La guerre réelle
Comme l’a dit en 1948 le comte Folke Bernadotte, médiateur de l’ONU et défenseur des réfugiés palestiniens : « Ce serait une atteinte aux principes de justice élémentaire si ces victimes innocentes du conflit se voyaient refuser le droit de retourner dans leur foyer tandis que les immigrants juifs affluent en Palestine. »
Une commission de conciliation composée de trois États membres a été constituée pour superviser le rapatriement des réfugiés et, un an plus tard, l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA) a été créé pour s’occuper de ces personnes jusqu’à leur rapatriement. Mais cela ne s’est jamais produit, et à partir de ce moment, la véritable guerre entre Israël et les Palestiniens a commencé, le premier se battant pour empêcher les Palestiniens de revenir, et les seconds résolument déterminés à rentrer.
La première mesure prise par Israël fut l’assassinat de Folke Bernadotte par des membres de l’organisation sioniste Lehi trois mois avant l’adoption de la Résolution 194. Hommage lui a été rendu de façon poignante pour ses efforts de rétablissement de la paix dans l’article 1 de la résolution. Israël a ensuite rejeté les exigences de l’ONU, même si les conditions de son admission ultérieure à l’ONU en 1949 exigeaient le respect des résolutions de l’ONU, dont la 194.
Les avocats israéliens se sont plutôt mis à la détricoter, faisant valoir que le libellé de la résolution laissait entendre que le retour des réfugiés n’était pas un droit immédiat. Ils ont prétendu que l’expression « souhaitant vivre en paix » donnait à Israël le choix de décider quels réfugiés répondaient à cette exigence.
En raison de cette ambiguïté, l’Assemblée générale a affirmé en 1974 « le droit inaliénable des Palestiniens de rentrer chez eux ». Les objections d’Israël n’ont jamais eu aucune validité juridique, mais lui ont servi à maintenir son opposition au droit au retour.
Marginalisation accrue
La Résolution 194 a été de plus en plus marginalisée au fil des ans. Elle n’a jamais été mise en œuvre, et avec le temps, sa position a été affaiblie du fait d’une communauté internationale rechignant à la faire appliquer.
Le discours sur le droit au retour a aussi été dilué. Le Résolution 242 de l’ONU, adoptée en 1967, évoquait de manière ambiguë un « juste règlement » pour les réfugiés. Les Accords d’Oslo de 1993 reléguaient la question des réfugiés aux négociations de statut final, qui n’ont jamais eu lieu. Le plan de paix Clinton de 2000 avançait diverses options pour résoudre la question des réfugiés, dont le rapatriement vers l’Etat de Palestine (inexistant), l’établissement dans les pays d’accueil ou l’émigration vers des pays tiers, tels que le Canada ou l’Australie. Seul un retour symbolique en Israël fut offert, et même là sous réserve de son approbation.
En 2002, l’initiative de paix arabe parlait d’une «solution juste» pour les réfugiés, «dans le respect de» la Résolution 194, sans plus de précisions ; et la feuille de route de 2004 –censée être toujours supervisée par les EU, l’UE, l’ONU et la Russie comprenait une clause concernant une solution «réaliste et convenue» au problème des réfugiés.
L’opposition obstinée d’Israël au droit au retour s’est accrue en parallèle. Au cours des 70 dernières années, il a réussi à ce que les tentatives de rapatriement d’aucun des 750.000 réfugiés de 1948 et leurs descendants, ou des 350.000 réfugiés supplémentaires de 1967 n’aboutissent. Mis à part une offre de reprendre 100.000 réfugiés en 1949, rapidement rétractée, Israël n’a présenté aucune excuse pour la catastrophe humaine qu’il a créé, et n’en a encore moins accepté la responsabilité.
Les Etats arabes qui auraient dû être à l’avant-garde de ceux qui défendent les réfugiés palestiniens ont rendu leur discours sur le droit au retour vague et ambigu, en phase avec les préférences israéliennes. Et, comme pour enfoncer le dernier clou dans le cercueil du droit au retour, le président états-unien Donald Trump a mis fin au financement américain de l’UNRWA, et tente de réduire le nombre de réfugiés palestiniens en redéfinissant qui ils sont.
Soutien occidental
La guerre contre le retour des Palestiniens ne pouvait qu’être inégale, et jusqu’à présent est remportée par Israël, étant donné le soutien occidental massif dont il jouit. A la fondation d’Israël en 1948, de nombreux états occidentaux y ont vu une façon d’indemniser les juifs pour les horreurs que l’Allemagne leur avait infligées. Pays lointain, la Palestine – dans une région «arriérée», majoritairement sous contrôle occidental et sans les moyens de résister – a dû sembler un refuge idéal pour les juifs européens.
En y installant les réfugiés juifs d’après-guerre et en résolvant la «question juive» pluriséculaire, l’occident a ignoré le coût à supporter par la population autochtone de Palestine. Mais, inévitablement, vu la détermination des fondateurs d’Israël de créer un état pour les juifs sur une terre qui n’était pas juive, la démographie de la Palestine allait devoir être inversée, en convertissant la majorité arabe existante en une majorité juive. Ce qui inexorablement mena à la Nakba et au droit au retour.
En cette année anniversaire, il est grand temps d’appliquer la Résolution 194 et de mettre fin à la guerre de la seule manière possible : en affirmant le droit des Palestiniens de retourner sur la terre de leurs ancêtres, et en exhortant les Israéliens et les Palestiniens à partager la terre entre le fleuve et la mer dans le cadre d’un état laïque et démocratique, où les droits égaux de tous ses citoyens sont consacrés par la loi.
L’occident, qui a créé Israël pour résoudre sa question juive, ne sera pas favorable à cette solution. Toutefois, tous ceux qui ont eu à subir les conséquences de cet acte le seront.
Ghada Karmi est médecin, universitaire et auteure palestinienne.
Publié le 11/12/2018 – Middle East Eye
Traduction: Chronique de Palestine – MJB
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