« J’étais dans une tombe » : Les prisonnières palestiniennes libérées partagent leurs récits

Les prisonnières palestiniennes libérées, dont l’éminente dirigeante Khalida Jarrar, ont partagé dans The Palestine Chronicle les récits déchirants des violences et souffrances qu’elles ont subies dans les prisons israéliennes, mettant ainsi en exergue l’inhumanité des conditions qu’elles ont dû endurer.

« J'étais dans une tombe » : Les prisonnières palestiniennes libérées partagent leurs récits. Photo :L'étudiante palestinienne Jenin Amro avec sa famille.

L’étudiante palestinienne Jenin Amro avec sa famille. (Photo : via le média social Eye on Palestine)

 

Fayha’ Shalash (Ramallah), 21 janvier 2025

Après sa libération dimanche dans le cadre de l’accord d’échange, Khalida Jarrar, l’emblématique dirigeante palestinienne, est apparue méconnaissable aux yeux des personnes qui la connaissent bien – fatiguée et émaciée, les cheveux blancs et, dans le regard, les reflets de l’oppression du confinement solitaire.

« J’étais en isolement. Je suis incapable de parler. »

En disant cela, elle s’est excusée devant tous les journalistes et s’en est allée en compagnie de sa famille, laissant tout le monde envahi par la tristesse de l’avoir vue dans cet état.

Les prisonnières palestiniennes libérées partagent leurs récits. Photo : Khalida Jarrar

Khalida Jarrar

 

Mais, le lendemain déjà, Khalida est revenue aussi forte que jamais, comme si elle avait secoué la poussière de la prison et du confinement solitaire pour dénoncer ses geôliers et leur cruauté.

69 prisonnières palestiniennes sur 85 ont été libérées dans l’accord d’échange entre le mouvement de la Résistance palestinienne du Hamas et Israël. Parmi ces femmes, des mères, des journalistes, des étudiantes universitaires et des femmes souffrant de blessures.

Au contraire des sourires et de la bonne santé affichés par les trois captives israéliennes restituées par le Hamas, les prisonnières palestiniennes sont apparues fatiguées, livides et souffrantes.

S’adressant à un rassemblement de journalistes à Ramallah, Khalida a tenté de transmettre une image de ce qu’elle avait enduré dans une cellule de confinement solitaire durant les six mois qui ont précédé sa libération, et où toute vie semblait absente.

« J’étais dans une cellule étroite. Parfois, j’avais l’impression de suffoquer. Les toilettes étaient juste à côté de moi, dans la même pièce exiguë »,

a-t-elle dit.

« La nourriture était mauvaise, et l’eau avait un goût dégoûtant. Il n’y avait ni traitement ni médicaments pour mes maladies. J’étais dans un endroit qui ressemblait très fort à une tombe »,

a-t-elle ajouté.

Bien qu’il se fût agi de sa cinquième arrestation, elle a admis que ç’avait été la plus pénible. Les conditions carcérales étaient inhumaines et les geôliers cruels.

Khalida avait été arrêtée à son domicile le 23 décembre 2023. Elle avait été transférée en détention administrative, sans accusation ni procès, ce qui avait renforcé l’impression que son arrestation avait eu lieu uniquement pour la réduire au silence, du fait qu’elle est un symbole national de la lutte palestinienne.

« Ils m’ont tirée par les cheveux »

Jenin Amro, une étudiante calme et toujours souriante à l’Université de Hébron, est descendue du bus du Comité international de la Croix-Rouge (CICR), en cherchant parmi tous les visages ceux des membres de sa famille.

Elle a vu son père de loin, a couru vers lui et on aurait dit qu’elle volait quand elle s’est retrouvée dans ses bras. Son visage reflétait la douleur impardonnable et l’épuisement que la détention administrative avait gravés dans ses traits pendant les 14 mois qu’elle avait passés en prison sans la moindre accusation.

D’une voix lasse mais calme, Jenin a confié à l’adresse du Palestine Chronicle que l’épreuve du processus de libération était la même que celle qu’elle avait endurée en prison. Quand elle et les autres prisonnières avaient été transférées de la prison de Damon vers celle d’Ofer, on les avait battues et insultées.

« Ils m’ont tirée très brutalement par les cheveux et m’ont jetée par terre. Quand une des prisonnières a essayé de m’aider, ils l’en ont empêchée »,

nous a-t-elle dit.

« Nous avons toutes fait l’objet d’insultes, d’humiliations et de malédictions. Ils nous ont gardées dans un endroit glacial pendant de longues heures sous le prétexte d’appliquer des procédures d’inspection »,

a-t-elle ajouté.

Jenin, dont le prénom reflète la ville de Cisjordanie occupée qui souffre le plus, a déclaré que la prison était un endroit cruel pour les femmes, où l’on méprise leurs droits élémentaires et leur dignité personnelle.

« La nourriture qu’on nous servait ne pouvait être appelée de la nourriture – à peine quelques grains de riz mal cuits, de la soupe sans sel et de l’eau au goût de rouille. Voilà de quoi nous vivions »,

a-t-elle poursuivi.

Le lendemain de sa libération, l’armée israélienne a fait irruption dans la maison de Jenin et a menacé sa famille, la prévenant qu’ils allaient l’arrêter de nouveau s’il y avait le moindre signe de célébration de sa remise en liberté.

 

« Mon cœur s’est brisé »

Quand ont évoque les prisonnières, les récits des mères ressortent, puisque Israël ne respecte même pas le lien sacré entre une mère et ses enfants.

Une scène a été particulièrement déchirante : la journaliste Rula Hassanein étreignant sa fille encore en bas âge, Elia.

Née prématurément, Elia avait cruellement besoin de sa mère, quand l’armée israélienne a arrêté Rula en mars 2024.

« J’ai eu le cœur brisé pour elle. Chaque fois que je pensais à elle, je pleurais amèrement. Je savais qu’elle avait besoin de moi, mais il s’est fait que j’avais besoin d’elle davantage encore »,

a-t-elle dit.

Rula, qui souffrait d’une affection rénale chronique, n’a pas reçu de traitement, en détention. À de multiples reprises, elle avait demandé d’être transférée à la clinique et de subir des tests médicaux, mais ses demandes ont toutes été rejetées.

 

« Nous étions toutes soumises à des fouilles corporelles intégrales – une mesure dégradante qui violait toute loi, religion et tradition. C’était purement humiliant et violent »,

a-t-elle dit.

Chaque prisonnière est revenue avec un récit plus pénible que l’autre, plein de détails susceptibles d’émouvoir tout le monde aux larmes.

Pourtant, dès qu’elles ont vu leurs familles, elles ont semblé oublier la douleur, espérant la venue de jours meilleurs. Elles souhaitaient que la prison ne reste qu’un souvenir, un souvenir qui leur avait enseigné la patience et la persévérance.

*****

Fayha’ Shalash est une journaliste palestinienne qui vit à Ramallah (Cisjordanie). En 2008, elle a reçu son diplôme à l’Université de Birzeit et a travaillé depuis comme journaliste et présentatrice. Ses articles ont été publiés dans plusieurs publications en ligne, dont The Palestine Chronicle.

*****

Publié le 21 janvier 2024 sur The Palestine Chronicle
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

Vous aimerez aussi...