Salam Fayyad, la Banque mondiale et le jeu d’Oslo

La plupart des observateurs palestiniens estiment que c’est aux accords d’Oslo qu’il convient d’imputer l’effondrement de l’économie palestinienne.  Excédés par les augmentations des prix du carburant, des dizaines de milliers de chauffeurs de taxi, camion et bus palestiniens de Cisjordanie ont observé une journée de grève, bloquant réellement les villes.

Les protestataires palestiniens rejettent sur le Premier ministre Salam Fayyad le blâme de la crise économique

Manifestation à Ramallah (Ahmad Nimer/Al Jazeera)

Ceci, rapportait Al Jazeera, constituait le point culminant de plusieurs jours de protestations au cours desquelles des milliers de Palestiniens, frustrés par la crise économique en Cisjordanie, sont descendus dans les rues. Après que leurs protestations eurent forcé la fermeture des bureaux du gouvernement, le Premier ministre décida de réduire les prix du carburant et de diminuer les salaires des hauts responsables de l’Autorité palestinienne, dans un effort pour apaiser ses concitoyens en colère.

Le Premier ministre Fayyad, un ancien agent du Fonds Monétaire International (FMI), sait sans aucun doute que ni sa décision précédente d’augmenter les prix du carburant, ni celle, toute récente, de les diminuer n’auront de réel effet sur la crise économique imminente. L’un après l’autre, les rapports ont constaté la complète dépendance de l’économie palestinienne vis-à-vis de l’aide étrangère, en même temps qu’ils soulignaient l’extrême pauvreté et l’insécurité alimentaire chronique qui frappaient la population. Ces rapports suggèrent tous que c’est l’occupation israélienne qu’il convient de blâmer pour la débâcle économique qui se déploie actuelle et ceci amène une question cruciale : pourquoi la colère des Palestiniens était-elle dirigée contre Fayyad plutôt que contre Israël ?On peut découvrir la clé de cette énigme dans le chapitre manquant d’un rapport de la Banque Mondiale publié à peine une semaine après que les protestations se furent calmées. Mettant en garde contre le fait que la crise budgétaire en Cisjordanie et à Gaza s’aggrave, la Banque mondiale a blâmé le gouvernement israélien de maintenir ferment son emprise sir 60% de la Cisjordanie, refusant aux Palestiniens l’accès à la majeure partie des terres arables de la région tout en limitant leur accès à l’eau et aux autres ressources naturelles.

Il est remarquable que les économistes qui ont rédigé le rapport éclairent tout particulièrement l’impact des restrictions sévères des Israéliens vis-à-vis des terres palestiniennes, alors qu’ils ne disent rien de la politique économique. Ils semblent suggérer que si seulement on avait permis au processus d’Oslo d’aller de l’avant, l’économie palestinienne ne se porterait pas si mal. Ils oublient de ce fait de mentionner l’effet néfaste des protocoles de Paris, à savoir l’accord intérimaire palestino-israélien d’avril 1994 qui explique par le menu les arrangements économiques d’Oslo.

Chose intéressante, les trois documents fondamentaux publiés par Fayyad depuis qu’il est Premier ministre

  • « La réforme palestinienne et le plan de développement » (2008),
  • « La fin de l’occupation et l’instauration d’un État » (2009) et
  • « Dernière ligne droite pour la liberté » (2010)

omettent également de discuter de l’effet étouffant exercé par les protocoles de Paris sur l’économie palestinienne.

S’étendant sur 35 pages – contrairement aux accords NAFTA qui couvrent plus de 1.000 pages -, cet accord économique reproduit la soumission des Palestiniens à Israël, tout en ruinant la possibilité même d’une souveraineté palestinienne. Le problème majeur de l’accord, comme l’ont fait remarquer les économistes israéliens Arie Arnon et Jimmy Weinblatt voici plus de dix ans, c’est qu’il instaure une union douanière avec Israël et que cette union s’appuie sur des réglementation commerciales israéliennes, qu’il permet à Israël de garder le contrôle de tous les flux de main-d’œuvre et qu’il interdit aux Palestiniens d’introduire leur propre monnaie, les privant ainsi de la possibilité d’influencer les taux d’intérêt, l’inflation, etc.

Pourquoi, devons-nous nous demander, le Premier ministre Fayyad souhaite-t-il « amender » les protocoles de Paris ? Et pourquoi la Banque mondiale ne mentionne-t-elle même pas l’accord et, inutile de le rappeler, les limitations sévères qu’il impose à la capacité de l’Autorité palestinienne de choisir son propre régime économique et d’adopter une politique commerciale en fonction de ses intérêts perçus ?

La réponse est indissociable d’un investissement
partagé – et qui se poursuit – dans Oslo.

Salam Fayyad

Les protestataires palestiniens rejettent sur le Premier ministre Salam Fayyad le blâme de la crise économique, puisque « le moindre résident de Cisjordanie sait que la crise est le résultat de l’occupation. » [EPA]

Le Premier ministre Fayyad, la Banque mondiale et, en effet, la plupart des dirigeants occidentaux perçoivent l’actuelle crise économique dans les territoires palestiniens comme résultant de l’effondrement du processus d’Oslo en 1993. Ils aimeraient bien ramener Oslo sur ses rails, le développer et la donner de l’expansion. Au contraire, la plupart des analystes palestiniens prétendent actuellement que ce sont les accords d’Oslo qui sont à l’origine de l’effondrement de l’économie palestinienne.

Les protestataires savent que la fragmentation de la Cisjordanie, l’incapacité des Palestiniens à contrôler leurs propres frontières et le manque d’accès à de vastes portions de terre (ces faits sont soulignés dans les rapports) sont inextricablement liés à l’union douanière intenable et à l’absence d’une monnaie palestinienne. Ces restrictions font toutes partie intégrante des accords d’Oslo et ne constituent nullement une aberration qui en découle.

Partant de là, il serait déraisonnable de croire que les protestataires palestiniens blâment le Premier ministre Fayyad de la crise économique, puisque chaque résident de la Cisjordanie sait pertinemment bien que la crise résulte de l’occupation. Il semble par conséquent raisonnable de présumer qu’ils blâment en fait Fayyad de continuer à jouer le jeu d’Oslo.

Les Palestiniens n’ont aucune souveraineté dans les territoires occupés (TPO) et, pourtant, ils ont un président, un Premier ministre et toute une clique de ministres qui, depuis des années, se pavanent comme s’ils faisaient partie d’un gouvernement légitime dans un pays indépendant. La seule façon de mettre un terme à l’occupation est de laisser tomber Oslo, de forcer l’Autorité palestinienne à cesser de jouer à ce jeu futile et de s’attaquer résolument à ses répercussions désastreuses.


Neve Gordon est l’auteur de « Israel’s Occupation » et on peut le joindre via son site Israel’s Occupation.

Article publié le 27 septembre 2012 sur Al Jazeera

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