Nidal Khazem, combattant assassiné de la résistance
Le 16 mars, Nidal Khazem était assassiné par les forces spéciales israéliennes en même temps que son camarade Yousef Shreim. Mondoweiss s’était entretenu avec Khazem en octobre 2022 au camp de réfugiés de Jénine. Voici son histoire.
Mariam Barghouti, 19 mars 2023
Jeudi 16 mars, une équipe des forces spéciales israéliennes opérant clandestinement en vêtements civils et appartenant à l’Unité Duvdevan pénétrait à Jénine à bord de deux voitures banalisées, afin d’y remplir une mission d’assassinat. Les cibles étaient deux combattants palestiniens de la Brigade de Jénine, le groupe armé de coordination cantonné au camp de réfugiés de Jénine et qui a été en quelque sorte à l’avant-garde de la renaissance de la résistance armée en Cisjordanie depuis le début 2022.
Ces deux combattants étaient Nidal Khazem, 28 ans, et Yousef Shreim, 29 ans.
À 15 heures, Khazem et Shreim étaient ensemble sur la même moto, dit-on, rue Abu Bakr à Jénine, quand les soldats israéliens en civil leur ont tiré dessus sans sommation, touchant l’un des deux hommes à la tête et l’autre au dos. Un adolescent de 14 ans, Omar Awadin, qui se trouvait dans la ligne de tir, a lui aussi été abattu et tué alors qu’il était à vélo.
Une vidéo poignante montre Khazem gisant à plat ventre sur le sol au moment où l’un de ses assassins israéliens se penche sur lui pour l’achever d’une balle dans la tête et confirmer ainsi son décès.
Quand l’unité israélienne s’est retirée, des Palestiniens ont tenté de poursuivre sa voiture et de la coincer, jusqu’au moment où les agents israéliens à bord ont ouvert le feu sur la foule, blessant mortellement Luai Zughayyar, 37 ans, et touchant 20 autres personnes, dont quatre sont toujours dans un état critique, a rapporté le ministère palestinien de la Santé.
Nidal Khazem était un membre en vue des Brigades Al-Quds, l’aile armée du Djihad islamique palestinien (DIP), alors que Yousef Shreim était l’un des commandants de la branche locale du camp de Jénine des Brigades Izz al-Din al-Qassam, l’aile armée du Hamas.
« Nidal fut l’un des premiers à affronter l’armée israélienne »,
peut-on lire dans une déclaration de la messagerie Telegram des Brigades Al-Qassam de Jénine.
« Nidal représentait une nuisance considérable, pour l’occupation. »
Le 26 octobre dernier, il s’était entretenu avec Mondoweiss juste en dehors du camp de réfugiés de Jénine. Voici son témoignage.
D’ingénieur en mécatronique à combattant de la résistance
Le contexte factionnel de Khazem présentait plusieurs facettes, mais il s’identifiait clairement au DIP en tant qu’organisation de résistance armée. Il occupait un rôle central dans la Brigade de Jénine, mais il commandait également un bataillon armé connu sous le nom de Quwwat al-Bahaa’, ou la Force Bahaa’, d’après Bahaa’ Abu al-Ata, le commandant abattu des Brigades Al-Quds dans le nord de la bande de Gaza (assassiné par une frappe de l’aviation israélienne en novembre 2019).
Avant de devenir combattant, Khazem avait fait des études en ingénierie mécatronique. Bien qu’il manquât de pratique, il avait compris l’anglais lors de l’interview, mais avait insisté pour qu’on lui répète toutes les questions en arabe, peut-être pour une question de principe.
Au moment de son interview, Khazem était de façon plutôt surprenante le seul combattant de la résistance qui ne voyait aucun inconvénient à ce qu’on utilise son nom en public.
« Vous pouvez utiliser mon nom », nous avait-il dit, à moi et à un autre journaliste international alors que nous nous trouvions juste à l’extérieur du camp de réfugiés de Jénine et qu’un drone israélien bourdonnait à distance au-dessus de nous. Il était 3 heures de l’après-midi, le 26 octobre 2022.
« Utiliser mon nom ne me pose aucun problème, puisque nous nous défendons nous-mêmes », avait expliqué Khazem.
Khazem a passé cinq années de sa brève existence dans les prisons israéliennes, dont une moitié ou presque en détention administrative, sans accusation ni procès. Très récemment, il avait été libéré de sa détention administrative qui avait débuté en mai 2021, et il avait ensuite rejoint la lutte armée.
Malgré sa large carrure et sa taille imposante, le jeune homme arborait une grande confiance en soi sans toutefois se montrer délibérément intimidant. Habillé de vêtements et de baskets noirs, il avait été rejoint par deux autres jeunes combattants qui montaient la garde autour du périmètre en cas de raid de l’armée ou de présence d’hommes déguisés des forces spéciales israéliennes.
« Quand la résistance armée a débuté, [Israël] a d’abord tenté de se livrer à des arrestations afin d’étouffer [la vague de résistance] »,
avait expliqué Khazem à Mondoweiss.
« Quand cela a échoué, ils ont opté pour les assassinats. »
Ces assassinats ont poussé de plus en plus de jeunes, dont Khazem, vers la confrontation armée.
« Ils en tuaient cinq », dit-il, « et le lendemain, ils en avaient 25 devant eux [de nouveaux combattants]. »
Les traits de son visage n’avaient pas bougé ni changé quand il avait expliqué la motivation des jeunes du camp, désireux de se lancer dans la lutte après la mort de leurs amis. Quand on lui avait demandé ce qui l’avait poussé à prendre les armes, il était devenu manifeste que c’était en même temps un choix conscient et un acte issu d’une nécessité.
« Ils s’amènent ici et ils tuent nos amis », avait-il dit. « Ils ont tué mes deux cousins. Ils s’en prennent aux femmes. Ils poursuivent leurs incursions à l’intérieur d’Al-Aqsa, et ils… »
Khazem s’était tu un instant, comme s’il avait ressenti brusquement, le poids de toutes ces choses en même temps. Puis, il avait poursuivi :
« Quand ils ont tué mon cousin, moi-même et cinq autres combattants nous sommes engagés [dans la résistance armée]. »
Ce cousin était Raad Khazem, 28 ans, résident du camp qui avait effectué une opération de coups de feu en avril 2022, rue Dizengoff à Tel-Aviv, tuant trois Israéliens, et qui avait échappé à la capture pendant plusieurs heures en pleine ville avant d’être finalement abattu par balles.
L’attaque de Khazem fut l’une des premières opérations de « loup solitaire » à être utilisées par l’armée israélienne comme prétexte au lancement de l’opération « Break the Wave » (Rompre la vague, ou Brise-Lame), laquelle, en fait, avait déjà été enclenchée un mois plus tôt. Dans le cadre de cette offensive militaire, l’armée israélienne avait également tué le frère de Raad, Abdul Rahman Khazem, en septembre 2022.
Cette vague de résistance, qui avait déjà débuté à Jénine au moment de l’Intifada de l’Unité, en 2021, s’était rapidement étendue à Naplouse et, en février, l’armée israélienne assassinait déjà des jeunes armés de la Vieille Ville.
Nidal Khazem s’était souvent rendu à Naplouse pour rallier la résistance armée là aussi. Des images diffusées dans les médias sociaux par des amis, des proches et des camarades de Khazem montrent le jeune homme en compagnie de Farouq Salameh, 28 ans, assassiné le 3 novembre 2022, de Mateen Dabaya, 20 ans, tué le 14 octobre 2022, et Adham Mabrouka, 26 ans, l’un des cofondateurs du Lions’ Den, assassiné en compagnie de deux de ses camarades le 8 février 2022.
Nidal avait choisi de rallier le Djihad islamique car l’organisation lui faisait l’effet de n’être intéressée ni par le pouvoir ni par l’obtention d’un statut social. Il croyait plutôt que le DIP menait une quête honnête de la libération. « Il n’y a rien d’autre », disait-il.
« Le DIP ne cherche ni l’argent ni une situation, vous savez… au contraire du Hamas ! », avait-il dit en riant et en adressant un clin d’œil à un homme debout à ses côtés et connu pour être affilié au Hamas – la Brigade de Jénine englobait une diversité de combattants de différentes factions, combattant ensemble quand c’était nécessaire et séparément quand elles menaient des offensives indépendantes.
« Le DIP a un but, qui est de lutter et de libérer la Palestine », avait-il dit. « Honnêtement, j’aime le DIP et j’aime la Brigade de Jénine mais, en fin de compte… nous combattons parce que nous devons le faire. »
La base sociale de la résistance
Lors d’une interview accordée à Mondoweiss le 25 octobre 2022, un combattant de la résistance du Lions’ Den à Naplouse, affichant le nom de guerre d’Abu Bashir, avait exprimé sa frustration de ce qu’une poignée de jeunes combattants de la résistance portaient l’unique responsabilité de la lutte.
« Pourquoi cinquante d’entre nous devraient-ils porter le fardeau de toute une nation ? », s’était-il interrogé.
Les propres réflexions de Nidal Khazem lors de mon interview avec lui un peu plus tôt ce même mois semblaient mieux comprendre l’état supposé d’inertie populaire parmi les Palestiniens. « Les gens aident », avait-il reconnu.
En réfléchissant à sa déclaration, il avait également commenté les sentiments d’isolement que lui et ses camarades éprouvaient souvent. Cela ne pouvait se comprendre que par le fait que la politique systématique d’Israël des punitions collectives cherchait à monter le peuple contre la résistance et à implanter la crainte au sein des communautés palestiniennes.
De nouveau, Nidal avait semblé très bien connaître le sujet.
« Nous ne demandons pas l’aide des gens », avait-il expliqué. « La population [palestinienne] est généralement affaiblie, et ainsi donc nous puisons les uns les autres dans nos forces mutuelles et nous nous appuyons sur la force du camp. »
Dans le même temps, Khazem n’était pas du tout aveugle à la réalité sur le terrain.
« Tous ces Palestiniens tués et toutes les batailles qui ont lieu – ce sont les atmosphères d’une intifada. »
Dans de telles circonstances, les forces israéliennes font entendre clairement que tout individu ayant le moindre lien associatif avec des combattants de la résistance sera traité comme un ennemi et puni en tant que tel, soit via son arrestation, soit via la démolition punitive de sa maison. Il n’est pas étonnant que certains choisissent de se distancier des jeunes gens armés, en dépit de la sympathie populaire massive dont ces jeunes bénéficient.
« Certains s’écartent des hommes recherchés parce qu’ils ont peur », avait dit Khazem. « Certains accueillent les combattants de la résistance dans leur maison et leur donnent refuge mais certains disent aussi : ‘De grâce, ne venez pas ici, s’il vous plaît.’ Et c’est parce qu’Israël les punit », avait-il expliqué.
Les punitions infligées à ceux qui sont les amis ou les proches des combattants de la résistance ont souvent lieu sous forme d’arrestation et de démolition de maison, mais des formes plus larges de punition collective infligée à la population tout entière sont également monnaie courante.
« Prenez le check-point de Jalama », avait cité Khazem en exemple. « Pourquoi les forces israéliennes le tiennent-elles fermé, actuellement ? Elles le font pour embarrasser les commerçants et leurs boutiques, elles veulent infléchir la situation contre nous. »
« Elles veulent accabler les gens économiquement, émotionnellement – à tous les niveaux », avait-il encore expliqué. « Et, pourtant, ces mêmes gens, ces gens que l’on accable ainsi (…) ils s’obstinent à nous dire de continuer, de résister. »
« Notre but est d’obtenir la libération de toute la Palestine mais, ce que nous avons fait en tant que petite organisation est une réussite. » Quand je lui avais demandé s’il imaginait la liberté, sa réponse avait été vive. « Oui, si Dieu le veut. Voyez le camp. Le camp est une zone libérée. »
Sa remarque n’était pas inexacte. Il y a une raison pour laquelle il a finalement été assassiné dans la ville de Jénine – c’est-à-dire en dehors du camp de réfugiés et loin du havre de guérilla que lui et ses camarades s’étaient creusé pour eux-mêmes et leur communauté.
« Mais en tant que Brigade de Jénine », avait-il précisé. « Nous ne pouvons libérer la Palestine. »
C’est la raison pour laquelle je lui avais demandé comment il espérait passer de la libération du camp – en empêchant les incursions israéliennes quasi quotidiennes – à la libération de l’ensemble de la Palestine.
« Les gens doivent se réveiller. Personne n’est éveillé », avait-il répondu.
Accaparant un moment de la conversation, Khazem avait regardé le drone qui approchait de l’endroit où nous étions. À la question de savoir s’il avait peur ou pas d’être assassiné par les forces spéciales israéliennes, il avait répondu avec calme et fermeté :
« Pas du tout. Nous les attendons. »
La complicité de l’Autorité palestinienne
Le 19 mars, quelques jours à peine après l’assassinat barbare de Nidal Khazem, l’Autorité palestinienne rencontrait des représentants de la sécurité israéliens, américains, jordaniens et égyptiens dans la ville égyptienne de Sharm El-Sheikh.
C’était la seconde réunion de ce genre, après le sommet d’Aqaba, fin février. Le but de ces réunions est de mettre à l’arrêt le mouvement croissant de résistance armée en Cisjordanie, lequel a évolué bien au-delà de l’influence et du contrôle de l’AP.
Cette évolution n’a certes pas eu lieu suite à un manque d’efforts de la part de l’AP. Il y a quelques mois à peine, en septembre et octobre 2022, l’AP a tenté de reprendre le rôle d’Israël – mater la résistance armée – en arrêtant plusieurs combattants de la résistance à Naplouse, dont un membre du Lions’ Den affilié au Hamas, Musab Shtayyeh.
L’AP a également tenté de soudoyer les combattants pour les avoir hors des rues, en leur proposant des promesses d’amnistie pour avoir pris les armes, ainsi qu’en leur offrant un poste permanent au sein des forces sécuritaires de l’AP, outre des incitatifs pécuniaires.
Nidal Khazem avait été l’un des nombreux combattants que l’AP n’avait pu convaincre.
« L’AP a essayé de nous mater, elle nous a proposé bien des choses, même à moi », avait-il dit à Mondoweiss. Puis, non sans une certaine fierté, il avait dit : « Mais j’ai refusé. J’ai choisi une voie, et je m’y suis sans cesse tenu depuis. »
Plus souvent que jamais, la campagne de répression de l’AP est passée de la carotte au bâton. Dès 2021, l’AP a d’abord entamé son escalade contre la présence armée dans le camp, et ce, pour le compte des responsables de la sécurité israélienne. Selon Khazem, la campagne de ciblage des combattants par l’AP avait duré au moins six mois.
« L’AP s’en est prise à nous, et elle a arrêté quatre jeunes garçons, mais elle n’a rien pu faire », avait expliqué Khazem. « C’est alors que les Israéliens ont commencé à venir nous arrêter. »
« C’est à ce moment également qu’ont débuté les opérations [de résistance palestinienne] en dehors du camp, y compris les tirs sur les check-points militaires », avait-il poursuivi.
Après avoir refusé de se rallier à l’AP, Khazem lui-même était devenu l’une de ses cibles dans le camp.
« Ils ont essayé à deux reprises de me tirer dessus, ces dix-huit derniers mois », avait-il expliqué à Mondoweiss.
Dans le sillage de l’assassinat de Nidal Khazem, son père, Amin Khazem, avait posté dans les médias sociaux un message à l’adresse du commandant de l’AP à Jénine.
« Quant à ce à quoi il est fait allusion au quartier général des prétendues forces de sécurité palestiniennes », avait écrit Amin, « je n’oublierai pas que l’arrestation de mon fils était l’une des toutes premières de vos priorités et de celles de votre patron. »
Le père endeuillé continuait en insistant sur le rôle de l’AP dans l’anéantissement des espoirs palestiniens en vue d’empêcher la poursuite des tueries d’Israël, la violence de ses colons et les confiscations de terres.
« J’écris en sachant que ces quartiers généraux ne travaillent qu’au service et à l’entretien de la sécurité de l’occupation », avait encore écrit Amin.
Ils ont hérité un monde qui n’est pas le leur
Si l’on concède aux jeunes armés leur banalité et leurs faiblesses, force est toutefois d’admettre que nombre d’entre eux sont passablement écœurés et éreintés par ce qu’ils ont perdu, même s’ils conservent leur détermination à vouloir se battre, que ce soit à l’aide d’un fusil ou en lançant des pierres.
En agissant de la sorte, le mouvement qu’ils ont créé a fini par moins concerner les combattants pris individuellement et par impliquer davantage les idées de changement qu’ils ont intégrées, en abordant une existence bien à eux pouvant les mener au-delà de la mort.
« Ibrahim est une idée et les idées ne meurent pas », avait expliqué à Mondoweiss un camarade d’Ibrahim al-Nabulsi, lors de la commémoration de ce qui aurait été son 19e anniversaire, s’il n’avait été abattu.
Quand les jeunes Palestiniens se sont démenés pour mettre de côté le peu d’armes qu’ils pouvaient avoir, ils ont attiré l’attention sur eux, ce qui en a fait les cibles des missions d’assassinat israéliennes. Lentement, ils se sont organisés en groupes et, en fin de compte, ils n’ont eu d’autre choix que de prendre soin les uns des autres, puisqu’ils n’avaient personne d’autre qui aurait pu les protéger.
Ils sont devenus des symboles — pour leurs ennemis comme pour ceux qu’ils aimaient – mais ils ne sont restés ni des hors-la-loi ni ses saints. Comme la plupart des jeunes qui naviguent dans le monde, ils sont des jeunes qui en sont venus à reconnaître la distinction entre le monde qu’ils ont hérité et le monde qu’ils veulent voir. Ils ont eu le courage de se révolter contre ce monde et de le changer, même si ce n’est que peu à peu.
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Mariam Barghouti est la principale correspondante de Mondoweiss sur la Palestine.
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Publié le 16 mars 2023 sur Mondoweiss
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine