L’indignation morale
L’indignation morale, c’est bien beau, mais qu’est-ce qu’elle rapporte aux Palestiniens ?
Johan Depoortere (*), 7 mai 2025
C’est une tendance : la découverte récente par Conner Rousseau qu’à Gaza un génocide se déroule devant nos yeux ; Zuhal Demir qui se rend compte brusquement que, chaque jour, des enfants comme sa petite fille sont assassinés massivement ; et même De Wever qui estime que les images de la boucherie de Gaza (ce n’est pas le terme qu’il utilise) « ne sont plus supportables ».

Deux classes de maternelle ont été assassinées à Gaza chaque jour depuis le 7 octobre 2023. C’est une chose à laquelle je pense lorsque je dépose Rozanne à la porte de l’école. Arrêtez la folie. Arrêtez de tuer.
Cela cadre avec ce qui a surpris dans une très récente émission de De Afspraak (**) du 5 mai. Toutes les personnes présentes dans le studio, dont l’ancien vice-président de la N-VA, se sont sentis obligés d’exprimer leur « indignation morale » à propos de l’horrible réalité de ce que la VRT s’obstine à appeler la « guerre entre Israël et le Hamas » mais qui, en fait, est une boucherie massive et une épuration ethnique.
Mieux vaut tard que jamais : l’indignation morale, c’est bien beau, mais qu’est-ce qu’elle rapporte aux Palestiniens ? L’indignation morale n’oblige à rien ; l’indignation morale sans action politique n’a aucune valeur : C’est comme verser des larmes lors d’une catastrophe et passer ensuite à l’ordre du jour. Voilà ce à quoi nous assistons lorsque même Bart De Wever, l’homme qu’Israël appelle « le côté de la lumière », se dit « très préoccupé au sujet des Palestiniens ».
Lorsque, partout dans le monde et chez nous aussi, des centaines de milliers de personnes descendent dans la rue pour dénoncer le génocide, il devient difficile de fermer les yeux et les oreilles à la réalité. Ou lorsque que même des membres du gouvernement israélien qui se disent fascistes juifs (comme le ministre des Finances Bezalel Smotrich) déclarent ouvertement qu’après l’éventuelle libération des otages israéliens, la destruction de Gaza et le massacre se poursuivront. Ce n’est pas nouveau. On ne compte plus les propos des militaires, hommes politiques et rabbins israéliens de haut rang dans lesquels ils font entendre on ne peut plus clairement que le véritable objectif de la guerre réside dans l’épuration ethnique de Gaza via le départ « volontaire » ou pas de l’écrasante majorité de la population palestinienne et la réoccupation de l’enclave par des colons juifs. Le plan de Trump en vue de faire de Gaza une Riviera de luxe est encore moins récent et s’appuie sur un rêve vieux de plusieurs décennies du mouvement des colons israéliens.
L’indignation morale de Demir et des membres du gouvernement qui, jusqu’à présent, excellaient à regarder ailleurs et à trouver des excuses, serait plus crédible si elle était suivie de mesures comme, par exemple, commencer par rappeler à l’ordre l’ambassadrice d’Israël en Belgique. Des sanctions économiques à l’exemple de celles qu’on impose à la Russie pourraient constituer une étape suivante en attendant la rupture de l’accord commercial expressément lié à l’exigence pour les partenaires de respecter les droits humains. Il ne doit pas être malaisé, en se référant à la Cour internationale de Justice et à la Cour pénale internationale, de démontrer qu’Israël viole cette condition de centaines de façons et affiche le plus grand mépris du droit international.
Il est à craindre que, dans le meilleur cas, un geste symbolique soit enfanté à grand-peine par lequel la Belgique répéterait une fois encore l’exigence rituelle d’une « solution à deux États » et, dans le sillage de Macron, reconnaîtrait l’« État palestinien ». On appelle cela « un signal ». C’est mieux que rien mais, comme le fait remarquer à juste titre Ludo De Witte (***):
« C’est l’os que nous jettent Macron et De Wever, en espérant que cela nous fera taire. Pour connaître les véritables intentions de ces messieurs, il fait voir les actes, pas les paroles. Macron et son gouvernement criminalisent la solidarité avec le peuple palestinien ; ils criminalisent le mouvement Boycott, Désinvestissement et Sanctions ; ils prennent des initiatives en vue de mettre hors la loi des organisations de solidarité comme Urgence Palestine ; ils recourent à des lois, telle celle qui rend punissable « l’apologie du terrorisme » (destinée initialement à contrer le recrutement de djihadistes pour l’État islamique), contre des expressions de solidarité avec le peuple palestinien ; ils mobilisent un large groupe de personnalités et de politiciens (y compris des sociaux-démocrates comme l’ancien président Hollande) afin d’assimiler l’anti-sionisme à l’antisémitisme.
Mais, tant que nos politiciens continueront de se dissimuler derrière le large dos de l’Europe et d’Ursula von der Leyen, même ce signal d’« indignation morale » est voué à l’échec. Tel est d’ailleurs l’état de la libre expression au sein de l’Union européenne.
Il est clair que les infimes changements dans le camp pro-israélien des différents partis politiques constituent le résultat d’une pression massive de la part de l’opinion publique. Il reste donc primordial de descendre dans la rue, de manifester et d’utiliser les médias sociaux pour dénoncer hardiment les crimes de l’État sioniste. Tous à Bruxelles le dimanche 11 mai !
(*)Johan Depoortere a travaillé comme journaliste pour la BRT/VRT de 1973 à 2009.
(**) De Afspraak : Un talk-show quotidien de la VRT (Canvas).
(***)Ludo De Witte est un sociologue et auteur, connu pour un livre expliquant les raisons de l’assassinat de Patrice Lumumba.
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Publié sur Het salon van Sisyphus
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine
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