Amal Murkus chante « Dola », un poème de Samih al-Qasim (clip)

La nouvelle chanson d’Amal Murkus, intitulée « Dola », s’appuie sur un poème écrit par Samih al-Qasim au début des années 1970. La plupart des poèmes de cet auteur ont été écrits en arabe littéraire. Amal Murkus en avait déjà chanté un dans son précédent album, « Fattah al Ward ». « Dola », par contre, a été rédigé en arabe vernaculaire.

Et ce, pour une raison. Le poème tourne autour d’un jeu de mots sur « dola ». « Dola » signifie pays – et « dawla » en argot égyptien signifie « ceux-là », comme dans « ces gens-là ». Amal Markus chante donc comme suit :

Dola – m’ont abusée
Dola – m’ont rendue folle
m’ont privée de ma terre
Dola
ont foulé aux pieds mon honneur
Dawla
m’a dit de la fermer, de ne pas respirer
par souci envers la sécurité de l’État.

« Dola » signifiant « ceux-là » et « dawla » signifiant « État » s’écrivent différemment en arabe. Presque tous les « dola » du poème d’al-Qasim sont écrits de la première façon :

Ces gens m’ont privée de ma terre
Ces gens ont foulé aux pieds mon honneur. 

Mais, parce que les deux « dolas » sont homophones (c’est-à-dire qu’ils se prononcent de la même façon, NdT), l’auditeur arabophone entend aussi l’autre signification – l’État n’a renié, l’État a foulé aux pieds mon honneur. « Dawla » avec la graphie signifiant « État » n’apparaît qu’une seule fois dans le poème – dans les vers

m’a dit de la fermer, de ne pas respirer
par souci de la sécurité de l’État

Amal Murkus, qui est née en 1968, est la fille de Nimr Murkus, qui a été pendant de nombreuses années le chef du conseil local de Kafr Yasif et un ami du poète al-Qasim. Elle était encore toute petite quand al-Qasim a écrit le poème.

« Je me souviens du poème depuis lors »,

dit-elle.

« J’ai vu Samih le réciter lors d’une manifestation du Premier Mai à Kafr Yasif. Il était sur scène, lisant le poème, et les gens en étaient tout excités, ils agitaient leurs mains, wow ! »

Selon Amal Murkus, « Dola » n’est pas resté uniquement dans le domaine politique mais est devenu un tube de mariage aussi.

« En raison de la mélodie », explique-t-elle. « C’est un air très rythmique, dans le style égyptien. » La mélodie a été écrite (sous les directives d’al-Qasim) par Rajab al-Suluh qui, en plus d’être un joueur d’oud, était le propriétaire du restaurant de Haïfa où les rédacteurs et responsables éditoriaux du journal Al-Ittihad allaient se détendre et, parmi eux, le père d’Amal Murkus.

« Al-Qasim voulait que la mélodie de  »Dola » soit  »populaire, simple, propice à la danse et humoristique ».

De sorte que les gens puissent rire un peu de la situation et que cela puisse peut-être rendre la situation un peu plus facile pour eux. Lors de mon travail autour de la chanson, j’ai interviewé des gens qui l’avaient chantée à leur tour lors d’un spectacle estudiantin. Pendant les répétitions, Samih leur avait dit :

 »Je veux que le contenu soit politique, mais qu’une danseuse du ventre puisse danser dessus aussi. »

Le fils d’Amal Murkus, Firas, compositeur et joueur de kanoun qui vit aux États-Unis, est responsable du nouvel arrangement et de la production de « Dola ».

« J’ai l’impression que cette chanson sera grandement appréciée », explique Amal Murkus.

« Elle est très entraînante. Alors que nous tournions le clip, des gens et des enfants du village près de chez nous étaient présents. J’ai remarqué qu’au bout d’un instant, tous chantaient la chanson, ils la connaissaient déjà par cœur. Le refrain est basé sur un seul mot qui se répète – dola-dola-dola.

« Dola », malgré son bagage politique, est moins explicite qu’un enregistrement précédent,  « Shiye Fil Harav », une chanson contre la guerre écrite par Tawfik Zayyad et qui se termine sur les mots : « Je donne ma voix à une seule guerre – la guerre de libération. »

« Dans « Dola », Israël n’est pas mentionné ; la Palestine n’est pas mentionnée », dit Amal Murkus

« Tout le monde devrait se demander : Quel est le pays qui a exproprié des terres ? Quel est le pays qui a foulé aux pieds la dignité humaine ? Peut-être est-ce la Turquie ? Peut-être est-ce le Mandat britannique ? Qu’y a-t-il encore comme États occupants ? Les États-Unis, peut-être ? La chanson ne le dit pas. C’est une chanson marrante, finaude, humoristique, légère, mais avec une prise de position. C’est une chanson de type cabaret, comme celles de Brecht. Une chanson satirique. Qui, plus que le peuple juif, comprend l’importance de la satire ? »

Le clip démarre avec Amal Murkus et sa mère, l’activiste Nabiha Murkus, passant en revue de vieilles photos dans le bureau de son père, décédé voici huit ans. Une photo de Lénine traîne là.

« C’est ce qu’il y a à la maison. Voilà comment j’ai grandi. Notre maison était remplie de symboles marxistes. Le bureau de mon père est resté quasiment comme il était. Même ses dernières cigarettes sont toujours là. »

Sa mère a 81 ans et ne peut plus assister aux manifestations comme elle l’a fait tout au long de sa vie. Elle reste néanmoins active sur Facebook.

Le clip montre Amal Murkus et sa mère exhibant une vieille photo de Samih al-Qasim prenant la parole sur une place publique. Après cela, Amal sort avec un groupe d’hommes, de femmes et d’enfants dans les rues de Kafr Yasif, où elle distribue des flyers intitulés « Liberté pour les nations ».

« C’est un bref coup d’œil sur l’histoire de ma vie », dit-elle.

« J’ai grandi dans une maison d’activistes. Mon art a germé de la combinaison de deux lignes : la musique et l’art pour l’amour de l’art, mais aussi la filière de ce qui arrive à mon peuple, de ce que je veux en tant que femme arabo-palestinienne, et aussi de ce qui se passe dans le monde. »

« Quand j’étais une gamine, je distribuais des flyers, j’allais au club de la paix à Kafr Yasif, je pliais le journal Al-Ittihad et je le distribuais dans le village arabe d’al-Aramshe en même temps que le magazine culturel Al-Rad. Israël ne faisait pas attention à nous. En classe, ils n’enseignaient pas notre histoire. Nous, en tant que minorité, nous créions une littérature, du journalisme, de la culture… »


Extrait de Haaretz, 27 décembre 2020
Traduction : Jean-Marie Flémal

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