Rafiqa Yvon’: camarade Yvonne
A propos du décès de la première femme fédayine européenne Yvonne Sterk
En 1970, la Limbourgeoise Yvonne Sterk avait attiré l’attention de la presse mondiale en étant la toute première Européenne à s’engager comme fedayine dans la résistance palestinienne. Elle est décédée le 27 juillet 2012, à l’âge de 92 ans, dans un home pour personnes âgées.
A Beyrouth, tout le monde la connaissait sous le surnom de « rafiqa Yvon’ », camarade Yvonne.
J’avais fait sa connaissance en 1975, à Beyrouth, où elle était alors secrétaire personnelle de Kamal Joumblat, le dirigeant socialiste du front libanais qui soutenait la résistance palestinienne.
Elle-même était membre du Front Démocratique communiste pour la libération de la Palestine.
En fait, elle était poétesse et journaliste.
Elle était née en 1920, dans la Campine limbourgeoise. Son père travaillait dans l’administration du charbonnage d’Eisden. C’est là qu’elle était allée à l’école, à l’époque encore en français. C’est également dans cette langue qu’elle écrira. Aussi bien la nature de la Campinne que les nombreuses nationalités qu’on y rencontre illustreront ses premiers poèmes.
« Parfois la nuit est espagnole. Elle conduit ses guitares de par le paysage violet de l’automne. La pleine lune, cet œil d’Andalousie, se lève ici tout comme jadis. Federico Garcia Lorca, tel l’amour d’alors… La nuit pique une rose rouge, du même rouge que la chanson, dans la chevelure sombre du vent. »
(extrait de « Opgrimbie en Campine » )
Ses premiers recueils lui valurent une reconnaissance littéraire. Par hasard, en 1964, elle entra en contact avec un poète absolument remarquable, l’émir de Sharja (l’un des Emirats du Golfe). Ce fut le début d’une grande amitié littéraire. Le cheikh Saqr al-Qasimi était, d’une tout autre sorte que les actuels émirs du Golfe. Il fut déposé par les Britanniques, du fait qu’il était trop nationaliste et il partit en exil pour l’Égypte de Nasser (en 1966). Le résultat de leur rencontre fut son recueil Sabil al Ayun, Les Désirs de Fontaine.
Elle découvrit la cause palestinienne en avril 1967 au cours d’un congrès international d’écrivains à Beyrouth, où étaient également présents des poètes palestiniens comme Fadwa Tuqan et Ghassan Kanafani.
A l’instar d’Yvonne, ce dernier était communiste. Après la longue guerre des Six Jours, au cours de laquelle Israël conquit le reste de la Palestine, elle se rendit à Jérusalem. Dans l’un de ses poèmes, elle décrit comment les Israéliens avaient complètement rasé le quartier arabe faisant face au Mur des Lamentations afin d’en faire une vaste place :
« Les tailleurs de pierre travaillent sous les branches d’olivier dans un jardin dynamité. Pierre après pierre, les siècles tombent pour la prière introuvable de Lévi (1). Sous ton foulard, sous ton chapeau, tu chantes faux, Jérusalem, mais la balance des temps ne pourra te contrefaire. »
Ensuite, elle revient en Belgique. Elle y travaille au sein du premier Comité Palestine : Paix et Justice au Moyen-Orient, en compagnie de Marcel Liebman, Luc Sommerhausen et Isabelle Blume, des socialistes de gauche et des communistes qui avaient été dans la résistance durant la Seconde Guerre Mondiale et qui avaient soutenu ensuite le Front algérien de libération, le FLN, dans sa lutte anticolonialiste contre les Français. Quand, en France, la répression devint trop forte contre la direction du FLN, celle-ci se réfugia en Belgique et, grâce aux personnes précitées et au bourgmestre socialiste de gauche de Saint-Josse-ten-Noode, Guy Cudell, ils purent se cacher à Saint-Josse.
Après l’indépendance de l’Algérie, ils feront la connaissance en 1969, à Alger, de Yasser Arafat et, à leur retour en Belgique, ils seront les premiers à organiser la solidarité avec la résistance palestinienne.
Mais des différends idéologiques apparaissent. Isabelle Blume, membre du PC, suit la ligne de Moscou et refuse toute critique fondamentale à l’encontre d’Israël. Liebman adopte une attitude hésitante.
Luc Sommerhausen, en compagnie d’Yvonne et de quelques « gauchistes », fonde aussitôt le Comité national Palestine. C’est bien avant l’Association belgo-palestinienne actuelle. Il soutient toute la résistance, avec une préférence pour le Front Démocratique qui déjà à l’époque, proposait un Etat binational.
Moi-même, j’en serai membre brièvement. Entre-temps, Yvonne est retournée au Moyen-Orient.
En 1970, elle se rend au Liban et y travaille comme journaliste, sporadiquement, pour quelques organes francophones : Jours du Liban, La Libre Belgique, mais surtout dans le cadre de son appartenance aux bureau permanent des écrivains afro-asiatiques (Le Caire).
Quand les chaînes de TV anglo-saxonnes l’interviewent en tant que membre officielle du Front démocratique, kalachnikov en main, dans un camp d’entraînement militaire du Front, elle fait la une de l’actualité mondiale.
La télévision belge elle aussi reprend l’interview. Cela fait mauvais effet du côté de l’establishment belge et, dès lors, les médias belges n’accepteront plus un seul des ses articles.
A Amman, elle transmet les nouvelles sur la Résistance palestinienne qui, entre 1969 et septembre 1970, exerçait de fait le pouvoir réel sur les Palestiniens en Jordanie et pouvait compter sur beaucoup de sympathie auprès des paysans jordaniens.
Elle le fait en tant que membre du Front Démocratique. Sa photo la plus connue deviendra la photo emblématique du front : une manifestation des paysans palestiniens et jordaniens, en compagnie de jeunes fedayin dans les rues d’Amman. A l’avant-plan, un homme âgé qui a apporté ses propres marteau et faucille et les brandit triomphalement au-dessus de sa tête. A l’époque, le slogan était : Tariq al yasaar… tariq al nasser, ou la voie de la gauche est la voie de la victoire. Il n’était pas encore question à l’époque du Hamas.
En 1972, elle rencontre Kamal Joumblat, président du Parti Socialiste libanais et porte-parole de la gauche au Liban. Elle devient sa secrétaire particulière et habite chez lui au palais de Mukhtara, dan le Djebel druze.
La chose devient prétexte à pas mal de ragots. Le 16 mars 1977, Kamal Joumblat est assassiné et son fils et successeur Walid Joumblat, qui est loin d’être aussi à gauche et qui est un conservateur, la congédie. Elle rentre à Maasmechelen, au milieu des genêts, qu’elle avait déjà mis en poèmes, jadis.
« Pourquoi ce crépuscule qui flambe sur Damas vole-t-il sa splendeur au pays du genêt ? »
Yvonne voulait être enterré au pays des genêts, dans son pays de Meuse. Et il en fut ainsi.
Ses archives se trouvent au Centre des femmes Amazone (Bruxelles).
Vous pouvez découvrir une biographie plus détaillée, accompagnée d’une sélection de ses poèmes, dans mon ouvrage « Van verre kusten van verlangen. » (Des rivages lointaines du désir). EPO 2005, pp 128-150.
Lucas Catherine
Publié le 29 juillet 2012 sur De Wereld Morgen
Traduction pour ce site : Jean-Marie Flémal