Nazareth – L’annuelle « Marche du retour » organisée par les Palestiniens en Israël, en guise de commémoration de la Nakba – l’expulsion de centaines de milliers de Palestiniens de leurs foyers en 1948 –, a été bloquée par la police israélienne pour la première fois de son histoire.
La police a refusé une autorisation aux organisations, prétendant qu’elle manquait d’agents pour superviser la marche.
Mais les dirigeants palestiniens en Israël accusent le gouvernement d’extrême droite de Benjamin Netanyahou d’être derrière cette décision, dont ils croient qu’elle est l’ultime démarche en date en vue de réduire au silence leur commémoration des événements d’il y a 69 ans.
La Nakba – le mot arabe pour « Catastrophe » – fait référence à la création d‘Israël sur les ruines de la patrie des Palestiniens en 1948. Quelque 750 000 Palestiniens avaient été expulsés des frontières du nouvel État d’Israël et plus de 500 villages avaient été rasés pour empêcher le retour des réfugiés.
La marche a rapidement pris de l’ampleur, ces dernières années, en guise de défi aux mesures de plus en plus répressives prises par les autorités israéliennes.
Il s’agit aujourd’hui du plus grand événement commémoratif organisé par le 1,7 million de citoyens palestiniens d’Israël, soit un cinquième de la population israélienne. Ils sont les descendants du petit nombre de Palestiniens qui sont parvenus à éviter l’expulsion, bien qu’ils soient nombreux à avoir connu la déportation interne, avec la Nakba.
Les organisateurs s’étaient attendus à ce que 25 000 personnes environ assistent au rassemblement de cette année dans un village détruit de Galilée.
Adalah, un centre juridique pour les Palestiniens en Israël, a adressé une lettre au premier conseiller juridique d’Israël, le menaçant d’interjeter appel contre cette décision devant la Cour suprême si elle n’était pas annulée.
Si aucune autorisation n’est accordée, ce sera la première fois que la Marche du retour n’aura pas lieu depuis que l’événement a été inauguré voici près de 20 ans.
« Il s’agit clairement d’une décision politique. Le gouvernement essaie d’acculer dans un coin une nouvelle génération de jeunes palestiniens en Israël, afin de les intimider et de les réduire au silence », a déclaré à Al Jazeera Yousef Jabareen, un membre palestinien du Parlement israélien.
« Le gouvernement [israélien] espère que les jeunes Palestiniens vont oublier leur identité, leur histoire et leur connexion avec les terres dont leurs grands-parents ont été expulsés. Mais le fait que la marche prend de l’ampleur d’année en année montre qu’ils n’ont pas oublié. Et c’est précisément ce qui met la droite en colère, en Israël. »
La minorité en Israël est le seul groupe important de Palestiniens dans la région qui peut toujours visiter les terres des villages détruits. De nos jours, les Palestiniens de la Cisjordanie occupée et de Gaza n’ont que très rarement l’autorisation d’entrer en Israël.
Il en est résulté que la Marche du retour, a fait remarquer Jabareen, a gagné un important poids symbolique aux yeux des autres Palestiniens. Elle donne l’occasion à des réfugiés plus âgés de retourner à leurs villages, et ils emportent souvent les clés de fer de maisons qui n’existent plus.
Les années précédentes, les participants à la marche brandissaient des écriteaux réclamant le droit au retour pour les millions de réfugiés dispersés dans la région. Le mot d’ordre principal de l’événement est : « Le jour de l’indépendance israélienne est notre Nakba. »
L’événement attire aujourd’hui des milliers de jeunes citoyens palestiniens, ainsi qu’un nombre plus restreint de Juifs israéliens sympathisants. Ilan Pappé, un historien israélien spécialiste de la Nakba, a expliqué à Al Jazeera : « Les Palestiniens se sont mobilisés en très grands nombres pour la marche, en raison de l’utilisation croissante d’Internet et des médias sociaux. »
Et d’ajouter : « Lors de la marche, ils peuvent brandir le drapeau palestinien et exprimer leur identité collective en tant que minorité nationale. Le gouvernement perçoit la chose comme un refus de succomber au modèle du »bon Arabe ». »
Cette année, la marche devait se rendre près des ruines de Kabri, un village détruit au nord-est de la ville côtière d’Acre, en Galilée. Kabri avait été détruit quelques jours après qu’Israël se fut érigé en État le 15 mai 1948. Presque tous les villageois avaient été chassés vers le Liban.
Les organisateurs avaient espéré amener sur place un survivant – 86 ans – de l’expulsion, qui vit aujourd’hui à Acre.
Mohammed Bassem, avocat à Adalah, a déclaré à Al Jazeera que les organisateurs avaient promis de fournir 300 stewards afin de superviser la marche, ne laissant à la police israélienne que la tâche de gérer le trafic sur les routes d’accès. « Dans de telles circonstances, il est difficile de voir comment l’événement va faire peser une contrainte sur les effectifs de la police », a-t-il expliqué.
Toutefois, plusieurs communautés juives, installées sur les terres du village, se sont publiquement opposées à la marche. Elles disent que ce serait une insulte à la mémoire de plusieurs douzaines de Juifs tués dans la région au cours de la guerre de 1948.
Yoram Yisraeli, chef du conseil régional local, a sorti une déclaration à l’adresse des médias israéliens, laquelle dit de la marche : « Elle n’aura pas lieu… Je ne tendrai pas la main au rassemblement. Que les organisateurs choisissent un endroit [différent] qui convienne pour commémorer la Nakba. »
Pappé a déclaré que la police s’était mise à imposer des restrictions de plus en plus sévères à la marche l’an dernier et qu’elle aurait trouvé un prétexte pour refuser l’autorisation cette année, quel que soit l’endroit qui aurait été choisi.
« La marche a toujours été pacifique. Mais la police et l’élite politique d’Israël perçoivent toute commémoration de la Nakba comme l’équivalent d’un acte de terrorisme. Toute manifestation est considérée comme une menace, comme le départ de la prochaine Intifada », a-t-il dit en faisant allusion aux deux insurrections majeures des Palestiniens dans les territoires occupés.
La décision de la police succède à des années d’opposition croissante de la part du gouvernement Netanyahou à toute commémoration de la Nakba. En 2011, il avait fait passer ce qu’on appelle la Loi Nakba, qui permet aux responsables officiels de l’État de pénaliser financièrement toutes les institutions publiques, y compris les écoles et les organisations de la société civile, qui commémorent les événements de 1948.
La ministre de la Culture, Miri Regev, a régulièrement menacé de supprimer le financement de toutes les institutions culturelles, y compris les théâtres et les cinémas, qui accueillent des événements se rapportant à la Nakba.
Jabareen a fait remarquer que Regev se préparait à introduire un projet de loi sur la « loyauté culturelle » au cours des prochaines semaines afin de renforcer son pouvoir de supprimer les fonds à de telles institutions. Les universités israéliennes ont refusé des autorisations de commémoration de la Nakba sur les campus et ont suspendu les étudiants qui organisaient de tels événements.
Et, récemment, les archives de l’État israélien ont fait disparaître des quantités importantes de documents de 1948 qui avaient été auparavant mis à la disposition des chercheurs.
« Depuis la Loi sur la Nakba, il existe une tendance manifeste à accroître les restrictions », a expliqué Pappé.
Bien que les Palestiniens commémorent le Jour de la Nakba le 15 mai, le jour où Israël s’est proclamé un État, la Marche du retour est organisée le jour de l’anniversaire qui concorde avec le calendrier hébreu. Cette année, elle doit avoir lieu le 2 mai.
La police a déclaré aux organisateurs qu’elle ne pouvait coopérer à la marche de cette année, parce qu’elle sera trop occupée avec les célébrations de la Journée de l’Indépendance organisées par les Juifs israéliens.
Micky Rosenfeld, un porte-parole de la police, a expliqué à Al Jazeera : « Nous avons des tas de demandes pour des réunions et des défilés, lors de la Journée de l’Indépendance et nous devons examiner comment utiliser aux mieux nos effectifs limités. »
Selon Adalah, la police a proposé que la marche ait lieu à une date différente. Mohammed Kayal, un membre du comité de l’Association de défense des personnes déplacées à l’intérieur (ADRID), qui organise la Marche du retour, a déclaré que la police n’agissait pas de bonne foi.
« Nous organisons la marche depuis vingt ans et rien ne diffère cette année », a-t-il expliqué à Al Jazeera.
Il a fait remarquer que la Journée de l’Indépendance était un jour férié national, en Israël, ce qui donnait à la plupart des citoyens palestiniens l’occasion de participer. « Tout autre jour, ça ne marcherait pas », a-t-il dit.
Et d’ajouter qu’il y avait d’autres raisons pour lesquelles il importait d’organiser l’événement lors de la Journée de l’Indépendance d’Israël. « Nous avons le devoir de rappeler au public israélien que ce que nous considérons comme leur indépendance s’est produit à un prix horrible. Des millions de Palestiniens continuent de souffrir à cause de ces événements et se voient refuser le droit de retourner sur leurs terres. »
Selon des estimations de l’ADRID, au moins un citoyen palestinien d’ Israël sur cinq a été obligé par l’armée israélienne de quitter son village en 1948 et à été déporté à l’intérieur du pays. Des millions d’autres réfugiés palestiniens et leurs descendants languissent à l’extérieur des frontières d’Israël, dans des camps disséminés dans toute la région.
Israël a dépouillé en permanence tous les réfugiés, y compris ses citoyens palestiniens, du droit de revendiquer leur propriété en fonction de la Loi de 1950 sur les propriétaires absents, a déclaré Suhad Bishara, une autre avocate d’Adalah.
Kayal a réfuté d’autres allégations disant que la marché pourrait dégénérer en heurts entre participants palestiniens et juifs célébrant la Journée de l’Indépendance.
« La marche se termine pacifiquement depuis tant d’années et il n’y a pas de raison que ce soit différent cette année », a-t-il dit. « La route que nous avons choisie ne passe pas à proximité de la population juive et cela ne devrait pas causer de frictions. »
Publié sur le 10 avril 2017 sur Al Jazeera
Traduction : Jean-Marie Flémal
Jonathan Cook vit à Nazareth et est lauréat du prix spécial Martha Gellhorn de journalisme.
Ses ouvrages récents sont « Israel and the Clash of Civilisations: Iraq, Iran and the Plan to Remake the Middle East » (Israël et le choc des civilisations : l’Irak, l’Iran et le plan de remodelage du Moyen-Orient) (Pluto Press) et Disappearing Palestine: Israel’s Experiments in Human Despair (La disparition de la Palestine : expérimentations israéliennes autour du désespoir humain) (Zed Books).
Son site web personnel est : www.jonathan-cook.net.
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