Dans le camp israélien Sde Teiman, on torture jusqu’à ce que mort s’ensuive

La torture, les amputations, l’odeur fétide des blessures restées sans soins, tout cela flotte lourdement dans l’atmosphère pénible du complexe carcéral de Sde Teiman.

 

À l'intérieur du camp israélien Sde Teiman, où l'on torture jusqu'à ce que mort s'ensuive. Photo : 5 mai 2024. Des Palestiniens participent à un sit-in de protestation à l'hôpital des Martyrs d'Al-Aqsa, à Deir Al-Balah. Ils dénoncent l'assassinat du Dr Adnan Al-Barash dans une prison israélienne.

5 mai 2024. Des Palestiniens participent à un sit-in de protestation à l’hôpital des Martyrs d’Al-Aqsa, à Deir Al-Balah. Ils dénoncent l’assassinat du Dr Adnan Al-Barash dans une prison israélienne. (Photo : Ali Hamad / APA images)

 

Tamara Nassar, 19 mai 2024

Naguère base militaire située entre Beersheba et Gaza, dans le sud de la région du Néguev, le site a été transformé en centre de détention pour Palestiniens, dont certains ont été arrêtés à Gaza avant d’être transférés vers d’autres prisons.

Trois Israéliens qui travaillaient au complexe même, et qui ont peut-être participé à des sévices contre les Palestiniens, ont livré à CNN des témoignages et des images concernant ce à quoi ils avaient assisté.

Ces lanceurs d’alerte ont dépeint une image sinistre de ce qui équivaut à un camp de torture, où des Palestiniens sont détenus sans la moindre accusation, interrogés et expédiés ensuite vers l’un ou l’autre centre de détention ou renvoyés tout simplement à Gaza.

Le site se divise en deux zones : l’une destinée à la détention de 70 Palestiniens de Gaza, où ils sont soumis à de sévères contraintes physiques, rapportait CNN.

L’autre section sert de prétendu hôpital de campagne, où les détenus blessés sont immobilisés et arrimés à leur lit, forcés de déféquer dans des langes et nourris à la paille.

Trois bases de l’armée au moins ont été transformées en sites de détention depuis le début du génocide israélien à Gaza, le 7 octobre, du moins si l’on s’en tient à ce que l’armée israélienne a admis : Sde Teiman en Israël, et les bases militaires d’Anatot et d’Ofer en Cisjordanie occupée.

Le nombre de Palestiniens détenus dans ces sites est inconnu.

Lors de son invasion terrestre, l’armée israélienne a converti des écoles de Gaza en bases militaires et centres de détention, rapporte l’organisation Euro-Med Human Rights Monitor (Euro-Med).

Un exemple remarquable n’est autre que l’école préparatoire Salah al-Din, à Gaza même. En février, cette école a été transformée par les forces d’occupation israéliennes en un centre de détention et d’interrogatoire pour des centaines de Palestiniens,

De récents amendements juridiques ont préparé la voie à ce genre de sites, entre autres la « loi des combattants illégaux », qui étend les pouvoirs des autorités israéliennes relatifs à l’arrestation et à la détention de Palestiniens sans accusation ni procès, sans possibilité de voir un juge ou de bénéficier d’un contrôle légal pendant un laps de temps allant jusqu’à 75 jours après l’arrestation.

Les détenus peuvent également se voir privés de conseil juridique pendant six mois.

Parmi les « combattants illégaux », on a même trouvé une Palestinienne âgée souffrant de la maladie d’Alzheimer.

Des Palestiniens anciennement détenus à Sde Teiman ont également décrit les conditions effroyables que leur imposaient les autorités israéliennes.

Des photos parvenues à CNN montrent des files de prisonniers menottés, les yeux masqués par des sacs, et alignés derrière une clôture sous des projecteurs.

« Les prisonniers sont soumis à des tabassages collectifs et violences en tous genres de la part des soldats, qui leur hurlent des grossièretés que les prisonniers sont incapables de répéter »,

a rapporté l’organisation Addameer, qui défend les droits des prisonniers.

« Ils sont également forcés de s’agenouiller sur du gravier ou de l’asphalte, de passer des journées entières les mains liées et les yeux couverts d’un sac, et dans l’incapacité de se parler entre.

Addameer a expliqué que les interrogateurs israéliens torturaient les détenus et les soumettaient à des

« traitements qui leur ôtaient toute dignité »,

y compris des positions de contrainte pendant des heures d’affilée ainsi qu’en les privant de sommeil durant des journées entières.

L’UNRWA, l’agence de l’ONU pour les réfugiés de Palestine, a collecté des informations auprès de centaines de Palestiniens qui ont été arrêtés et détenus depuis le début de l’invasion terrestre d’Israël, fin octobre dernier, a rapporté The New York Times.

Les autorités israéliennes ont soumis les Palestiniens –

« hommes, femmes, enfants, personnes âgées, personnes handicapées »,

selon l’UNRWA – à des mauvais traitements tout au long de leur détention, y compris des violences sexuelles ou des menaces de violence sexuelle.

 

« Le paradis des stagiaires »

Les Palestiniens kidnappés et internés dans le camp-prison sont soumis à des amputations de routine en raison des graves blessures que leur font les menottes, a révélé le mois dernier au journal Haaretz un médecin de terrain israélien qui avait travaillé dans le camp même.

Les lanceurs d’alerte ont donné à CNN des descriptions de l’hôpital de campagne du camp et la chaîne a créé un modèle de vidéo en 3D pour illustrer ces comptes rendus. L’illustration montrait des détenus en position horizontale, presque nus, portant des langes et avec les mains et les pieds liés au lit.

La vidéo montrait une tente comptant jusqu’à 20 détenus.

L’un des lanceurs d’alerte, qui travaillait comme infirmier au prétendu hôpital de campagne du centre de détention, l’a décrit comme un terrain de jeu pour du personnel médical non qualifié. Il a même admis qu’il n’avait pas la formation requise pour les traitements qu’on lui demandait d’administrer.

« C’est un paradis pour stagiaires, puisqu’on peut y faire absolument tout ce qu’on veut »,

a-t-il dit.

« On m’a demandé d’apprendre comment faire certaines choses sur les patients, d’effectuer des procédures médicales mineures qui étaient totalement en dehors de mes capacités »,

a-t-il ajouté.

« Le simple fait d’être là vous donnait l’impression d’être complice de ces violences. »

Le même lanceur d’alerte a déclaré qu’il avait assisté à une amputation effectuée suite à des blessures infligées par les menottes.

Les autorités israéliennes ont garanti que les identités du personnel non qualifié avaient été tenues à l’écart de toute enquête potentielle ultérieure en s’abstenant tout simplement de signer le moindre document médical. Cette confirmation va dans le sens d’un rapport publié un peu plus tôt cette année par l’organisation israélienne de défense des droits, Physicians for Human Rights-Israel (PHR-I, Médecins pour les droits humains-Israël).

Le Dr Mohammed al-Ran, un Palestinien de citoyenneté bosnienne qui dirigeait l’unité chirurgicale à l’Hôpital indonésien dans le nord de Gaza, a décrit pour CNN ce dont il a été témoin alors qu’il était détenu au camp-prison de Sde Teiman.

Après que les forces israéliennes se sont emparées de lui en décembre à l’hôpital al-Ahli de Gaza, al-Ran a été dévêtu, a eu les yeux couverts d’un sac, a été menotté et jeté à l’arrière d’un camion en compagnie d’autres prisonniers palestiniens, dont la plupart étaient à peine vêtus, avant d’être transporté jusqu’au centre de détention.

Au cours de ses 44 jours de détention dans ce centre, le médecin a passé la majeure partie de son temps à servir d’intermédiaire entre les prisonniers et les gardiens.

C’est durant cette période, alors qu’il n’avait plus les yeux bandés, qu’il a assisté aux pires atrocités.

« Une partie de ma torture a consisté à être en mesure de voir comment on torturait les gens »,

a-t-il dit à CNN.

« Au début, vous ne pouviez rien voir. Vous ne pouviez voir la torture, la vengeance, l’oppression »,

a-r-il ajouté.

« Quand ils m’ont libéré les yeux, j’ai pu voir l’ampleur de l’humiliation et de l’avilissement… J’ai pu voir à quel point ils ne nous considéraient pas comme des êtres humains, mais bien comme des animaux. »

 

Pire que la mort

« Addameer affirme qu’il y a une base raisonnable pour prétendre que les forces occupantes commettent des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité sur les prisonniers de la bande de Gaza »,

a déclaré l’organisation de défense des prisonniers.

Cela inclut la complicité du gouvernement, des juges, des autorités carcérales, de la police et de l’armée, ce qui sape par conséquent la crédibilité de toutes les auto-enquêtes, quand il y en a et pour autant même qu’il y ait enquête.

En mars, un exposé révélateur dans Haaretz révélait qu’au moins 27 Palestiniens étaient morts en détention en Israël depuis le 7 octobre. Six seulement ont été identifiés, selon Addameer.

Cependant, ce chiffre pourrait être potentiellement plus élevé, étant donné les rapports dérangeants sur les Palestiniens qui meurent en détention.

Par exemple, la nouvelle n’a éclaté que plusieurs semaines après que le Dr Adnan al-Bursh, 50 ans, chef de la section, orthopédique de l’hôpital al-Shifa à Gaza, a été tué le 19 avril à la prison d’Ofer, en Cisjordanie, d’après l’Autorité palestinienne.

Bien des Palestiniens à Gaza restent manquants, soit qu’ils ont été piégés sous les décombres des bâtiments visés par les tirs israéliens à Gaza, soit qu’ils ont été ensevelis sans pouvoir être identifiés – grâce aux efforts palestiniens en vue d’honorer leurs morts ou dans les fosses communes aménagées par les troupes israéliennes lors de leurs raids terrestres.

Certains Palestiniens peuvent considérer ces sites israéliens comme la dernière chance de pouvoir localiser les membres manquants de leur famille.

Toutefois, un ancien prisonnier affirme que c’est un sort pire que la mort.

Quand le Dr Mohammed al-Ran allait être relâché, un de ses compagnons prisonniers l’avait imploré de retrouver ses proches à Gaza et de leur transmettre un message.

« Il m’a demandé de leur dire qu’il valait mieux pour eux de finir en martyrs »,

a expliqué le Dr al-Ran à CNN.

« Il vaut mieux pour eux de mourir que d’être capturés et détenus ici. »

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Publié le 19 mai sur The Electronic Intifadah
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

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