De Leonard Peltier aux Cinq de Terre sainte : Libérez tous les prisonniers politiques

Les campagnes pour Leonard Peltier et les Cinq de Terre sainte sont liées par la lutte qu’elles partagent contre l’impérialisme, le génocide et le colonialisme de peuplement – toutes visant à déporter les peuples autochtones de leurs terres.

En 1977, Peltier était condamné à tort pour avoir facilité et encouragé en juin 1975 le meurtre de deux agents du FBI dans la réserve indienne de Pine Ridge. (Photo : Kenny, via Wikimedia commons)

En 1977, Peltier était condamné à tort pour avoir facilité et encouragé en juin 1975 le meurtre de deux agents du FBI dans la réserve indienne de Pine Ridge. (Photo : Kenny, via Wikimedia commons)


Benay Blend,
21 novembre 2022

Dans l’article « Les Palestiniens sont des Américains autochtones : Il est temps de remanier la langue de l’Histoire », le Dr Ramzy Baroud retrace les liens historiques entre les Palestiniens et les Américains autochtones, qui ont les uns et les autres participé aux luttes indigènes internationales du Sud mondial. Pour avoir été soumise à « l’impérialisme occidental et au colonialisme de peuplement sioniste », la Palestine est un exemple évident d’épuration ethnique, d’apartheid, de génocide et, plus récemment, d’hypocrisie médiatique. Pour cette raison, elle reste au cœur même des mouvements anti-impérialistes du monde entier.

L’article de Ramzy Baroud n’aurait pu paraître à un meilleur moment. Le 24 novembre 2022, cela fera 14 ans que les « 5 de Terre sainte » (Holy Land Foundation 5 – HLF5) ont été arrêtés à tort et emprisonnés aux EU pour le « crime » d’avoir envoyé de la nourriture et des médicaments aux orphelins palestiniens de Terre sainte.

Soutenue par Samidoun, le Réseau de solidarité avec les prisonniers palestiniens, l’organisation Within Our Lifetime (WOLDe notre vivant) prévoit plusieurs journées d’action afin d’attirer l’attention sur cette affaire.

En novembre également, le Grand Conseil de gouvernance du Mouvement indien américain (AIMGCG) a annoncé une action intitulée « La marche vers la justice de Leonard Peltier ». Du 1er septembre au 14 novembre, membres et sympathisants, soit en tout quelque 2 000 personnes, ont marché de Minneapolis, Minnesota à Washington, D.C. afin de rencontrer des responsables du Sénat, de la Chambre et divers comités dans l’espoir que Peltier puisse enfin être libéré.

Les deux campagnes sont liées par la lutte qu’elles partagent contre l’impérialisme, le génocide et le colonialisme de peuplement – toutes visant à déporter les peuples autochtones de leurs terres.

En 1977, Leonard Peltier a été condamné à tort pour avoir encouragé le meurtre de deux agents du Bureau fédéral d’investigation (FBI) dans la réserve indienne de Pine Ridge, en juin 1975.

Membre de l’AIM, Peltier avait participé à l’occupation de Wounded Knee, un siège de 71 jours entre le U.S. Marshalls Office, le FBI, les membres de la tribu des Oglala Lakota et l’AIM.

Selon Akičita Šuŋka-Wakaŋ Ska, le département américain de la Justice a fait disparaître des centaines de milliers de pages de documents qui auraient prouvé l’innocence de Peltier, y compris des preuves balistiques dans la fusillade de 1975 dans la Réserve de Pine Ridge, dans le Dakota du Sud. Sa prochaine audience possible ne pourra avoir lieu qu’en 2024, alors qu’il aura atteint l’âge de 80 ans (il est né le 12 septembre 1944, selon Wikipédia).

Il est significatif que Leonard Peltier a été arrêté après avoir participé aux événements de Wounded Knee, le site où avait eu lieu un massacre en 1890. « Manifestement un acte aux intentions génocidaires », écrit l’historienne Roxanne Dunbar-Ortiz, « il est toujours officiellement considéré comme une ‘bataille’, dans les annales de la généalogie militaire américaine ».

Quand l’AIM est arrivé dans l’intention d’occuper Wounded Knee, c’était en guise de réponse à la violence politique. Selon Akičita Šuŋka-Wakaŋ Ska, le FBI avait fourni à un groupe appelé les Gardiens de la Nation oglala (les Goons) des renseignements sur les membres de l’AIM et il avait ignoré les crimes infligés aux activistes américains autochtones qui n’avaient pas bénéficié de l’appui du gouvernement tribal soutenu par le FBI.

« Depuis la période coloniale, durant la fondation des États-Unis et se poursuivant au vingtième siècle », écrit Mme Dunbar-Ortiz, le colonialisme de peuplement

« s’est traduit par la torture, la terreur, des abus sexuels, des massacres, des occupations militaires systématiques, des déportations de peuples autochtones loin de leurs territoires ancestraux, des déportations forcées d’enfants américains autochtones vers des internats aux allures militaires, la phase d’anéantissement (voir note plus loin, NdT) et une politique de perte de statut ».

Les déportations forcées, les massacres, la détention illégitime, la torture – tout cela et plus encore a également été la politique de l’entité sioniste. En raison des relations étroites de cette dernière avec les États-Unis, les Palestiniens dans ce pays ne sont en aucun cas à l’abri de l’emprise sioniste.

Le 16 novembre 2018, à l’occasion du 10e anniversaire des condamnations injustes des Cinq de la Terre sainte (HLF), le Mouvement de la jeunesse palestinienne (Palestinian Youth Movement -PYM) a sorti une déclaration jointe en compagnie des filles des HLF et de la Coalition pour les libertés civiles.

Dix ans plus tôt, cinq Palestiniens – Shukri Abu Baker, Ghassan Elashi, Mohammed El-Mezain, Mufid Abdulqade et Abdulrahman Odeh – avaient été condamnés sur de fausses accusations d’avoir « fourni du soutien matériel au terrorisme ».

Ce que George W. Bush avait qualifié de « terroriste » était une organisation caritative musulmane qui soutenait des veuves et des orphelins vivant en Palestine occupée. Condamnés sur des preuves forgées de toutes pièces, ils avaient fini par écoper en tout de 65 années d’emprisonnement. En ce moment précis, le mot « terroriste » est utilisé une fois de plus pour justifier l’envoi d’armes à l’Ukraine dans sa guerre contre les forces russes, qualifiées de terroristes par le gouvernement américain.

L’étiquette a été utilisée pour obtenir du soutien à l’invasion impérialiste dès la toute première guerre d’extermination menée contre les peuples autochtones des EU. Différents termes ont été utilisés – éléments hostiles, sauvages, barbares – mais l’intention est restée la même.

La persécution de Leonard Peltier ainsi que des HLF est une extension de ces guerres, aujourd’hui utilisée contre des mouvements de décolonisation un peu partout dans le monde et dont ils font partie.

Dans les deux cas, il s’agit de prisonniers politiques qui, à l’instar de bien d’autres, ont été utilisés comme des exemples de ce qui peut arriver à des activistes de mouvements de libération nationales empêtrés dans les rets du gouvernement.

Alors que l’État sioniste continue d’assassiner impunément des Palestiniens, aidé par plus de 3,8 milliards de USD de soutien militaire américain chaque année, il n’y a plus de « guerres indiennes » directes aux EU : la bataille s’est déplacée dans les tribunaux.

Actuellement, il y a au moins cinq prisonniers politiques de Standing Rock qui ont combattu contre un pipeline illégal traversant leurs terres ancestrales. Ils considèrent leur situation critique comme faisant partie d’une

« lutte élargie se rapportant à la résistance collective, à la souveraineté indigène, aux droits sur la terre et l’eau, à l’emprisonnement politique, à l’abolition de la prison, à la défense juridique du travail des mouvements radicaux, à la violence des entreprises, au colonialisme de peuplement, à la décolonisation et à la culture sécuritaire ».

En effet, le gouvernement fédéral a poursuivi ces Protecteurs de l’Eau en recourant aux mêmes méthodes appliquées pour cibler Peltier :

« poursuites fédérales, incarcération, surveillance, tentatives en vue de diviser et régner, et utilisation de mouchards et de balances, ainsi que fourniture du contexte de maintien de ces réalités à l’égard des nations autochtones, qui a débuté par le colonialisme de peuplement de Turtle Island (surnom de l’Amérique du Nord chez les autochtones, NdT) il y a plus ou moins 500 ans ».

Comme Samidoun la fait remarquer, particulièrement dans son hommage à Abdulrahman Odeh quand il a été libéré de prison en décembre 2020, l’étiquette « terroriste » a été utilisée contre divers groupes – le Mouvement de libération des noirs, les Indépendantistes portoricains et les activistes autochtones – qui combattent l’impérialisme américain et le colonialisme de peuplement.

En utilisant les mêmes tactiques déjà utilisées contre les Palestiniens dans leur patrie, les EU, le Canada, l’UE et le Royaume-Uni ont tenté sans y parvenir de réprimer les Palestiniens de la diaspora qui contribuaient à la lutte dans leur patrie.

Bien des autochtones de ce pays sont en exil eux aussi, pour avoir été déportés vers des zones urbaines à l’époque de la phase d’anéantissement (consistant à évincer en nombre considérable des familles des terres de réserve, NdT) des années 1950. Néanmoins, c’est de cet environnement que l’AIM est né et qu’il est toujours occupé à combattre aujourd’hui pour la libération de Peltier.

« Les liens des traumatismes partagés, de la résistance partagée au colonialisme de peuplement et l’esprit durable de défendre la terre garderont en vie pendant des générations la solidarité entre les Palestiniens et les peuples autochtones de l’île de la Tortue »,

écrit Marion Kawas. S’il est vrai que les uns comme les autres ont subi de nombreuses décennies d’un traumatisme général, ils partagent également un esprit de résistance et de résilience qui a rendue possible leur survie jusqu’à ce jour.

« L’objectif des autorités américaines était de mettre un terme à leur existence (autochtone) en tant que peuples »,

écrit Roxanne Dunbar-Ortiz.

“Très à la façon des Palestiniens, ils ont lutté pour préserver leurs valeurs fondamentales et leur collectivité », utilisant « des formes modernes de résistance armée, des mouvements de libération nationale ainsi que ce qu’on appelle actuellement le terrorisme ».

Malgré l’objectif des autorités américaines de « mettre un terme à leur existence », ce que Roxanne Dunbar-Ortiz qualifie de « génocide moderne », ils ont survécu, comme l’ont fait les Palestiniens, grâce à leur résilience et à leur sumud en tant que peuples.

En 2014, Samidoun a exprimé sa solidarité avec 39 ans de combat afin de libérer Peltier de prison. Connectant la campagne avec la résistance mondiale au colonialisme de peuplement sur des terres indigènes, la déclaration dit qu’il s’agit

« d’un juste combat qui se reflète et dans la résistance palestinienne actuellement et dans la résistance en cours, sans cesse croissante des peuples autochtones aux projets coloniaux de peuplement canadien, américain, australien, néo-zélandais et autres ».

Dans « Le modèle autochtone américain de la Palestine future », l’écrivain activiste Steven Salaita s’étend sur ce point. En effet, il perçoit les autochtones américains comme un modèle pour « la résistance et la survie » palestiniennes. Ils sont toujours là, malgré des siècles de génocide colonial de peuplement et de déportation. « Tant que nous mettrons en pratique une éthique antisioniste sur un terrain colonial », poursuit-il,

« nous nous impliquerons nécessairement dans la police de l’indépendance autochtone, que nous soyons ou pas conscients de cette implication. »

Puisque les antisionistes planifient des actions en vue de libérer les HLF, il serait bon de se souvenir que près de 2 000 personnes ont marché du Minnesota à Washington, DC afin de demander la libération de Leonard Peltier, et vice-versa, les activistes indigènes devraient se rappeler que les Palestiniens ont lutté pendant des générations pour décoloniser leur pays, eux aussi. Les deux mouvements sont liés l’un à l’autre de même qu’ils sont connectés aux luttes de libération partout dans le monde.

Dans une déclaration dénonçant le Traité libre-échangiste des Amériques (FTAA), Peltier suggérait que

« nous devions nous unir au-dessus des limites de race, de classe, de systèmes de croyance et d’âge qui, bien trop souvent, nous divisent ».

L’incapacité de surmonter des divisions, mettait-il en garde, signifierait la défaite.

« Nous devons développer une culture mondiale qui nous enseigne, comme le faisaient mes ancêtres »,

poursuivait-il,

« à réfléchir avec soin à l’impact que nos actions et nos mesures auront sur notre Mère Terre, sur nous les uns les autres et sur les futures générations, avant que nous ne les appliquions. Si nous pouvons faire cela, il est certain dès lors que nous pouvons remporter la victoire. »

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Benay Blend a décroché son doctorat en Études américaines à l’Université du Nouveau-Mexique. Ses travaux universitaires portent sur : Douglas Vakoch et Sam Mickey, Éditeurs (2017), « Neither Homeland Nor Exile are Words : Situated Knowledge in the Works of Palestinian and Native American Writers » (Ni patrie ni exil ne sont des mots : Connaissance située dans les œuvres d’auteurs palestiniens et américains autochtones).

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Publié le 21 novembre 2021 sur The Palestine Chronicle
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

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Lisez également : #FreeTheHLF5 : Rejoignez la campagne mondiale pour libérer ces prisonniers palestiniens aux États-Unis

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