Le cessez-le-feu est nécessaire pour éviter une épidémie massive de polio à Gaza
À Gaza, après la confirmation d’un cas de polio sur le territoire, les agences d’aide et les professionnels de la médecine réclament un cessez-le-feu afin d’administrer le vaccin antipolio aux 640 000 enfants de moins de 10 ans que compte l’enclave.
Maureen Clare Murphy, 21 août 2024
La semaine dernière, l’UNICEF (le fonds de l’enfance de l’ONU) et l’OMS (Organisation mondiale de la Santé) ont demandé
« des pauses humanitaires (…) pour une durée de sept jours »
afin de permettre deux cycles de vaccination antipolio à Gaza.
L’OMS a approuvé la fourniture à Gaza de 1,6 million de doses du vaccin antipolio et l’UNICEF se chargera de coordonner la livraison des vaccins à travers le territoire, a annoncé le secrétaire général de l’ONU.
Mais,
« sans les pauses humanitaires, il ne sera pas possible de mener la campagne à bon port »,
ont déclaré les deux agences de l’ONU.
« De façon inquiétante, depuis lors, on a rapporté dans la bande de Gaza trois cas d’enfants présentant une suspicion de paralysie flasque aiguë (PFA), un symptôme habituel de la polio »,
ont ajouté les deux agences.
Ces cas ont été rapportés fin juillet par le ministère palestinien de la santé à Gaza et
« des échantillons ont été envoyés en Jordanie afin d’être testés »,
fait savoir UN News.
Vendredi, le ministère de la santé confirmait le premier cas de polio sur le territoire depuis que le virus a été détecté dans des prélèvements d’eau usée en juillet.
Le ministère a déclaré vendredi dernier que des traces du poliovirus avaient été découvertes chez un enfant de 10 mois à Deir al-Balah, dans le centre de Gaza, lequel enfant n’avait pas encore subi de vaccination.
C’est le premier cas de polio à Gaza depuis 25 ans, rapportait CNN. La maladie hautement contagieuse affecte principalement les jeunes enfants et les cas graves peuvent mener à une paralysie permanente et à la mort.
« Il est hautement improbable qu’au moins 50 000 enfants nés au cours des 10 mois d’hostilités écoulés n’aient pas reçu la moindre immunisation, vu l’effondrement du système de santé »,
ont déclaré mardi des dizaines d’organisations humanitaires internationales et des professionnels de la médecine.
Pendant ce temps, les enfants plus âgés ont eux aussi vu
« leurs programmes de vaccination prévus perturbés ou supprimés à cause de la violence et des déplacements de population »,
ont ajouté les organisations d’aide et les médecins.
Le ministère de la santé à Gaza a déclaré qu’il allait travailler avec l’UNICEF pour vacciner les enfants de moins de 10 ans. Mais il a mis en garde :
« La campagne ne suffira pas sans une solution radicale aux problèmes d’assainissement et d’accumulation des déchets parmi les tentes prévues pour les personnes déplacées ».
Selon l’OMS, du fait que la plupart des pompes à eaux usées ont été détruites et qu’aucune usine de traitement de ces mêmes eaux ne fonctionne actuellement, la situation catastrophique à Gaza fournit « un terreau idéal » pour la polio.
Le poliovirus
« se propage dans les eaux usées à ciel ouvert »,
affirme Ben Majekodunmi, le chef du personnel de l’UNRWA, l’agence de l’ONU pour les réfugiés de Palestine.
La polio avait été éradiquée à Gaza mais elle a fait sa réapparition avec la chute des taux de vaccination lors du génocide.
Cette catastrophe pour la santé publique à laquelle sont confrontés les Palestiniens est un résultat prévisible – sinon intentionnel – des actions israéliennes.
Giora Eiland, un ancien chef des opérations de l’armée israélienne et du Conseil de la Sécurité nationale, qui officie actuellement comme conseiller du ministre de la défense Yoav Gallant, avait demandé que l’on prive Gaza de ses essentiels vitaux en guise d’arme de guerre biologique.
Des experts prévoient que le nombre de Palestiniens de Gaza qui mourront suite à la propagation d’épidémies pourraient être aussi nombreux, voire plus nombreux encore que ceux qui ont été tués directement par les actions israéliennes.
Ces actions suggèrent
« un plan en vue de rendre Gaza inhabitable et d’en chasser les Palestiniens, une issue que les principaux ministres israéliens – dont le soutien est nécessaire au Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou s’il veut rester au pouvoir – continuent de promouvoir »,
comme l’ont déclaré Annie Sparrow et Kenneth Roth dans Foreign Policy en février.
Les enfants de Gaza n’ont pas « le luxe d’attendre »
Maintenant que la polio est confirmée à Gaza, « les enfants n’ont pas le luxe d’attendre », a déclaré Jeremy Stoner, un directeur régional de l’organisation Save the Children.
Un campagne de vaccination contre la polio doit toucher au moins 95 pour 100 des enfants ciblés pour être efficace, selon les organisations d’aide et les médecins.
« Cela ne peut se faire dans une zone de guerre active »,
ont-ils ajouté.
Avec environ 86 pour 100 du territoire de Gaza concerné par les ordonnances d’évacuation édictées par l’armée israélienne depuis octobre – ce qui veut dire qu’elle a déclaré ces régions zones de combat – la majeure partie de la minuscule enclave côtière est le théâtre des hostilités en cours.
Tout en minimisant l’importance de la détection du poliovirus dans les eaux usées de Gaza, Israël affirme qu’il va faciliter le transfert des vaccins antipolio vers le territoire. Mais les spécialistes des soins de santé disent qu’un cessez-le-feu est nécessaire si l’on désire distribuer et administrer les doses aux enfants en toute sécurité.
António Guterres, le secrétaire général de l’ONU, a déclaré que la campagne de vaccination impliquerait plus de 700 équipes dans les hôpitaux et centres de santé ainsi que 300 équipes de sensibilisation communautaires à Gaza.
Cela requerrait
« un internet et des services téléphoniques fiables afin d’informer les communautés sur la campagne »,
a ajouté Guterres, de même qu’une
« augmentation des sommes d’argent octroyées à Gaza pour payer les travailleurs de la santé ».
« Le vaccin définitif contre la polio, c’est la paix et un cessez-le-feu humanitaire immédiat »,
a conclu Guterres.
Les EU mettent le Hamas sous pression pour qu’il accepte un « renversement » de l’accord
Netanyahu a rejeté un cessez-le-feu à de multiples reprises, insistant sur « une victoire totale » à Gaza – en d’autres termes, une guerre sans fin.
Les négociations dirigées par les EU en faveur d’un échange de prisonniers et de la fin de la guerre n’ont servi qu’à prolonger l’offensive militaire israélienne à Gaza, sapant ainsi l’application des ordres juridiquement contraignants émanant du Conseil de sécurité de l’ONU et de la Cour internationale en faveur d’un cessez-le-feu et de la fin des actions génocidaires.
Lundi, le président américain Joe Biden a déclaré que le Hamas « reculait » devant un accord envers lequel Israël était bien disposé.
Le Hamas a rejeté l’allégation de Biden en disant qu’au contraire, il était très désireux de mettre un terme à la guerre à Gaza.
L’organisation de résistance a accusé Washington de vouloir plaire à Israël et de tenter de « liquider notre cause nationale ».
Et d’ajouter que la proposition la plus récente qu’il avait reçue était un « renversement » vis-à-vis de ce avec quoi il avait été d’accord début juillet.
Dimanche, le Hamas a déclaré que la nouvelle proposition représentait une capitulation face au
« rejet par Netanyahou d’un cessez-le-feu permanent, d’un retrait complet de la bande et à son insistance pour continuer d’occuper la zone du ‘corridor de Netzarim’, le passage de Rafah et le corridor Philadelphi »
– des points clés par lesquels Israël maintient son contrôle sur le territoire.
Les diplomates familiers avec la proposition ont expliqué au Washington Post qu’il y avait des doutes qu’Israël se voie dans l’obligation de négocier un cessez-le-feu permanent après un échange de prisonniers au premier stade d’un arrangement proposé par les EU et qui en compte trois.
Israël reprendra sans doute son offensive militaire une fois qu’il aura récupéré à coup sûr ses derniers captifs à Gaza.
« Il n’y a pas de garanties ni d’engagements en vue de faire cesser cette guerre après la concrétisation de la première phase de l’accord »,
a déclaré le porte-parole du Hamas, Sami Abu Zuri au Washington Post.
« Pourquoi irions-nous signer un accord qui n’aboutirait pas à mettre un terme à la guerre ? »
Entre-temps, le Hamas a accusé Washington de complicité dans le recours par Israël à l’affamement comme arme de guerre à Gaza en liant un accroissement de l’aide humanitaire à un cessez-le-feu.
L’organisation a montré du doigt la fermeture du passage de Rafah, qui est fermé depuis plus de 100 jours consécutifs, empêchant ainsi les délégations et fournitures médicales d’entrer à Gaza.
Israël qui a fermé la quasi-totalité des passages de Gaza, prétend faciliter le transfert de l’aide humanitaire vers le territoire et accuse l’ONU de ne pas parvenir à distribuer cette aide avec efficience.
Les agences humanitaires disent qu’Israël est le premier responsable dans la création de conditions qui, non seulement accroissent le besoin chez les Palestiniens, mais font qu’il est également impossible pour les travailleurs humanitaires de tenter en toute sécurité de couvrir ces besoins.
On sait que près de 300 travailleurs humanitaires ont été tués au cours de l’offensive israélienne contre Gaza. Plus de 200 faisaient partie de l’UNRWA.
Quelque 200 sites de l’UNRWA ont été endommagés ou détruits, tuant 560 personnes qui s’y étaient réfugiés sous la protection du drapeau de l’ONU.
Des organisations humanitaires disent que cette sinistre réalité met bien en évidence le besoin urgent d’un cessez-le-feu et d’une liberté de mouvement afin de rendre possible une campagne de vaccination contre la polio.
« À maintes reprises, des camions réfrigérés spéciaux nécessaires pour transporter des vaccins en toute sécurité ont été empêchés d’entrer, laissant ainsi des milliers d’enfants en danger »,
prétendent les organisations d’aide et les médecins qui réclament un cessez-le-feu afin de pouvoir endiguer la propagation de la polio.
« Toute une génération risque d’être infectée et des centaines d’enfants risquent d’être paralysés par une maladie hautement transmissible qui peut pourtant être prévenue au moyen d’un simple vaccin »,
a déclaré Jeremy Stoner, de Save the Children.
Nahed Abu Iyada, un agent sur le terrain de l’organisation de lutte contre la pauvreté CARE International, a déclaré que les gens de Gaza
« sont confrontés à un désastre de la santé publique qui va se propager et mettre en danger les enfants de toute la région et d’ailleurs ».
Plus de 100 jours de fermeture du passage de Rafah
Le bureau des médias de Gaza a dit la semaine dernière que la fermeture prolongée par Israël du passage de Rafah à la frontière avec l’Égypte s’était traduite par le décès de plus de 1 000 patients qui nécessitaient un traitement médical à l’étranger.
Israël a fermé le passage de Rafah à la veille de sa grande offensive terrestre dans la région où, fin octobre, s’était concentrée la majeure partie de la population de Gaza (comptant 2,3 millions d’habitants) après avoir été déplacée d’autres parties du territoire.
Plus de 12 000 personnes blessées et de 14 000 patients malades ont besoin de traitements indisponibles à Gaza, estime le ministère de la santé de l’enclave.
Les gens qui meurent par manque de traitement médical adéquat ne sont pas repris dans la liste officielle de plus de 40 000 personnes tuées à Gaza depuis le 7 octobre.
Israël a ciblé des hôpitaux et des travailleurs médicaux durant les 10 mois de son offensive militaire à Gaza, sapant ainsi la capacité de traiter adéquatement les patients malades et blessés du faiut que les besoins de soins augmentent à mesure que s’éternisent la guerre et l’état de siège.
Les hôpitaux ont eux aussi été passablement embarrassés par le fait qu’Israël a supprimé la fourniture d’électricité et de carburant à Gaza. Le Bureau de l’ONU pour la coordination des affaires humanitaires a déclaré cette semaine que les pénuries de carburant forçaient les hôpitaux
« à reporter les opérations chirurgicales importantes et qu’elles menaçaient de mettre les ambulances à l’arrêt, surtout dans le nord de Gaza ».
La Société du Croissant-Rouge de Palestine (SCRP) a déclaré dimanche qu’en raison de la pénurie de carburant, les ambulances allaient bientôt être immobilisées et qu’elle allait suspendre ses cliniques médicales et ses services d’aide, « qui opèrent déjà à capacité minimale ».
L’Euro-Med Human Rights Monitor (Euro-Med) a déclaré en début de mois qu’Israël empêchait délibérément l’entrée des fournitures médicales à Gaza,
« y compris les appareils médicaux et les médicaments essentiels (…) ce qui s’est traduit par un lourd tribut en vies humaines ».
L’organisation a réclamé une « action immédiate (…) en vue de lever le blocus d’Israël », afin de sauver les vies des malades et des blessés et de reconstruire le système de santé à Gaza.
Israël bloque également l’entrée à Gaza des produits de nettoyage et d’hygiène, fait encore savoir Euro-Med,
« exacerbant ainsi la crise catastrophique de la santé qu’y a provoquée Israël ».
« La crise a été rendue pire encore par les déplacements forcés, répandus et récurrents de la population »
vers des abris surpeuplés manquant d’infrastructures élémentaires, a ajouté l’organisation de défense des droits.
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Maureen Clare Murphy est rédactrice en chef de The Electronic Intifada.
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Publié le 21 août 2024 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine