Libérez Sa’adat, libérez la Palestine : 23 années d’injustice et de résistance
Au 23e anniversaire de l’arrestation d’Ahmad Sa’adat, nous pensons à son engagement indéfectible envers la libération de la Palestine et à son appel à l’unité face à l’oppression en cours.
Benay Blend, 10 janvier 2025
« Nous devons retourner à la résistance, puisque c’est la seule option pour récupérer notre dignité, notre liberté, nos prisonniers et notre terre »
C’est ainsi qu’Abla Sa’adat, l’épouse d’Ahmad Sa’adat, actuellement emprisonnée également, décrit la résilience et le sumud (détermination, résilience) de son mari, des qualités qu’elle partage aussi.
Le 15 janvier 2025 marquera le 23e anniversaire de l’arrestation d’Ahmad Sa’adat par l’Autorité palestinienne (AP), dans le cadre de la « coopération sécuritaire » avec l’occupation israélienne. Après que les forces sionistes l’avaient enlevé de la prison de l’AP, à Jéricho, il avait été condamné le 25 décembre 2008 à 30 années d’emprisonnement. Il était accusé de diriger une organisation interdite, le Front populaire pour la libération de la Palestine (FPLP), dont il est toujours le secrétaire général.
Dans les tout prochains jours, sera lancé un nouvel appel à l’action en vue de libérer Sa’adat ainsi que d’autres prisonniers palestiniens détenus en Israël.
L’assassinat, l’emprisonnement et la détention systématiques de dirigeants politiques palestiniens se reflètent dans les sentences infligées à Sa’adat et à d’autres membres du Conseil législatif palestinien, dont l’activiste des droits humains et féministe Khalida Jarrar.
Parmi les personnes détenues de nos jours figurent quelque 9 440 Palestiniens emprisonnés pour des motifs « sécuritaires » similaires, dont 1 761 proviennent de la bande de Gaza. Ces chiffres émanent de l’organisation israélienne des droits humains, B’Tselem, et valent pour juin 2024.
Sa’adat figure dans le top-3 sur la liste du Hamas accompagnant sa demande d’accord d’échange de prisonniers avec Israël. Les autres sont Marwan Barghouti, 64 ans, membre du Comité central du Fatah et favori de la succession à Mahmoud Abbas à la présidence de l’Autorité palestinienne installée à Ramallah, et Abdullah Barghouti, un important dirigeant du Hamas. Tous deux purgent plusieurs sentences à vie.
Attirer l’attention sur le cas d’Ahmad Sa’adat revêt une importance particulière cette année au vu du siège génocidaire sioniste de Gaza ainsi que de l’activité accrue de l’AP en Cisjordanie.
Le 6 janvier, le ministère de la Santé de Gaza faisait état de 45 854 morts, 109 139 blessés et quelque 11 000 disparus. Selon The Palestine Chronicle, ces chiffres sont sous-estimés parce que le ministère ne confirme une victime que lorsqu’une personne arrive dans un hôpital ou une clinique, ce qui entraîne son enregistrement officiel. Le nombre de personnes manquantes est lui aussi une sous-estimation parce qu’une personne disparue doit être renseignée officiellement par un proche pour être reprise sur la liste.
En octobre 2001, le FPLP avait assassiné le ministre israélien du Tourisme, Rehavam Ze’evi, un acte qui avait fourni à l’Autorité palestinienne un prétexte pour arrêter des membres du FPLP et les emprisonner. Contrairement au jugement dans les tribunaux mêmes de l’AP, cet acte impliquait que l’AP agissait sous les ordres d’« Israël » cherchant à venger l’assassinat de son ministre.
Durant toute la période d’emprisonnement de Sa’adat dans les geôles de l’AP, il n’a été reconnu coupable d’aucun crime. La fameuse prison de Jéricho était supposée être sous l’autorité de l’AP mais, après que les observateurs britanniques et américains l’avaient quittée, les forces israéliennes en avaient repris le contrôle.
Alors que l’AP cédait aux envahisseurs sionistes, un grand nombre de prisonniers avaient préféré riposter. Parmi ceux-ci, Ahmad Sa’adat, qui allait être capturé plus tard par les forces armées sionistes dans le cadre de leur opération « Ramener les marchandises au bercail ».
La détention de Sa’adat dans une prison de l’AP pendant plus de quatre ans, jusqu’au moment de son enlèvement par les forces israéliennes en 2006, conserve de sa pertinence aujourd’hui.
« Chaque fois qu’il y a un effort sérieux vers l’unité palestinienne afin d’affronter l’occupation »,
explique Samidoun, le Réseau de solidarité avec les prisonniers palestiniens,
« les forces de ‘coordination sécuritaire’ de l’AP, de concert avec les occupants sionistes, lancent des arrestations et des attaques contre la résistance palestinienne. »
Depuis toujours, cette politique aspire à empêcher la résistance en Cisjordanie et, par-dessus tout,
« à empêcher l’unité palestinienne, puisqu’il est impossible d’obtenir une unité nationale avec des forces qui sont activement engagées contre la résistance dans une alliance avec le régime d’occupation ».
Depuis le 7 octobre 2023, l’AP a arrêté au moins 1 800 Palestiniens pour des raisons « sécuritaires », tout en se montrant incapables d’assurer la protection des Palestiniens qui sont confrontés à la violence quotidienne des colons illégaux et de l’occupation.
« C’est d’une ironie qui n’est que trop familière »,
fait remarquer Ramzy Baroud.
« L’entité palestinienne qui était censée représenter la volonté du peuple et le diriger vers la liberté est devenue complice dans l’écrasement de la résistance dans l’une des zones les plus marginalisées et appauvries de la Cisjordanie occupée par Israël, dans le même temps qu’elle sert les intérêts de l’État d’occupation. »
De tels compradores ont également opéré en Argentine au cours de la « sale guerre » menée par la dictature militaire dirigée par Jorge Videla. Après le coup d’État de 1976, l’armée argentine s’était lancée dans la répression violente de toute opposition potentielle.
La junte argentine soutenue par les EU allait se maintenir jusqu’en 1983. Vu les similitudes, ce n’était pas un hasard si The Palestine Chronicle et le journal brésilien A Nova Democracia avaient publié une interview du cinéaste propalestinien Norman Briski.
À l’instar de Ghassan Kanafani, qui percevait les alliances avec les luttes mondiales comme « la seule façon de créer un camp qui soit capable d’affronter et de vaincre le camp impérialiste » (Ghassan Kanafani : Selected Political Writings, publié par Louis Brehony et Tahrir Hamdi, 2024, p. 111), Briski établissait des connexions entre les luttes anti-impérialistes en Amérique latine et le mouvement de libération de la Palestine de nos jours.
« Aujourd’hui, nous devons être palestiniens »,
« De la même façon que nous devrions être mapuche si nous étions en Argentine, ou de couleur si nous étions confrontés aux inégalités subies par les gens de couleur aux États-Unis. Nous devons nous aligner sur toute lutte d’émancipation contre l’oppression. »
En effet, l’unité est un thème tissé dans tous les mouvements de résistance, particulièrement parmi les prisonniers au cours de leurs luttes. Durant les sept années de pouvoir militaire en Argentine (1976-1983), le tristement célèbre Processo, il y a eu une période de répression et de violence soutenue par l’État et qui s’est traduite par la mort et la disparition de quelque 30 000 personnes.
Dans « La petite école » (1998) – une prison secrète ainsi baptisée avec ironie en raison de son ancien statut – l’activiste et poétesse Alicia Partnoy crée ce qu’elle appelle un « discours de la solidarité » (« Stratégies textuelles afin de résister à la disparition – les Mères de la Plaza de Maya », Florida Atlantic Comparative Studies Journal 12, 2010-2011, p. 5), des témoignages de ses compagnes de cellule qui ont été rassemblés pour constituer une histoire collective des disparus.
En prison, Partnoy a transformé la poésie qu’elle écrivait pour sa fille de façon à l’adapter à tout autre enfant de prisonnier. Écrire pour des occasions spécifiques ne l’a pas seulement aidée à survivre, mais elle a estimé que cela l’avait également aidée à élever les esprits de ses amies (« La revanche de la pomme », 1992, p. 14). De la sorte, elle assumait en quelque sorte la souffrance d’autres mères captives, en un effort commun très similaire aux actions des Palestiniens dans les prisons israéliennes.
De même, Sa’adat a poursuivi son travail organisateur parmi ses compagnons de détention, ce qui explique pourquoi les sionistes ont également continué de le placer en confinement solitaire en même temps qu’ils le transféraient sans arrêt d’une prison vers l’autre. Le 28 mai 2017, il diffusait une déclaration au nom de la grève des prisonniers palestiniens, dont il avait qualifié le résultat final de « victoire collective ».
« Cette victoire a été le fruit collectif des efforts du peuple palestinien rassemblé autour de la grève »,
poursuivait-il,
« qui incluait des individus et des institutions, des organisations nationales, humanitaires, populaires et des droits humains, à travers les sacrifices des martyrs, des blessés et des prisonniers. »
Finalement, Sa’adat concluait par une demande à la société civile de suivre le modèle d’unité et d’action collective des prisonniers, et cet appel a sa pertinence aujourd’hui :
« Ce que doivent faire nos forces et factions politiques palestiniennes pour soutenir les prisonniers et renforcer leur détermination consiste à restaurer notre unité nationale vers une voie de progression et à laisser en plan cette manie de tourner sans arrêt en rond. »
À l’occasion des deux semaines d’actions pour la libération de Sa’adat en 2020, Khaled Barakat, écrivain et activiste palestinien, faisait remarquer :
« Il est très important pour nous de refléter l’image véritable de nos prisonniers : Nos dirigeants, les dirigeants de notre mouvement estudiantin, les dirigeantes de notre mouvement féministe, les dirigeants de notre mouvement des travailleurs. Ce sont les prisonniers palestiniens qui sont confrontés quotidiennement à l’occupation (…) Quand nous témoignons notre solidarité avec les prisonniers palestiniens, nous témoignons notre solidarité avec la résistance palestinienne. »
De l’existence d’Ahmad Sa’adat, on peut tirer un grand nombre de leçons : les trahisons de l’AP qui n’ont cessé de se multiplier jusqu’à ce jour ; le rôle du mouvement des prisonniers palestiniens en tant que berceau de la résistance ; et l’importance de l’organisation collective aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur des murs de prison.
Ciblé pour son rôle politique et l’acuité de sa vision, Sa’adat est resté déterminé et inflexible, jusqu’à ce jour, en dépit des brutalités qui lui ont été imposées à lui comme aux autres prisonniers politiques.
Le 22 juin 2010, Sa’adat a adressé un message au Forum social américain dans lequel il réclamait
« un front mondial de gauche – pour le socialisme, l’égalité, la justice et la libération ! Nous nous joignons à votre appel : Un autre monde est possible ! D’autres EU sont nécessaires ! »
Au moment où Israël intensifie son génocide à Gaza et renouvelle ses efforts en vue d’annexer la Cisjordanie, où Donald Trump se prépare à accéder à un second mandat de président des États-Unis, l’appel de Sa’adat est plus pertinent aujourd’hui que jamais.
*****
Publié le 10 janvier 2025 sur The Palestine Chronicle
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine
*****
Trouvez tous les articles concernant Ahmad Sa’adat, publiés sur ce site, ICI.