Le déchaînement d’Israël à Jénine ne change rien

Très tôt, mercredi, Israël a retiré ses troupes du camp de réfugiés de Jénine après une offensive de deux jours – la plus importante en Cisjordanie occupée depuis deux décennies.

 

Une rue détruite par l’armée israélienne lors de l’invasion de Jénine le 5 juillet.

Une rue détruite par l’armée israélienne lors de l’invasion de Jénine le 5 juillet.  (Photo : Alaa Badarneh / EFE)

Maureen Clare Murphy, 6 juillet 2023

Au moins 13 Palestiniens, dont quatre enfants, ont été tués durant l’incursion. Un soldat israélien d’une unité d’élite, qui résidait à la colonie de Beit El, a été abattu lors de ce que l’armée estime avoir été un incident de tir fratricide qui s’est produit au moment où les troupes se retiraient.

Dans une déclaration publiée sur Telegram, l’aile armée du Djihad islamique a fait allusion à de multiples pertes israéliennes supplémentaires.

Un porte-parole de l’armée israélienne a prétendu que 18 combattants palestiniens avaient été tués.

Des milliers de personnes ont défilé dans le camp mercredi, lors d’un cortège funèbre en l’honneur de ces morts.

L’agence d’information officielle palestinienne WAFA a rapporté que plus de 140 personnes avaient été blessées durant le raid et que 20 d’entre elles se trouvaient dans un état critique.

Lundi, des milliers de résidents ont fui au cours de l’assaut aérien et terrestre qui a provoqué d’importantes destructions dans le camp, lequel avait été reconstruit après qu’une grande partie en avait été rasée lors d’une opération de massacre effectuée par l’armée israélienne en 2002.

Les Palestiniens ont dit que l’armée israélienne « les avait encouragés activement à quitter leurs foyers », a rapporté Haaretz, le journal de Tel-Aviv, bien que l’armée ait réfuté les infos disant qu’elle avait ordonné l’évacuation.

Selon l’envoyé du Centre palestinien pour les droits humains (CPDH) présent sur les lieux, des familles lui ont expliqué que,

« via des haut-parleurs, les soldats israéliens avaient ordonné aux familles palestiniennes qui étaient piégées dans le camp de s’en aller dans les dix minutes, alors que dans d’autres quartiers, elles leur avaient donné une heure pour vider les lieux ».

 

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L’organisation de défense des droits a ajouté que les forces israéliennes

« avaient mené une campagne d’arrestations massives visant des dizaines de Palestiniens qu’elles avaient ensuite emmenés vers une destination inconnue après avoir soumis certains d’entre eux à des traitements dégradants et à des interrogatoires ».

L’armée israélienne a déclaré qu’environ 120 Palestiniens avaient été arrêtés.

Physicians for Human Rights – Israel (PHR-I – Médecins pour les droits humains – Israël) a déclaré que trois hôpitaux avaient été attaqués lors de l’offensive militaire,

« ce qui avait gravement endommagé leurs capacités opérationnelles ».

Israël a prétendu que les Palestiniens avaient tiré des coups de feu depuis un hôpital, « ce qui avait entraîné la perte de sa protection en vertu des lois humanitaires internationales », a ajouté le groupe de défense des droits.

« Pourtant, des rapports indiquent que les forces israéliennes n’ont pas pris toutes les précautions possibles dans leur riposte aux coups de feu – comme le requiert la loi – et qu’elles ont compromis la capacité de l’hôpital à soigner ses patients »,

a estimé PHR-I.

Cinq civils ont été blessés, dont trois sérieusement, quand les forces israéliennes ont pris d’assaut l’hôpital gouvernemental de Jénine,

« en lançant des gaz lacrymogènes et en tirant à balles réelles »,

dans le même temps que le bâtiment était surpeuplé de patients et de membres du personnel », a ajouté l’organisation.

 

Des Palestiniens ont fait main basse sur un drapeau israélien abandonné à la suite de l’offensive militaire contre le camp de réfugiés de Jénine, le 5 juillet.

Des Palestiniens ont fait main basse sur un drapeau israélien abandonné à la suite de l’offensive militaire contre le camp de réfugiés de Jénine, le 5 juillet. (Photo : Mohammed Nasser / APA images)

 

DCI-P a déclaré que « les forces israéliennes avaient détruit de nombreuses habitations palestiniennes en faisant sauter leurs murs ».

En outre, les forces d’occupation ont détruit des routes et plusieurs mosquées et ont bombardé le Club sportif et le Théâtre de la Liberté locaux.

« Les forces israéliennes ont également coupé l’accès à l’électricité, à l’eau et aux télécommunications pour les Palestiniens vivant dans le camp de réfugiés de Jénine »,

a précisé l’organisation de défense des droits.

 

Un cuisant échec

Le ministre israélien de la Défense Yoav Galant a dit aux journalistes militaires que l’armée avait « totalement réalisé » ses objectifs. Il a déclaré qu’un atelier d’explosifs avait été détruit et que l’armée avait assuré la capacité des troupes d’occupation à se déplacer à travers le camp lors de futures opérations.

Le porte-parole de l’armée israélienne a dit que la frappe contre l’atelier « entravait grandement » les capacités du Hamas, ajoutant que l’armée tenait l’organisation de résistance pour « responsable de toutes les activités terroristes émanant de la bande de Gaza et qu’elle supportera donc les conséquences de ses violations sécuritaires contre Israël ».

Très soucieux de présenter l’invasion comme un succès tactique, l’armée et le Shin Bet, l’agence israélienne des renseignements intérieurs, ont déclaré que des milliers d’armes, dont des munitions et des matériaux pour la fabrication d’explosifs, avaient été confisqués au cours de l’opération.

Israël estime qu’il y a quelque 300 combattants dans le camp de réfugiés de Jénine mais qu’au cours du raid ses forces n’ont confisqué que 10 engins explosifs improvisés, 24 fusils et huit armes de poing, suggérant par-là que l’armée n’a pas autant affaibli les capacités de la résistance que ne le prétend son porte-parole.

Les Palestiniens de Jénine ont fait la fête après le retrait d’Israël et les factions de la résistance ont revendiqué la victoire contre les forces d’occupation. Le Djihad islamique a déclaré que les combattants avaient « déjoué les tactiques de l’ennemi ».

De son côté, le Hamas a qualifié d’échec l’opération israélienne.

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La tentative de l’armée de présenter ses efforts comme un coup majeur contre la résistance armée, alors que les Palestiniens célèbrent le retrait comme une victoire, s’inscrit dans le modèle bien établi des offensives répétées d’Israël contre Gaza.

Israël a surnommé ces opérations de « tonte du gazon » puisque, finalement, les tentatives militaires en vue de faire reculer temporairement les combattants palestiniens, permettaient non seulement à ces derniers de regagner leurs capacités, mais aussi de les accroître.

 

Cette violence épisodique, souvent motivée en partie par la politique interne israélienne, est requise par Israël afin de maintenir son régime de colonies de peuplement renforcé par un système d’apartheid et d’occupation militaire permanente.

Yonah Jeremy Bob, un célèbre correspondant militaire pour le journal de droite Jerusalem Post, a reconnu que

« les combattants de Jénine sont ce qui compte et qu’Israël, jusqu’à présent, n’a pu détruire que des infrastructures ».

Les explosifs improvisés confisqués par Israël « sont en outre faciles à remplacer ».

Le 4 juillet, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou observe les alentours de Jénine à bord d’un hélicoptère.

Le 4 juillet, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou observe les alentours de Jénine à bord d’un hélicoptère. (Photo : Cabinet du Premier ministre)

 

Pour modifier l’équation à Jénine, l’armée devrait arrêter ou tuer quelque 300 combattants, « et, ensuite, elle pourrait devoir recommencer l’opération, et la recommencer encore » – tout en exposant ses hommes au risque d’être blessés, tués ou capturés.

Bob d’ajouter :

« Quand l’armée israélienne dit qu’elle a neutralisé plus de 1 000 explosifs improvisés et autres armes, tout en ne tuant que 12 Palestiniens, c’est réellement son gros titre de rattrapage pour dissimuler le fait qu’elle a lancé une opération massive qui a laissé la plupart des combattants palestiniens en liberté. »

En raison de toute cette vantardise de l’armée, « Israël n’obtiendra sans doute rien de plus qu’un répit temporaire de la part de Jénine », estime encore Bob.

Yoav Galant, le ministre israélien de la défense, et Benjamin Netanyahou, le Premier ministre, ont concédé que l’armée pourrait avoir besoin de retourner à Jénine – une reconnaissance tacite de ce que l’armée n’a pas pu atteindre ses objectifs.

 

Un refus de capituler

Dans chaque opération militaire israélienne d’importance, l’histoire reste la même – on prétend à l’adresse du public israélien que les organisations « terroristes » se sont vu infliger un coup sévère.

En réalité, le désir des Palestiniens de résister aux injustices de plus en plus lourdes n’en est ressorti que galvanisé.

 

Au cours du siècle écoulé, les Palestiniens ont refusé de capituler face aux forces impérialistes et aux colonisateurs, qu’il s’agisse des Britanniques ou des milices sionistes qui ont perpétré le nettoyage ethnique de la patrie palestinienne sur laquelle a été proclamé l’État d’Israël.

La population du camp de réfugiés de Jénine est constituée de Palestiniens qui ont été déportés au cours du nettoyage ethnique qui a eu lieu pendant, avant et après la déclaration de l’État d’Israël en 1948, ainsi que de leurs descendants.

Qu’importe la sophistication de la guerre et des renseignements d’Israël, « le désespoir et la haine nés d’une occupation militaire longue actuellement de 56 ans et sans que sa fin soit en vue, ne s’éteindront pas », a dit mercredi Anshel Pfeffer, un correspondant du quotidien Haaretz.

Pendant des mois, les Palestiniens de Gaza ont marché à la frontière d’Israël pour revendiquer leur droit au retour, même quand les snipers de l’armée tuaient et blessaient des manifestants en permanence. De même, aucun degré croissant de violence israélienne n’éteindra jamais la revendication de la population de Jénine de pouvoir exercer ses pleins droits.

La brutalité qu’Israël fait subir aux Palestiniens n’a en attendant jamais garanti la sécurité de sa population de part et d’autre de la Ligne verte.

En effet, huit personnes ont été blessées, dont trois grièvement, dans un attentat à la voiture-bélier et une attaque au couteau à Tel-Aviv mardi, le deuxième jour de l’offensive contre Jénine.

L’assaillant supposé, Abd al-Wahab Khalaila, un Palestinien de la région de Hébron, dans le sud de la Cisjordanie, a été exécuté par un civil armé.

 

Le personnel israélien inspecte le site d’un attentat à la voiture-bélier et d’une attaque au couteau à Tel-Aviv, le 4 juillet.

Le personnel israélien inspecte le site d’un attentat à la voiture-bélier et d’une attaque au couteau à Tel-Aviv, le 4 juillet. (Photo : Ilia Yefimovich / DPA)

Et, quelques heures après le retrait des troupes israéliennes de Jénine, un homme armé a ouvert le feu sur un véhicule de la police israélienne, « occasionnant des dégâts mais pas de pertes humaines », a rapporté The New York Times.

Ces attaques contre des Israéliens sont la conséquence inévitable des opérations militaires qui se soldent par des pertes en vies palestiniennes.

Amos Harel, un correspondant de Haaretz, a fait remarquer que cette « danse macabre est loin d’être terminée – et c’est un fait qu’aucune opération militaire ne modifiera, et surtout pas dans l’immédiat ».


Le traumatisme et la colère palpable

Une autre conséquence inévitable des offensives militaires réside dans le traumatisme assaillant les Palestiniens qui les subissent.

Des familles de Jénine ont décrit les soldats israéliens qui défonçaient les portes de leurs maisons et saccageaient leurs biens à la recherche d’armes. Des snipers israéliens réquisitionnaient certaines résidences alors que d’autres étaient rasées.

 

Des résidents ont expliqué à Al Jazeera qu’ils croyaient qu’Israël détruisait les routes et les autres infrastructures civiles dans une vaine tentative en vue de retourner le sentiment public contre la résistance, ce qui aurait ainsi forcé les activistes à se rendre.

L’espoir du ministre israélien de la défense, Galant, que l’incursion à Jénine allait donner un bon coup de pouce à l’Autorité palestinienne, qui a perdu depuis longtemps le contrôle de la ville, a certainement été réduit en pièces mercredi. Un reportage en direct d’Al Jazeera en arabe a montré des gens en deuil qui chassaient des fonctionnaires du gouvernement de Ramallah d’un vaste cortège funèbre en l’honneur des tués :

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https://twitter.com/ShehabAgency/status/1676557503843258369?ref_src=twsrc%5Etfw%7Ctwcamp%5Etweetembed%7Ctwterm%5E1676557503843258369%7Ctwgr%5E9d085058952d51f7801a318e20af3779d1c88a4e%7Ctwcon%5Es1_&ref_url=https%3A%2F%2Felectronicintifada.net%2Fblogs%2Fmaureen-clare-murphy%2Fisraels-rampage-jenin-changes-nothing

 

Plutôt que de renforcer l’Autorité palestinienne – qui a été incapable de protéger les gens à Jénine, de la même manière qu’elle a été incapable de les protéger lors des récents pogroms des colons – le raid israélien n’a fait qu’illustrer sa faiblesse et enhardir les Palestiniens à lui témoigner tout leur mépris.

Ghassan Khatib, commentateur et ancien ministre palestinien, a déclaré que « l’une des victimes de l’invasion israélienne de Jénine n’est autre que l’Autorité palestinienne, qui s’en trouve plus marginalisée encore ».

La publication en ligne Middle East Eye a rapporté mercredi que

« un sentiment palpable de colère pouvait être perçu dans les rues de Jénine (…) avec de nombreuses personnes qui croyaient que l’AP avait été négligente et incapable de protéger les Palestiniens. »

 

Mercredi, des spécialistes indépendants des droits humains travaillant pour l’ONU ont dit que les frappes aériennes et l’invasion israéliennes pouvaient constituer un crime de guerre.

Alors qu’Israël prétendait que l’incursion était une mesure « contreterroriste », les experts ont déclaré que

« les attaques constituent une punition collective à l’encontre de la population palestinienne, laquelle a été qualifiée de ‘menace sécuritaire collective’ par les autorités israéliennes ».

« Pour que cesse cette violence incessante, il faut que cesse l’occupation israélienne », ont déclaré les experts. « Cette occupation ne peut être corrigée ni amendée dans les marges, parce qu’elle est mauvaise en son cœur même. »

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Maureen Clare Murphy est rédactrice en chef de The Electronic Intifada.

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Publié le 6 juillet 2023 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

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