“Femmes en lutte en territoire palestinien occupé” – rencontre avec Samah Jabr

Voici quelques extraits frappants de la rencontre en webinaire “Femmes en lutte en territoire palestinien occupé” , qui vous donneront sans doute l’envie de voir et d’écouter l’enregistrement complet de ce moment fort.

“Quand nous sommes dans des situations de violence, ce sont toujours les plus faibles qui sont les plus touchés et qui souffrent le plus.”  C’est ainsi que débute le témoignage de Samah Jabr, femme psychiatre et psychothérapeute en territoire palestinien occupé.

“Les femmes et les enfants sont victimes de plusieurs types de violence”, nous explique-t-elle :

“De la part des hommes qui, humiliés, ramènent la violence à la maison et de la part de l’État d’Israël qui critique les femmes qui résistent : elles négligent leurs enfants, elles ne sont pas féminines… c’est une stratégie violente pour diminuer leur statut. Les hommes sont dans la confrontation physique, ils sont blessés, tués, ce sont des martyrs valorisés par la communauté. Les femmes sont touchées psychologiquement, c’est souvent une souffrance émotionnelle, moins connue et reconnue.”

“Les femmes ne se plaignent pas beaucoup de leur situation car elles pensent que d’autres femmes vivent des situations pires que la leur. L’ennemi ne doit pas savoir que je souffre, car c’est cela qu’il recherche, c’est mieux de nier cette souffrance pour ne donner ce plaisir à l’ennemi.”

En tant que psychiatre, quels traumatismes traitez-vous ? Quels sont les effets des enfermements, physiques et psychologiques successifs, dont souffrent les Palestiniens ?

« La plupart des Palestiniens subissent des troubles psychiques et physiques liés à l’occupation des territoires par Israël, mais, comparé à la Jordanie et au Liban, le nombre de personnes hospitalisées en Cisjordanie pour problèmes psychiques est faible. La société palestinienne tolère mieux la « maladie psychiatrique » que les autres pays pour deux raisons : parce qu’il y a peu d’hôpitaux psychiatriques dans les territoires palestiniens et parce que la population rechigne à se faire soigner. Par ailleurs, ces expériences sont si communes qu’elles ne drainent pas beaucoup de Palestiniens au cabinet, mais contribuent significativement à leur souffrance sociale. Cela se comprend comme une objectivation des personnes, que les Israéliens essaient d’écraser dans leur capacité à agir. Cependant, lorsque l’on prend le temps d’écouter chaque patient, on s’aperçoit qu’il existe derrière chaque présentation une histoire liée à l’occupation et aux conditions de vie en découlant, sans que cela soit la cause première / manifeste de la consultation parce que, pour les gens, il y a une « présomption de normalité ».

De façon globale, on constate un sentiment d’infériorité lié à l’intériorisation de l’oppression, des humiliations, un retournement de la violence contre soi et son propre camp, des violences domestiques, une montée des dépressions, des dépersonnalisations… Par exemple, en posant des questions à une jeune fille qui montre un tableau clinique d’attaque de panique, je comprends que les débuts de ses troubles remontent à six mois auparavant, au moment de la sortie de prison de son père, qu’elle découvre non pas comme un père réel, mais comme un père fantasmé, car il était absent, et qui vit maintenant dans la maison comme une ombre, passe son temps à regarder la télévision et à fumer, alors que le fils aîné a occupé cette place du père réel. L’écart entre le réel et le fantasmé génère de l’angoisse chez cette personne, identifiée comme le patient symptomatique du dysfonctionnement familial, qui n’est pas loin de la représentation du symptôme de la société palestinienne. Au-delà des individus, c’est la communauté tout entière qui est touchée dans ce qui est constitutif d’un trauma social. Et la psychiatrie est engagée au service de cette communauté, car les Palestiniens présentent des spécificités de vie qu’on ne retrouve pas ailleurs au Moyen-Orient, notamment la prévalence élevée de l’expérience de la détention. »

La rencontre en webinaire, animée par Naima Ragala (PJPO-BW), était organisée par Coordination PJPO – Brabant Wallon et ABP, association belgo-palestinienne. Notes de Marie-Christine Lothier, Plate-forme Charleroi-Palestine.


Samah Jabr  

Samah Jabr

Le Dr Samah Jabr est une psychiatre qui exerce à Jérusalem-Est et en Cisjordanie. Elle est actuellement responsable de l’Unité de santé mentale au sein du Ministère palestinien de la Santé. Elle a enseigné dans des universités palestiniennes et internationales. Le Dr Jabr est fréquemment consultante pour des organisations internationales en matière de développement de la santé mentale. Elle est également une femme écrivain prolifique. Son dernier livre paru en français : Derrière les fronts – Chroniques d’une psychiatre psychothérapeute palestinienne sous occupation.

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