Trouver un sens à l’océan de souffrance de Gaza
Bon nombre d’entre nous, à Gaza, se demandent parfois intérieurement s’il y a une explication logique à toute la douleur et aux souffrances que nous endurons. Y a-t-il une finalité, dans toute cette souffrance ?
Asem Alnabih, 12 novembre 2024
Dans Cloud Atlas, le film de 2012 basé sur le roman de David Mitchell, il y a une scène remarquable qui se répète tout au long de l’histoire. Sonmi-451, une femme-clone au service de la classe supérieure, se rend compte qu’elle doit se révolter. Elle dit que les systèmes qui pratiquent l’oppression « doivent être renversés ».
Et d’ajouter : « Nous devons tous combattre et, si nécessaire, mourir pour enseigner aux gens la vérité. »
Les jours passent et la révolution échoue. Quelques instants avant l’exécution de Sonmi-451, un historien qui opère au service de l’entreprise de ses ravisseurs lui demande si elle savait que le plan des rebelles allait échouer.
Surpris et tout aussi indigné par sa réponse affirmative, l’historien lui demande pourquoi. Elle lui répond calmement, avec un sourire dissimulé :
« Si j’étais restée invisible, la vérité serait restée cachée. Cela, je ne pouvais pas l’accepter. »
Essayant d’en savoir plus, l’historien répond :
« Et quid si personne ne croit en cette ‘vérité’ ? »
Sans se départir de son calme, elle répond :
« Il y a déjà quelqu’un qui y croit. »
La finalité
Bon nombre d’entre nous, à Gaza, se demandent parfois intérieurement s’il y a une explication logique à toute la douleur et aux souffrances que nous endurons. Y a-t-il une finalité, dans toute cette souffrance ?
Depuis 1948, des dizaines de milliers de Palestiniens de Gaza sont nés et sont morts sous occupation. La seule chose qui semble changer dans notre infinie situation de purgatoire, c’est que les perspectives de paix et d’exercice de notre droit à l’autodétermination sur notre propre terre s’avèrent de plus en plus lointaines d’année en année.
Pourtant nous restons. Malgré la lutte, malgré les revers et les souffrances, notre existence même et notre persévérance face à des épreuves apparemment insurmontables constituent en elles-mêmes une victoire silencieuse mais solide. Notre présence continuelle – notre résilience – est un témoignage de ce que l’esprit de cette terre et de son peuple ne peut être oblitéré, même si les obstacles semblent insurmontables.
Le but de toute cette souffrance ne peut résider dans l’obtention d’un succès immédiat mais plutôt dans la sauvegarde d’un héritage de vérité, de résilience et d’espoir. Via le sacrifice personnel, on se libère des limites de sa situation présente en trouvant la force et un sens dans le fait de savoir que sa lutte va préparer la voie de la lutte d’autrui.
En maintenant ces valeurs en vie, les individus passent le flambeau aux générations futures, les inspirant non seulement à continuer là où d’autres ont cédé mais aussi à réaliser une vision plus large dans laquelle le succès collectif devient possible. De cette façon, le sacrifice de soi sert un but plus large, en inspirant beaucoup de monde et en devenant un acte de liberté en soi.
C’est peut-être la raison pour laquelle, dans le film Cloud Atlas, Sonmi-451 s’entend dire par son oppresseur : « Il y a un ordre naturel pour ce monde (…) et la vérité de cet ordre doit être protégée. »
Dans une scène ultérieure, un autre rebelle d’une époque et d’un lieu différents, dont les expériences sont parallèles à celles de Sonmi-451, s’entend dire par son oppresseur :
« Dans quel but ? Quoi que vous fassiez, ce ne sera jamais plus qu’une simple goutte dans un océan sans limite ! »
Le rebelle lève les yeux, a un sourire narquois et répond en parlant du pouvoir de l’endurance et de l’unité :
« Qu’est-ce qu’un océan, sinon une multitude de gouttes ? »
La résistance modèle l’Histoire
L’Histoire montre que le changement provient de la résistance – souvent, il s’agit d’un petit groupe de gens apparemment ordinaires qui s’insurgent pour réclamer un changement. D’un discours de protestation adressé à la personne qui occupe le centre du pouvoir à une prise d’armes contre ceux qui détiennent le pouvoir militaire, la résistance est aussi ancienne que l’Histoire même.
Cette Histoire peut être suivie depuis Karbala, où Hussein ibn Ali a affronté l’oppression dans sa quête de liberté, jusqu’à la résistance juive dans le ghetto de Varsovie, où les gens creusaient des tunnels dans le cadre de leur combat contre les nazis. Pour Nelson Mandela, ce fut une longue marche vers la liberté à travers l’apartheid de l’Afrique du Sud.
Les actions dirigées par la résistance, comme le Déluge d’Al-Aqsa de la Palestine, font partie des centaines d’exemples de ce genre souvent synonymes de l’affirmation d’une revendication légitime de liberté, de dignité et de justice au coût de l’emprisonnement, de la mort et de l’anéantissement.
Les Palestiniens comprennent que le sacrifice et la douleur constituent le prix de leur droit à la liberté et à l’autodétermination. Mais, généralement, les Israéliens ne privilégient pas cette voie du sacrifice, cette voie difficile.
L’ancien diplomate britannique Alastair Crooke dit des Israéliens, et surtout des jeunes hommes de l’armée qu’il décrit comme « postmodernes » :
« La souffrance n’est pas quelque chose qu’ils accueillent favorablement. La souffrance est quelque chose à éviter. La souffrance est quelque chose qui n’a aucun sens et aucune valeur. »
Crooke ajoute qu’au contraire, les Israéliens font « face à un ennemi qui voit un sens dans la souffrance, qui voit un sens dans la perte de la vie ». Même si
« l’effusion de sang est terrible, et elle est horrible, effectivement (…) c’est quelque chose qui peut préserver votre peuple, quand bien même vous ne seriez pas là en ce moment. C’est un type de pensée très différent et c’est une façon de voir les choses. »
Entre-temps, les masses de l’humanité s’affichent fermement du côté des Palestiniens. Cela ne se traduira pas nécessairement par leur libération dès aujourd’hui. Mais cela précipitera ce que ceux qui ont étudié l’Histoire savent inévitable, dont l’historien israélien en exil, Ilan Pappé. C’est là le carburant qu’Israël est incapable d’empêcher d’entrer à Gaza et il confère à tous, jeunes et moins jeunes, l’espoir que la Palestine, un jour ou l’autre, finira par être libre.
La plupart des révolutions et des combats ne réussissent qu’après pas mal de temps, d’efforts répétés et de nombreux revers tout au long du chemin. La clef, pour endurer la douleur et la souffrance, est de reconnaître que le but n’est pas de mener tout à bon port dans l’immédiat. Au contraire, il faut savoir que chaque goutte dans l’océan a son importance.
Tant que la cause restera immortalisée dans les cœurs et les esprits des masses, la victoire sera aussi certaine que le fait que la lumière du jour suit, quoi qu’il en soit, une longue et sombre nuit de douleur et de souffrance.
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Asem Alnahbi est ingénieur et chercheur. Il vit actuellement dans le nord de Gaza. Il opère comme porte-parole de la municipalité de Gaza et écrit pour de nombreuses plates-formes, tant en arabe qu’en anglais.
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Publié le 12 novembre 2024 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine