L’intérieur des hôpitaux de Gaza est sous attaque

La situation médicale à Gaza est une catastrophe en chute libre. Depuis le 2 mars, Israël plonge 2 millions de personnes dans une famine orchestrée tout en détruisant systématiquement toutes les infrastructures médicales et en empêchant vivres, médicaments et denrées élémentaires d’entrer dans l’enclave.

 

Bombardement de l'Hôpital indonésien à Beit Lahiya - Gaza

Bombardement de ll’Hôpital indonésien à Beit Lahiya

 

Nora Barrows-Friedman, 21 mai 2025

 

Le 13 mai, Israël a bombardé l’Hôpital européen de Gaza et le Complexe médical Nasser, tous deux situés à Khan Younis, dans le sud de Gaza.

Contre le premier, Israël s’est servi de bombes anti-bunker et a recouru à la tactique des frappes successives, tuant au moins 28 Palestiniens et en blessant des dizaines au cours de ces frappes multiples.

À Nasser, une frappe de drone israélien a ciblé l’unité des brûlés et a tué deux patients dans leur lit, dont l’un n’était autre que le journaliste Hassan Eslayeh, qui se remettait d’une précédente tentative d’assassinat.

Douze personnes ont été blessées dans cette attaque et 18 lits d’hôpital du département chirurgical, 8 de l’unité des soins intensifs (USI) et 10 autres lits ont été détruits, font savoir des sources médicales.

Six jours plus tard, Israël attaquait l’Hôpital indonésien à Beit Lahiya, dans le nord de Gaza, détruisant ses générateurs d’énergie et mettant hors service la totalité des installations médicales.

Les chars et les bulldozers israéliens avaient également entouré l’hôpital, menaçant ainsi la sécurité des patients et du personnel médical, a fait savoir Munir al-Bursh, le directeur général du ministère de la santé à Gaza.

Le 20 mai, des frappes de l’aviation israélienne ciblaient de nouveau le Complexe médical Nasser, détruisant son entrepôt de fournitures médicales.

Le Dr Majed Jaber, un médecin urgentiste, effectuait son quart de travail à l’Hôpital européen de Gaza quand il a été bombardé, le 13 mai.

« Je suis vraiment content que nous ayons survécu au bombardement incendiaire de l’Hôpital européen de Gaza »,

explique-t-il lors du podcast de The Electronic Intifada.

« Ce n’était pas la première fois qu’ils bombardaient l’hôpital mais, vous savez, parfois, le simple fait de survivre n’est qu’une pure question de chance, de nos jours »,

ajoute-t-il.

Le Dr Jaber a déclaré que le bombardement avait eu lieu jusque après la restitution du captif israélo-américain Edan Alexander. L’armée israélienne a immédiatement repris ses bombardements, frappes aériennes et tirs d’artillerie, dit-il, et les gens se sont mis à affluer aux urgences avec de graves blessures.

« Il n’y avait pas d’interruption, c’était de la violence sans arrêt »,

rappelle-t-il.

Ce soir-là,

« nous avons entendu ces bruits terrifiants – on aurait dit un tremblement de terre –, des explosions assourdissantes, et nous ne savions pas réellement ce qu’il se passait. Cela ne ressemblait vraiment à rien de ce que nous avions vécu précédemment. Le verre éclatait en tous sens, les portes volaient, des tuiles dégringolaient en même temps que les lignes électriques étaient arrachées du toit. »

Quand le Dr Jaber et ses collègues ont pu sortir, l’air était saturé de poussière, de débris et d’odeurs de gaz et de poudre à canon, ajoute-t-il.

« Nous essayions tout simplement de réaliser – de nous rendre compte que l’Hôpital européen de Gaza venait d’être bombardé et de garder à l’esprit le fait que cet hôpital précisément était le dernier en état de fonctionnement complet. C’était la toute dernière bataille, pour le ministère de la Santé et pour les soins de santé en général à Gaza. »

Le Dr Jaber fait remarquer également que l’hôpital était le tout dernier centre médical à pouvoir traiter – et encore, en fonctionnement partiel – les patients atteints d’un cancer.

« La situation était déjà mauvaise, parce qu’il nous manquait environ 70 pour 100 du stock pharmaceutique nécessaire pour traiter ces patients cancéreux, ne serait-ce qu’un tout petit peu. Nous n’avions plus les rayons, nous n’avions plus la chirurgie mais il nous restait quelques médicaments afin de garder les patients à peine en vie jusqu’au moment de les transférer à l’étranger. »

L’absence totale de soins oncologiques à Gaza, dit-il, équivaut à une sentence de mort, pour ces patients cancéreux.

Afeef Nessouli, qui officie à Gaza en tant que coordinateur logistique des soins de santé avec Glia, une organisation de solidarité médicale, explique qu’une grande partie de son travail consiste à documenter la charge de travail des médecins et les soins qu’ils sont à même de fournir dans les circonstances actuelles.

« Cela donne des histoires du genre : « Il n’y a plus assez de morphine pour les blessures par explosion. » « Un bébé qui a été décapité »… Tout cela, c’est tout simplement horrible – je veux dire que tout ce que nous avons déjà eu pour comprendre à quoi ressemble ce génocide, ces gens sont sur la ligne de front et l’ont effectivement vu ! Et il nous arrive de faire des prises de vue de tout cela, et c’est très dur. Mais ces gens sont vraiment des héros »,

explique Nessouli à propos des travailleurs médicaux.

« Nous essayons tout simplement, quoi qu’il en soit… d’atténuer tout cela. Et ainsi, parfois, cela signifie littéralement qu’on apporte de la nourriture aux gens. »

Nessouli s’est aussi adressé à des travailleurs des soins de santé qui ont été enlevés et torturés sexuellement par les forces israéliennes.

« Il s’agit d’un genre d’humiliation ciblée qui restera gravée chez les gens pendant très longtemps »,

dit-il.

Les Palestiniens, dit-il,

« se sont vu imposer un incroyable test d’humanité qu’il leur faut en quelque sorte supporter, digérer et comprendre tout en restant patients. Ainsi donc, ç’a vraiment été intéressant et il a été malaisé d’en faire partie mais aussi d’en être séparé, du fait que je ne suis pas un Palestinien de Gaza. Je suis libano-américain et c’est juste une sorte de témoignage. »

Une bonne partie de ce qu’il fait, dit-il, consiste à accorder aux médecins un espace afin qu’ils puissent parler de leurs expériences et de digérer le traumatisme tenace contre lequel ils luttent quotidiennement.

« Bien souvent, ils veulent l’exprimer avec force dans un endroit si bien qu’on s’en souvient pour ce que cela vaut – c’est arrivé, ils restent sur cette horrible expérience, parce que c’est la seule façon… il n’y a pas de justice, mais c’est juste une sorte de rapport. »

 

Trouvez ici le podcast avec les interviews des médecins (en anglais) :

 

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Publié sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

 

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