Au revoir, Hassan. Tu savais qu’ils allaient te tuer…

L’armée israélienne a tué mon collègue Hassan Eslayeh sur son lit d’hôpital. Il avait prédit sa mort avant qu’elle n’arrive car il savait que les journalistes à Gaza sont les seules personnes au monde à livrer des témoignages sur le pire crime de notre époque.

 


Tareq S. Hajjaj,
14 mai 2025

 

Je me suis réveillé avec une information dont j’avais espéré – naïvement, peut-être – qu’elle ne viendrait jamais. Hier, à 7 heures du matin, ma femme m’a réveillé pour me dire que mon collègue et journaliste renommé de Gaza, Hassan Eslayeh, avait été tué au cours d’une attaque israélienne contre l’hôpital Nasser à Khan Younis. Elle a essayé de m’annoncer la nouvelle avec douceur ; elle savait que Hassan et moi avions travaillé ensemble pendant le génocide et qu’il était l’une des personnes sur qui je m’appuyais pour des témoignages et des mises à jour tout au long de la guerre.

Mais ç’a été comme si on m’avait tiré une balle dans la poitrine. Toujours à moitié endormi, mon corps s’est tu alors que j’assimilais la nouvelle. Une fois que j’en ai eu mesuré le poids, je me suis laissé retomber pour m’enfoncer pesamment dans mon lit. Il était temps de pleurer un autre collègue encore, emporté par ce génocide cruel.

L’armée israélienne a tué Hassan dans son lit dès les premières heures de ce lundi. Le simple fait de tuer quelqu’un dans un lit d’hôpital est horrible, mais il existe une ironie profonde et cruelle dans le fait qu’Israël a tué Hassan de cette façon. Quelques semaines plus tôt à peine, lui-même avait prédit ce scénario.

Le 7 avril, Israël avait bombardé une tente de journalistes à l’extérieur de l’hôpital Nasser, brûlant vives plusieurs personnes et tuant le journaliste palestinien Ahmad Mansour. Hassan avait été du nombre des survivants, encore que grièvement blessé, avec des brûlures sévères partout sur le corps et après avoir perdu deux doigts. Le même jour, l’armée israélienne avait déclaré que Hassan avait été la cible de cette attaque, prétendant qu’il était un combattant du Hamas opérant « sous l’apparence d’un journaliste ». Israël avait déjà sorti cette allégation, chaque fois sans preuve, pour bien des journalistes qu’il avait assassinés auparavant.

L’impact de la première tentative contre la vie de Hassan a été ressenti immédiatement.

Pendant plus de deux semaines, alors qu’il se remettait de ses blessures, la voix de Hassan est restée absente. Les mises à jour de l’info en continu et les témoignages que bien d’autres journalistes et moi-même recevions de lui s’étaient arrêtés et le poids réel de la voix de Hassan ainsi que le rôle qu’il jouait en débitant les informations sur Gaza ont été ressentis par chaque journaliste sur place.

Malgré son état de santé et les menaces non voilées lancées contre lui par l’armée israélienne, dès qu’il s’est senti plus stable, Hassan s’est remis au travail depuis son lit d’hôpital, remplissant son devoir afin d’apporter au monde les histoires de Gaza. Lui-même n’était pas sur le terrain mais il travaillait comme s’il faisait partie de l’équipe des journalistes sur place afin de nous apporter, à nous et aux autres, les témoignages des Gazaouis qui, chaque jour, étaient impactés par le génocide. J’ai ressenti une grande impression de force lorsqu’il a repris le travail – la tentative en vue de le tuer ne l’avait pas dissuadé d’accomplir son devoir. C’était un véritable professionnel, ferme dans ses principes et engagé à dire la vérité sur ce qui se passait à Gaza.

Je m’étais mis à espérer que Hassan allait guérir et revenir sur le terrain, pour accomplir ce travail dangereux et d’une grande importance que font mes collègues de Gaza chaque jour.

Alors que j’étais dans mon lit à penser à Hassan, assassiné sur son lit d’hôpital, je revivais la conversation que j’avais eue avec lui par téléphone après cette première tentative d’assassinat en avril. Ses blessures toutes fraîches lui rendaient l’élocution malaisée, mais ce qu’il m’avait dit ne m’a jamais quitté.

« Il ne serait pas difficile pour l’occupation d’essayer de m’assassiner de nouveau, surtout avec le surcroît d’incitation que j’entends et perçois autour de moi »,

avait dit Hassan.

« Ils peuvent me tuer à l’intérieur de l’hôpital, dans cette chambre que j’occupe. Que puis-je faire ? »

Ils l’ont tué, exactement comme il l’avait prédit, sans armes, à l’intérieur d’un hôpital, sans qu’il pose la moindre menace pour qui que ce soit. Il était dans l’unité des brûlés de l’hôpital, toujours en convalescence de sa première tentative d’assassinat.

Ils ont tué Hassan, laissant derrière lui sa famille, ses enfants et sa femme.

Ils l’ont tué, laissant derrière lui ses collègues qui pleurent un vide que l’on ne pourra combler.

Ils l’ont tué, exactement comme il l’avait prédit, en face du monde et sans que personne n’intervienne pour empêcher cela.

Ils l’ont tué parce que les journalistes à Gaza sont les seules personnes au monde à livrer des témoignages sur le pire crime de notre époque.

Et, bien que nous ayons perdu une irremplaçable voix de la vérité, au moment où la tristesse me submerge, je pense à certaines des dernières paroles que Hassan m’a dites :

« Si l’armée israélienne me tue, les photos que j’ai prises et les histoires que j’ai racontées au monde continueront de vivre. Mon nom, ma cause et ma voix continueront de vivre – et l’occupation mourra. »

 

Hassan Eslayeh à l'hôpital Nasser après la tentative d'assassinat par l'armée israélienne. (Photo : Social Media)

Hassan Eslayeh à l’hôpital Nasser après la tentative d’assassinat par l’armée israélienne. (Photo : Social Media)

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Publié le 14 mai 2025 sur Mondoweiss
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

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