Un lundi horrible dans la ville de Gaza
Le matin du 30 juin, vers 10 heures, j’ai reçu un appel de mon ami de longue date, Osama Hamida. Il m’a dit que son frère Ali avait été grièvement blessé lors d’une attaque israélienne contre le quartier de Tuffah, à Gaza, et que lui-même était en route pour aller le voir à l’hôpital Al-Shifa.

Un nuage de fumée s’élève à la suite d’une frappe de l’aviation israélienne sur un immeuble de Gaza, le 30 juin 2025. (Photo : Omar Ashtawy / APA images)
Yousef Alnono, 3 juillet 2025
Un peu plus tôt, ce matin, Osama avait reçu un coup de téléphone d’un étranger, sur le téléphone de son frère. L’homme lui avait parlé de la blessure. Ali était conscient, mais il était blessé à la tête et il avait besoin d’être soigné.
Deux jours plus tôt, le 28 juin, Israël avait bombardé le quartier de Tuffah, tuant au moins 20 personnes. Ali s’était rendu sur les lieux le surlendemain, le 30 juin, pour voir si la maison familiale était toujours debout. C’est à ce moment-là qu’une maison de la rue de Jaffa avait été prise pour cible par Israël et qu’une pierre avait frappé Ali à la tête.
Osama me demandait de l’aider et de l’accompagner à l’hôpital. Je lui ai dit que j’arriverais très vite.
Depuis notre maison dans le quartier d’al-Nasr, dans la partie ouest de Gaza, je me suis précipité vers l’hôpital et suis entré sur le site par la grande entrée. Une bonne douzaine de corps étaient alignés sur le sol de la cour de l’hôpital, couverts de divers morceaux de tissu.
Le coin de la réception était saturé de blessés. À beaucoup, il manquait des membres, d’autres souffraient d’avoir été horriblement brûlés. Leurs visages et leurs vêtements étaient couverts de poussière. Presque tous étaient couchés à même le sol du fait qu’il n’y avait ni lits ni sièges disponibles.
Je n’en savais rien, à ce moment-là, mais je découvrais le résultat d’une série de massacres israéliens à Gaza et dans le nord, lesquels avaient tué plus de 60 personnes en une seule journée.
Au fil des heures, en fait, la situation n’allait qu’empirer.
Des hôpitaux surchargés de patients
J’ai trouvé Osama penché sur Ali, couché à même le sol. Il avait les yeux gonflés et saignait du nez et de la bouche. Apparemment, il avait le nez fracturé. Il n’y avait pas de médecin à côté de lui.
Finalement, Ali a été transporté vers un lit. J’ai trouvé un médecin qui m’a dit qu’Ali aurait besoin d’un CT-scan (tomodensitométrie) et que ce test n’était disponible qu’à l’hôpital arabe Al Ahli, dans la partie est de la ville. Il a fait une demande d’ambulance afin d’emmener Ali vers cet autre hôpital.
On ne nous a pas permis d’accompagner Ali dans l’ambulance, de sorte qu’Osama et moi avons cherché une voiture pour nous emmener. Très peu de taxis opéraient à Gaza et, la plupart du temps, ils étaient déjà bondés. Nous en avons finalement trouvé un et le chauffeur nous a déposés à 200 mètres d’où nous étions. Nous sommes sortis de la voiture et nous avons marché en nous dépêchant.
Avant d’arriver à l’hôpital, un homme nous a interpellés pour nous mettre en garde de ne pas aller plus loin. Il nous a dit de ne pas traverser la rue et qu’il y avait là une structure qu’on avait menacée de bombarder.
Nous avons dû prendre un autre chemin.
Plusieurs minutes se sont écoulées et une énorme explosion a ébranlé le sol.
Toutes les dix minutes, il y avait une autre explosion.
Après le massacre du café al-Baqa
Nous sommes arrivés à l’hôpital arabe Al Ahli et nous avons dû attendre. Ali était incapable de se tenir debout et on lui a procuré un lit. Les patients étaient nombreux à avoir besoin d’un CT-scan, ce jour-là, et il n’y avait qu’un seul appareil.
Vers 13 heures, ç’a été le tour d’Ali, pour son scanner. L’examen a révélé qu’il avait une fracture du crâne. Le médecin nous a dit qu’il devait retourner à l’hôpital Al-Shifa.
Nous sommes donc retournés à l’hôpital Al-Shifa et nous avons montré au médecin les résultats du scanner.
Osama et moi nous nous tenions sur le côté, regardant le médecin en train de soigner Ali et de nettoyer ses blessures. Le nez d’Ali était cassé et le médecin l’a stabilisé avec de petites attelles en bois.
Osama et moi sommes ensuite sortis dans la cour de l’hôpital, en nous imaginant qu’Osama allait rester la nuit sur place avec son frère.
Puis, soudainement, une ambulance est entrée à grande vitesse dans la cour de l’hôpital et s’est mise à décharger des gens blessés.
La scène est devenue terrifiante.
Un adolescent aux pantalons déchirés était porté par un autre jeune homme. Il m’a appelé en disant : « S’il te plaît, tiens mon pied ! » Mais je ne savais même pas comment pouvoir l’aider – le pied de l’ado pendouillait et n’était plus relié à la jambe que par un mince bout de chair.
Je me suis retrouvé en état de choc, après quoi, une autre ambulance a amené deux jeunes femmes blessées aux vêtements tout tachés de sang.
La situation ne faisait qu’empirer. Une autre ambulance est arrivée, portant des corps vilainement brûlés de martyrs, tous très jeunes.
Je n’ai pas pu le supporter et j’ai crié pour demander : « Que se passe-t-il ? »
Un étranger près de moi m’a dit que l’armée israélienne avait bombardé le café al-Baqa. Je connaissais cet endroit et nombre de mes amis le fréquentaient.
Des charrettes à âne sont arrivées, transportant bien d’autres martyrs encore. Leurs corps étaient carbonisés, tout noirs, suite au bombardement. Puis un tracteur est arrivé, transportant des morts plus nombreux encore.
À voir les blessés, il était clair qu’il s’agissait d’étudiants de l’université. Les cafés étaient devenus leurs seuls refuges, leur proposant de l’électricité et internet parmi les conditions très pénibles régnant à Gaza.
La cour de l’hôpital était tellement remplie de monde qu’il ne restait plus de place pour les corps. Pourtant, les ambulances allaient et venaient à de nombreuses reprises encore, amenant de plus en plus de gens.
Ce jour-là, le bombardement israélien avait tué plus de 40 personnes dans le café et des dizaines d’autres encore avaient été tués et blessés lors d’autres attaques contre le nord de Gaza ce même 30 juin.
Je suis allé examiner les martyrs. Dans ces cas-là, j’ai peur de reconnaître quelqu’un qui a été tué.
J’ai déjà connu cette situation auparavant, en cherchant des visages d’êtres chers parmi tout un champ de martyrs. Ici, parmi les morts, beaucoup n’avaient même plus de visage.
L’odeur de la cour de l’hôpital était celle des corps brûlés et du sang. Je ne pouvais la supporter.
De nouveaux ordres d’évacuation encore
Nous sommes entrés dans l’hôpital pour nous renseigner sur le compte d’Ali.
Un médecin nous a dit que nous devions l’emmener chez lui, qu’il avait fait ce qu’il pouvait et qu’ils avaient besoin de place pour les nouveaux arrivants.
C’est alors que la situation s’est encore compliquée.
Nos téléphones bourdonnaient de notifications. Les ordres d’évacuation se succédaient rapidement, avec des appels répétés sur nos téléphones qui repassaient des messages enregistrés en provenance de l’armée d’occupation qui nous ordonnait de nous rendre dans le sud.
C’était comme si la guerre en était revenue à ses tout premiers jours.
J’écris cet article, en ce moment, depuis le quartier d’al-Nasr, à Gaza même, un quartier surpeuplé de personnes déplacées suite aux récentes attaques israéliennes. Nous n’avons pas évacué vers le sud.
Le sentiment de perte est douloureux et la situation est devenue insupportable à Gaza.
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Yousef Alnono est un écrivain originaire de la bande de Gaza.
Publié le 3 juillet 2025 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine