Les Palestiniens méritent des réparations pour les crimes coloniaux britanniques

Comme antidote aux infos dans les médias occidentaux, nous republions cet article de Joseph Massad.

La révolution d'al-Buraq en 1929

La révolution d’al-Buraq en 1929 (*)

Joseph Massad,  29 octobre 2021

Récemment (**), le milliardaire palestinien Munib Masri a annoncé son intention d’attaquer en justice le gouvernement britannique pour avoir sorti la Déclaration Balfour en 1917 et pour les crimes commis lors de l’occupation coloniale de la Palestine. Il a également exprimé son espoir de voir finalement l’équité du système juridique britannique contraindre les Britanniques à présenter des excuses.

Ce n’est pas la première tentative en ce sens : En 2017, l’Autorité palestinienne avait menacé la Grande-Bretagne d’un procès si elle ne présentait pas ses excuses pour la Déclaration Balfour. En guise de réponse, le gouvernement avait sorti une déclaration affirmant qu’il était « fier » du rôle de la Grande-Bretagne dans la création d’Israël. 

Mais est-ce vraiment d’excuses que les Palestiniens ont besoin de la part de la Grande-Bretagne, qui a conquis et occupé la Palestine durant trois décennies au cours desquelles elle a ouvert le pays aux colons juifs, ce qui a mené en droite ligne au vol de la patrie palestinienne ? Et quid des atrocités commises par les Britanniques contre le peuple palestinien au cours de cette période et plus particulièrement lors de la grande révolte palestinienne de 1936-1939 ?

Les Kényans l’ont fait tout récemment et continuent à formuler des demandes de réparations pour l’oppression et les tortures horribles et cruelles auxquelles les Britanniques ont soumis les révolutionnaires mau-mau dans les années 1950. L’argent des milliardaires palestiniens ne serait-il pas mieux dépensé dans des demandes de réparations pour le peuple palestinien, plutôt que dans des excuses qui ne veulent rien dire ?

La répression horrible par la Grande-Bretagne de la révolte palestinienne fut d’une nature différente de celle de la répression de la résistance palestinienne dans les années 1920 et de la première moitié des années 1930. Les médias palestiniens de l’époque, ainsi que des historiens et des révolutionnaires palestiniens, ont mentionné un grand nombre de ces atrocités, à l’instar de la presse britannique et internationale de cette période.

L’une des premières et tristement célèbres actions de destruction délibérée de la part de la Grande-Bretagne fut le dynamitage par l’armée britannique de parties importantes de la vieille ville, dans le bas de Jaffa, qui était à l’époque le principal centre commercial et culturel palestinien, afin de dégager de la place pour les véhicules militaires et d’empêcher les révolutionnaires de se dissimuler dans les ruelles étroites. En octobre 1938, les Britanniques détruisirent également certaines parties de la ville rurale de Jénine, dans leur poursuite de la répression de la révolte.

La répression britannique inclut également l’interdiction des chants et drapeaux nationalistes palestinien ainsi que des défilés anticoloniaux, la censure ou la fermeture de certains journaux et la déportation de Palestine de journalistes étrangers qui écrivaient sur les atrocités. 

 

Des tortures sévères

En 1937, à Nazareth, des militants palestiniens assassinèrent le commissaire de district pour la Galilée, Lewis Andrews, et son garde du corps. Andrews, un sioniste protestant australien qui avait soutenu la colonisation juive de la Galilée, était profondément exécré par les Palestiniens. Les assassins furent appréhendés par les Britanniques, qui arrêtèrent également des centaines de Palestiniens dans le cadre de l’affaire et les soumirent à des tortures sévères, dont des violences sexuelles et des viols de femmes et d’hommes.

On rapporte qu’un autre Australien qui travaillait pour le mandat sortit dans Jérusalem un revolver à la main et tira sur tous les Palestiniens qu’il rencontra afin de venger la mort de son compatriote. Les Britanniques couvrirent cette folie meurtrière et renvoyèrent l’homme dans la colonie de peuplement australienne. 

Le prisonnier politique palestinien Subhi al-Khadra décrivait ces tortures dans un compte rendu d’août 1938 :

« Les types de torture employés sont très divers. Ils comprennent des tabassages à coups de poing et de bottes (…) ainsi que l’utilisation de cannes afin de battre et fouetter jusqu’à ce que mort s’ensuive (…) Ils comprenaient également des actions consistant à affamer des chiens et à les inciter ensuite à dévorer la chair des prisonniers (…) Une autre forme de torture consistait à faire sodomiser les prisonniers par les soldats et il semble que cela ait été appliqué à bon nombre de personnes. »

Khadra ajoutait que les méthodes de torture étaient motivées par

« la vengeance et la libération des instincts les plus sauvages et barbares et de l’esprit concentré de haine que ces rednecks éprouvent envers les musulmans et les Arabes. Ils entendent torturer pour le plaisir de torturer et pour satisfaire leur appétit de vengeance, et non pas souci de faire progresser une enquête ou de faire avouer des crimes ».

Les punitions collectives contre les villes et villages palestiniens devinrent uniformes via le recours aux exécutions extrajudiciaires et aux démolitions en série d’habitations palestiniennes.

L’historien britannique Matthew Hughes a répertorié un grand nombre de ces horreurs dans son ouvrage sur la « pacification » de la Palestine par les Britanniques, faisant remarquer que le recours au langage suprémaciste blanc contre les révolutionnaires était monnaie courante parmi les soldats et les officiers. Les civils palestiniens étaient utilisés comme boucliers humains afin de protéger les soldats britanniques dans les trains et les véhicules militaires. Les détenus palestiniens étaient incarcérés dans des cages en plein soleil, et ils étaient nombreux à mourir de soif et d’insolation.

Les Britanniques utilisaient également le travail forcé pour obliger les prisonniers palestiniens à construire des routes et ils imposaient des pénalités financières à leurs familles. Des Palestiniens étaient placés dans des camps de concentration et derrière des fils barbelés dans des colonies juives, où les colons ne cessaient de les humilier.  

Hughes révèle que

« les soldats et la police ont arrêté 528 000 personnes et les ont détenues durant des périodes allant de quelques jours à plusieurs années. Certaines ont été emprisonnées plus d’une fois, en divers endroits et ce total – qui excède la population musulmane masculine totale de la Palestine en 1938 – omet la totalité des arrestations de décembre 1936 à août 1937. Il représente 37 pour 100 de la population totale de la Palestine en 1938. »  

 

Répression et massacres

En septembre 1938, les soldats du Royal Ulster Rifles ont massacré des Palestiniens dans le village d’al-Bassa, suite à la mort de quatre soldats dans l’explosion d’une mine terrestre placée par des activistes à l’extérieur du village, et les survivants furent obligés de creuser une fosse commune pour les victimes, avant que les militaires n’incendient le village et n’en rasent les ruines ensuite.

D’autres massacres suivirent dans les villes de Halhul et de Bayt Rima. En 1938, après le meurtre de deux soldats du Royal Scots, vengé par le dynamitage de la moitié d’un village palestinien, un officier de l’armée britannique écrivit :

« Nos seuls regrets, c’est que l’on ne nous a pas permis de raser la totalité du village (…) Je suis sûr que c’est la seule façon de traiter avec ces gens-là. »

Les Britanniques utilisèrent également l’aide des colons juifs dans la répression et le meurtre de Palestiniens, en enrôlant de grands nombres de policiers juifs. L’un des actes de collaboration les plus spectaculaires vint des Escadrons de nuit spéciaux (Special Night Squads), organisés par l’officier britannique Orde Wingate en 1938. Ces escadrons de la mort tuaient sommairement des Palestiniens ; les hommes étaient alignés à l’extérieur des villages et les escadrons abattaient chaque huitième homme afin d’instiller la terreur aux autres.

Après l’attaque par des Palestiniens de colons juifs à Tibériade, les escadrons de la mort juifs exécutèrent à la mitrailleuse les résidents palestiniens du village de Daburiyyah, qui n’avaient pourtant rien à voir dans cette attaque. Ils fouettèrent des villageois et leur emplirent la bouche de terre imbibée de pétrole après que des militants avaient fait sauter le pipeline de l’Iraq Petroleum Company, une firme appartenant à la Grande-Bretagne.  

L’un dans l’autre, au moment où les Britanniques écrasèrent complètement la révolte en 1939, quelque 9 000 Palestiniens avaient été tués (dont environ 1 500 tués par des militants pour collaboration supposée avec les Britanniques et les sionistes), et plus de 20 000 avaient été blessés. Les tribunaux militaires britanniques condamnèrent en outre 110 révolutionnaires palestiniens à la peine de mort, et ils furent pendus.  

Au vu de cet horrible palmarès des atrocités britanniques, de simples excuses pourraient-elle suffire ? Plutôt que d’intenter des procès en vue d’obtenir des excuses improbables d’une puissance coloniale non repentante comme la Grande-Bretagne, un processus d’action plus indiqué devrait être d’exiger des réparations pour les crimes et destructions commis par les Britanniques à l’encontre des Palestiniens. Ceci pourrait inclure des procès contre les sociétés, banques et compagnies d’assurance complices de ces atrocités.

Alors qu’on pourrait admirer l’engagement et le souhait de l’octogénaire Masri « de recouvrer mes droits et les droits de mon peuple avant ma mort » en cette date anniversaire de la Déclaration Balfour, son argent et ses efforts seraient mieux dépensés au bénéfice du peuple palestinien en réclamant des réparations et des pénalités financières, plutôt que de simples excuses.

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Joseph Massad est professeur de politique arabe moderne et d’histoire intellectuelle à l’université Columbia de New York. Il est l’auteur de nombreux livres et articles universitaires et journalistiques. Parmi ses livres figurent Colonial Effects : The Making of National Identity in Jordan, Desiring Arabs, The Persistence of the Palestinian Question : Essais sur le sionisme et les Palestiniens, et plus récemment Islam in Liberalism. Citons, comme traduction en français, le livre La Persistance de la question palestinienne, La Fabrique, 2009.

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(*) La révolution d’Al-Buraq : l’héritage et la lutte qui se poursuit

(**) Publié le 29 octobre 2021 sur Middle East Eye
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

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Lisez également : Empire britannique : une longue histoire de meurtres, de rapines et de chaos

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