ou l’autre des factions politiques palestiniennes reprises sur la liste de l’UE n’empêchait pas automatiquement une personne d’être éligible pour participer aux programmes financés par l’UE.

Le ministère israélien des Affaires étrangères a convoqué l’ambassadeur de l’UE en Israël, Emanuele Giaufret, pour « lui remonter les bretelles », ont rapporté divers médias israéliens.

« Israël condamne absolument et désapprouve catégoriquement la politique de l’Union concernant le financement d’organisations terroristes »,

a déclaré le ministère dans une déclaration.

Dans un premier temps, un mois plus tard, l’UE retirait son financement à Badil, une organisation non marchande palestinienne qui s’emploie à la promotion des droits des réfugiés palestiniens et des personnes déplacées internes. Badil avait refusé de signer la clause « antiterroriste ».

Le projet de trois ans proposé par Badil, intitulé « Mobilisation pour la justice à Jérusalem », a ainsi perdu 6,5 millions de shekels, soit 1,9 million d’euros.

Le projet cherchait à créer et développer une mobilisation citoyenne plus institutionnalisée ainsi qu’un effort de promotion entre les jeunes Palestiniens et les associations en faveur de la justice sociale aux États-Unis.

Hanan Hussein – dont l’employeur, le centre Bisan, se définit comme un soutien des pauvres et des personnes marginalisées « dans leur lutte pour concrétiser leurs droits socioéconomiques dans le contexte de la libération nationale et démocratique en Palestine » – a déclaré qu’un lourd fardeau financier pesait désormais sur ces organisations qui ont refusé la fameuse clause de l’UE.

« La société civile palestinienne dépend de donateurs », a-t-elle ajouté.

« Bisan recevait avant tout son financement des gouvernements de l’UE, mais nous avons retiré nos notes de concept de projet pour cette année, après qu’ils ont ajouté la CAT (clause antiterroriste) dans leurs contrats. »

« Sans aucun doute, nous allons traverser une période financière pénible à tous les niveaux, au sein de notre organisation, et cela a affecté les salaires de nos employés et va nous empêcher de finaliser nos projets »,

a-t-elle poursuivi.

« Mais le manque d’argent ne signifie pas que les institutions civiles palestiniennes ne peuvent adopter une position de principe contre le financement conditionnel. »


Publié le 1er juillet 2020 sur Al Jazeera
Traduction : Jean-Marie Flémal

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