PFC : “Quel féminisme ? Le féminisme de la Palestine” (Nada Elia)

Un collectif nouvellement créé, le Collectif féministe palestinien (PFC) affirme qu’on ne peut être féministe si on soutient la violence liée au genre, le colonialisme d’implantation, la dépossession des autochtones et l’apartheid.  

Nadia Elia, 19 mars 2021

Photo : Palestinian Feminist Collective – Collectif féministe palestinien – PFC

Photo : Palestinian Feminist Collective – Collectif féministe palestinien – PFC

Le Mois historique des femmes a été instauré afin de corriger la lentille masculiniste qui, sinon, occulte les réalisations des femmes. Ce mois met en évidence les accomplissements des femmes à titre individuel tout au long de l’histoire. Cette année, un collectif nouvellement créé, le Collectif féministe palestinien (PFC), a décidé d’aller de l’avant, plutôt que de reculer, quand il a marqué le Mois historique des femmes en lançant sa première campagne publique, un engagement et une lettre ouverte demandant à ses allié.e.s d’adopter la libération palestinienne en tant que question féministe de toute première importance.

L’engagement, qui a été publié la première fois le 15 mars, a rapidement rassemblé des centaines de signatures individuelles : plus de 2 700 en moins de 48 heures, ainsi que le soutien de plus de 150 organisations dans le même laps de temps exactement. Les signatures sont venues en nombre des États-Unis, où l’engagement a été lancé, de même que de la Palestine, mais aussi, en ce qui a semblé quelques minutes à peine, de nombreux autres pays, dont l’Australie, l’Argentine, le Kenya, l’Afrique du Sud, la Suède, l’Allemagne, le Brésil, la République tchèque, etc. Manifestement, l’appel féministe palestinien a eu des échos chez les gens de conscience un peu partout dans le monde.

L’engagement débute par une reconnaissance de

« l’histoire des femmes palestiniennes et de leurs compagnons et compagnes de combat qui ont œuvré en vue de mettre un terme à de multiples formes d’oppression », avant de s’engager dans la résistance à « la violence liée au genre et sexuelle, au colonialisme d’implantation, à l’exploitation  capitaliste, à la dégradation de la terre et à l’oppression en Palestine, dans l’île de la Tortue [le continent américain, dans les langues autochtones,  NdT] et ailleurs dans le monde ».

Et il demande à ceux et celles qui le soutiennent six démarches et engagements concrets, lesquels, explique le PFC, ferait progresser une « vision féministe réellement intersectionnelle et décolonisatrice » au profit des États-Unis, de la Palestine et du reste du monde. Par conséquent, les signataires ne déclarent pas simplement qu’ils et elles soutiennent le peuple palestinien, ils et elles s’engagent également à :

·         Adopter et défendre la libération palestinienne comme une question féministe d’une importance critique ;

·         Soutenir les droits palestiniens à la liberté d’expression et à l’organisation politique où que ce soit ;

·         Rejeter l’amalgame voulu entre antisionisme et antisémitisme, en   particulier l’application juridique de la définition de l’antisémitisme par l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste (IHRA ou AIMH) ;

·         Respecter l’appel de la société civile palestinienne au boycott, au désinvestissement et aux sanctions (BDS) ; 

·         Désinvestir du militarisme et investir dans la justice et les besoins de la communauté dans l’île de la Tortue (i.e. le continent nord-américain) ;

·         Exiger que soit mis un terme au soutien politique, militaire et économique des États-Unis à Israël et à toutes les collaborations militaires, sécuritaires et policières.

Tel qu’il a été posté sur le compte Instagram du Mouvement de la Jeunesse palestinienne, cofondateur du PFC, l’engagement à catalysé maintes discussions importantes autour de la lutte des femmes palestiniennes et autour du terme « féminisme » même. Partout, il a été extrêmement bien reçu et bien des gens ont exprimé leur gratitude pour l’analyse et l’organisation qui a résulté dans la rédaction d’une déclaration expertement ciselée. Quelques personnes, toutefois, écrivant à la fois en arabe et en anglais, ont critiqué l’usage du terme « féminisme » en disant qu’il « puait » l’impérialisme occidental.

« Je ne supporte rien qui recourt à des termes occidentaux en lieu et place de simples mots. Comme lorsque vous parlez de questions des femmes ou d’émancipation des femmes. Mais si c’est du féminisme, tout foire »,

commentait une personne. Et une autre déclarait :

« Je suis perplexe à juste titre. Comment est-ce une question féministe, exactement ? » 

Tout en parcourant les commentaires, je ne pouvais m’empêcher de sourire au fait que c’étaient en premier lieu des hommes (ou des profils d’allure masculine, quoi qu’il en soit) qui ne saisissaient pas comment la libération palestinienne était une question féministe. Il était rafraîchissant de voir la grâce et la patience avec laquelle les membres du collectif ont répondu. L’une expliquait :

« C’est une campagne concentrée sur les femmes et les espaces et organisations féministes des États-Unis qui ont historiquement abusé des droits des femmes et des discours féministes pour développer l’islamophobie et soutenir les invasions par les Américains de nos pays et soutenir également l’aide militaire et financière à Israël. En tant que femmes, nous considérons que contester la propagande sioniste dans les organisations de femmes est une priorité ; cela ne doit pas nécessairement être votre priorité, mais ce l’est pour le groupe des 60 femmes arabes et palestiniennes qui veulent mettre un terme à la normalisation du sionisme dans les espaces de la justice sociale, dans le même temps que ces espaces ignorent carrément la Palestine dans leur agenda. Personne ne force personne dans ce combat mais il fait partie de notre combat complexe aux États-Unis, ce domaine est le vôtre et vous pouvez certainement vous concentrer sur d’autres questions, voire sur toutes les questions. »

Une autre proposait :

« Rechercher d’autres conversations sur ce sujet. Continuer à nous engager en tant que PYM et PFC sur ce sujet tel que nous le voyons comme faisant partie intégrante de notre lutte de libération. » 

L’engagement fut également republié sur la page Facebook de Jewish Voice for Peace (Une voix juive pour la paix), où la discussion a adopté un ton différent, du fait que certains trolls [trouble-fêtes, empêcheurs de tourner en rond, NdT] ont suggéré que le féminisme était « incompatible » avec la société palestinienne. Mais, ici aussi, il y a des suspicions autour du terme, comme prévenait l’un des commentateurs :

« Soyez très prudents. Les États-Unis utilisent volontiers les questions féministes en vue d’un changement de régime. »

Ce commentaire s’attira une réponse d’une personne membre du PFC, laquelle expliqua :

« Nous vous comprenons… Si vous lisez l’engagement attentivement, il est clair que le Collectif féministe palestinien va chercher son féminisme dans la pensée et la pratique tiers-mondistes, autochtones et féministes noires, lesquelles réclament le démantèlement de l’impérialisme, du capitalisme racial, du colonialisme (d’implantation) et établissent les liens cruciaux entre ces formes d’oppression avec la manière dont ils se structurent et s’interconnectent avec la violence de genre et la violence sexuelle. L’engagement consiste en fait en un rejet du féminisme occidental / libéral / orientaliste / islamophobe / impérial(iste) et d’une adoption de la libération palestinienne en tant que clé d’un féminisme réellement décolonisé et intersectionnel ! » 

Le débat autour de la question de savoir « de quel féminisme il s’agit » est compréhensible, en considérant qu’une impulsion vers l’engagement, comme l’a expliqué le commentaire de la modératrice de PYM cité plus haut, réside dans le mépris outrancier du féminisme occidental pour la situation précaire des Palestiniens en général, parmi lesquels les femmes et les homosexuel(le)s, dont les existences sont intimement impactées par le sionisme. La chose est expliquée dans la prise d’engagement même, et elle est largement documentée depuis des décennies. Néanmoins, aux États-Unis, comme dans de nombreux pays occidentaux, les féministes palestinien.ne.s et leurs allié.e.s ont été marginalisé.e.s par rapport au féminisme traditionnel, avec sa normalisation du sionisme, révélant un aveuglement volontaire face au macroenvironnement de la violence étatique.

Ceci est illustré, par exemple, par le choix de Scarlett Johansson comme oratrice de la Marche des femmes de 2019 à Los Angeles. Quelque temps plus tôt, Johansson avait fait la promotion de la société israélienne SodaStream, même lorsqu’elle était ambassadrice d’Oxfam. Quand Oxfam lui avait demandé de mettre un terme à son partenariat commercial avec la société israélienne, qui avait une usine dans une colonie en Cisjordanie, Johansson avait préféré laisser tomber Oxfam, en lieu et place. Et quand l’Association des femmes arabes palestiniennes, dont le siège se trouve en Californie du Sud, avait expliqué aux organisatrices de la Marche des femmes qu’elle ne participerait pas à un rassemblement au cours duquel Johansson devait prendre la parole, les organisatrices de Los Angeles de cette même Marche des femmes ignorèrent les préoccupations des femmes palestiniennes, choisissant de garder Johansson en lieu et place. Il y a de nombreux incidents de ce genre où, lorsque les Palestiniennes et leurs allié.e.s refusent de normaliser le sionisme et insistent sur l’incompatibilité de ce dernier avec le féminisme, elles se retrouvent écartées et exclues des espaces « féministes » libéraux blancs.

Il importe également de rappeler que, historiquement, ce furent des féministes de couleur, et plus spécifiquement une féministe noire, Kimberle Crenshaw, qui nous apportèrent initialement le vocabulaire de l’intersectionnalité et le cadre du genre de féminisme mis en exergue dans l’engagement du PFC. Naturellement, le concept et la compréhension perçue de ce concept ont précédé le terme utilisé actuellement, comme l’avaient mis en évidence la question insistante de Sojourner Truth, lors d’une convention de femmes blanches : « Ne suis-je pas une femme ? », ainsi que l’activisme de Harriet Tubman, tant en faveur de l’abolition de l’esclavage que du suffrage des femmes. Et, alors que l’intersectionnalité est aujourd’hui très facilement adoptée, au point de perdre, à l’occasion, et son à-propos et sa profondeur, il importe également de comprendre le féminisme tel qu’il est enraciné dans l’idée de l’indivisibilité de la justice. L’incapacité d’y arriver renforce l’américanocentrisme et l’eurocentrisme et méprise la pensée et la pratique féministes radicales qui ont conféré aux mouvements libérateurs du monde entier les idées précises et les outils qu’ils assument de nos jours.  

Finalement, même si cela peut n’avoir pas été son intention, l’engagement porte également sur la revendication du terme de « féminisme » et non sur sa « redéfinition », puisque les Palestiniennes et nos allié.e.s affirment, une fois encore, qu’on ne peut être féministe quand on soutient la violence appliquée au genre, le colonialisme d’implantation, la dépossession  des autochtones et l’apartheid. Au contraire de ce que les détracteurs ont posté, le féminisme n’est pas seulement « compatible » avec la culture palestinienne, mais il a longtemps caractérisé les luttes des femmes palestiniennes. Il ne peut y avoir de patrie libre sans femmes libres et la libération des femmes palestiniennes ne pourrait se concevoir sans la libération de leurs communautés et de leur patrie vis-à-vis de l’impérialisme, du racisme et du colonialisme d’implantation, entre autres maux.

Et, au moment où nous envisageons de descendre à nouveau dans la rue, nous devrions toutes entonner un nouveau chant :

Le féminisme de qui ? Notre féminisme ! 

Qu’est-ce que nous voulons ? 

Pas de sionisme, pas de racisme, pas de colonialisme d’implantation !


Publié le 19 mars 2021 sur Mondoweiss
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

Print Friendly, PDF & Email

Vous aimerez aussi...