Des soldats israéliens blessent un Palestinien, puis essaient de l’arracher de l’ambulance

L’infirmier s’est hâté de fermer la porte de l’ambulance. Les soldats sont arrivés en courant, le fusils prêts à tirer. L’un d’eux a tiré une grenade de gaz lacrymogène en l’air. Un passant a murmuré une insulte à son adresse. Les soldats se sont arrêtés un instant, se consultant entre eux pour savoir que faire. Mais, alors, l’un d’eux s’est hâté vers l’ambulance, un véhicule palestinien appartenant à l’organisation du Croissant rouge. Les cris de douleur et de terreur à l’intérieur du véhicule, où un homme blessé gisait sur une civière, se sont intensifiés.

Photo : B’tselem

Gideon Levy / Alex Levac, 1er janvier 2021

À l’intérieur de l’ambulance, un violent bras de fer s’est engagé entre l’infirmier dans son uniforme écarlate et le soldat en vert olive entré par la porte coulissante sur le côté. Le soldat a attiré l’homme blessé vers lui, essayant ainsi de l’extraire de force de l’ambulance. L’infirmier tirait de l’autre côté, essayant de protéger le blessé et de le maintenir sur la civière. C’était une scène horrible et les cris sont allés crescendo. D’autres soldats se sont approchés et ont ouvert la double porte arrière de l’ambulance. Eux aussi se sont mis à attirer l’homme blessé vers eux. Là, désormais, il était tiraillé dans tous les sens.

Un autre soldat encore a introduit la tête dans le véhicule. Son casque des Forces de défense israéliennes portait l’inscription « S.A. ». En allemand, c’était l’abréviation désignant les sections d’assaut. Sans doute aucun de ces hommes n’avait la moindre notion de cette connotation abjecte. Un autre soldat qui regardait à l’intérieur de l’ambulance portait un casque marqué « A.A. », comme s’il voulait mitiger l’impression créée par l’équipement de son copain.

Dans l’intervalle, quelques soldats sont parvenus à monter à bord de l’ambulance et à s’en assurer le contrôle. L’infirmier était seul face à cette agression. La lutte à l’intérieur du véhicule s’est intensifiée, en même temps que les cris et hurlements du blessé. À l’arrière-plan, d’épais nuages blancs de gaz lacrymogène s’élevaient le long de la route. D’autres soldats sont arrivés mais, subitement, ils ont renoncé à leur proie et ont quitté l’ambulance. Ils devaient avoir reçu un ordre. Les portes du véhicule se sont refermées et il a quitté la scène en démarrant sèchement, dans des hurlements de sirène à vous déchirer les oreilles.

Une vidéo de cet horrible incident a été publiée dans les médias sociaux palestiniens et a été reprise par les chaînes de télévision du monde entier. Voilà le vrai visage des FDI.

https://youtu.be/6mJB1ZI2J7g?t=2

Chez lui, dans la petite ville de Tayasir, dans une des maisons les plus proches du check-point coronavirus contrôlé par la police palestinienne, l’homme blessé dans l’incident vit toujours dans la crainte et l’agitation.

Fadi Wadhan. Photo : via B'tselem

Fadi Wadhan. Photo : via B’tselem

Fahdi Wahdan, un ouvrier agricole de 25 ans, petit, souriant et les pieds nus, vit dans la maison de ses parents mais a désormais peur de s’aventurer à l’extérieur. Environ un tiers des 3 000 résidents de cette petite ville du nord de la vallée du Jourdain, y compris des enfants, sont employés comme ouvriers agricoles dans les colonies israéliennes de la région, généralement pour des salaires d’exploitation. Wahdan, lui, travaillait avec son oncle pour des propriétaires terriens palestiniens.

Cette partie de la vallée est colorée en vert et en brun, à cette époque de l’année. Pas loin de là, les troupes des FDI participent à un exercice, escaladant un mur en béton proche de la colonie de Hemdat ; pendant ce temps, des jeunes de « Hilltop Youth » (Jeunes pionniers sur les collines) venus d’avant-postes illégaux enfoncent des coins dans la terre et construisent une autre clôture sur des terres volées. Leur but est de bloquer les propriétaires de terres et les autres autochtones de faire paître leurs moutons à proximité des zones d’entraînement de l’armée. Telle est la vie dans la vallée du Jourdain.

Les troupes israéliennes ont sorti Wahdan trois fois de son lit en pleine nuit ces quelques dernières années et, chaque fois, elles l’ont relâché au check-point de Tayasir après l’avoir gardé pieds et poings liés durant toute la nuit, généralement froide. Les FDI semblent amoureux des maisons de la partie est de Tayasir, qui sont proches de leurs terrains d’entraînement – il est facile d’y entrer et d’arrêter les résidents. Les jeunes gens de l’endroit râtissent occasionnellement les champs dans le sillage des soldats et ramassent des restes de munitions ou de nourriture que les militaires ont laissés derrière eux. Par la suite, les FDI fouillent les maisons pour retrouver les personnes qu’elles soupçonnent de vol ou de Dieu sait quoi.

Wahdan est un jeune homme très simple – dans l’ambulance, on a entendu quelqu’un crier qu’il était majnun, autrement dit, « fou » – dans l’espoir de le protéger. En tout cas, avec sa petite taille, il ne donne vraiment pas l’impression de poser la moindre menace. Le 24 novembre, il a participé à une manifestation de solidarité avec les résidents de Khirbet Humsah, une localité également située dans la vallée, vers le sud-ouest, et où, le 3 novembre, l’Administration civile israélienne dans les territoires a perpétré l’une des plus vastes actions de destruction de ces derniers mois. Les villageois avaient disposé de dix minutes pour ramasser leurs biens et possessions, ce jour-là, avant que l’équipe de destruction ne se mette à l’œuvre : 18 structures avaient été rasées, laissant 11 familles – soit 74 personnes, dont 41 enfants – sans toit au-dessus d’elles, dans la pluie, le vent et le froid de la vallée du Jourdain en hiver. En Cisjordanie, une journée de solidarité avec ces personnes avait été décidée pour le 24 novembre.

Ce jour-là, Wahdan attendait à l’entrée de Tayasir, où les gens venus de partout en Cisjordanie se rassemblaient, soit environ 1500 manifestants, pour une marche de protestation qui progressait lentement le long du court trajet vers le check-point de Tayasir. Généralement, le check-point n’est pas gardé mais, cette fois, des soldats israéliens attendaient en grands nombres. Khirbet Humsah est à quelque 30 kilomètres du check-point, mais les manifestants savaient que les FDI n’allaient pas leur permettre de défiler en cet endroit. Et, de façon prévisible, les soldats se sont mis à tirer des grenades de gaz lacrymogènes et des balles en métal enrobées de caoutchouc, ainsi que des balles réelles, en l’air. Des jeunes Palestiniens lançaient des pierres en direction du check-point.

Aref Daraghmeh, le chef du conseil régional palestiniens de la partie nord de la vallée du Jourdain et enquêteur de terrain local pour l’organisation israélienne de défense des droits de l’homme B’Tselem, estime qu’au moins cent soldats se trouvaient en face des manifestants.

La manifestation a dû s’arrêter en face du check-point, mais les heurts entre les soldats et les manifestants se sont poursuivis durant deux heures. Environ cent mètres séparaient les manifestants des soldats. C’était « comme la guerre », raconte Daraghmeh. Vingt et un manifestants ont été blessés par les gaz lacrymogènes, deux d’entre eux devant être hospitalisés. Les soldats ont également tiré des grenades assourdissantes contre les manifestants, dont la plupart étaient affiliés à l’organisation Fatah, qui avait mis la manifestation sur pied. Ils scandaient des slogans contre les forces d’occupation : « Va-t’en, armée terroriste, va-t’en d’ici ! »

Wahdan a été blessé environ une demi-heure après le début des heurts. Touché à l’estomac par une balle en métal enrobé de caoutchouc, il est tombé sur le sol en se tordant de douleur. Il nous raconte aujourd’hui qu’il avait eu l’impression que son ventre éclatait et qu’il avait senti qu’il allait perdre conscience.

« J’agissais de façon tout à fait normale, comme tout le monde, je ne faisais rien [de répréhensible] »,

dit-il. Des jeunes manifestants l’ont ramassé et l’ont transporté en vitesse vers une ambulance qui attendait, comme c’est le cas dans toutes les manifestations. Puis il y a eu la tentative des soldats en vue de l’extraire de force de l’ambulance.

Wahdan explique qu’il était très effrayé par les soldats qui sont entrés dans la véhicule. Il ne peut expliquer pourquoi il s’est mis à hurler aussi fort. Finalement, l’ambulance l’a emmemé à l’hôpital turc de la ville toute proche de Tubas, le siège des autorités du district. Après l’avoir radiographié, les médecins ont voulu l’hospitaliser, par crainte d’une éventuelle hémorragie dans l’abdomen, mais il a refusé et s’est hâté de rentrer chez lui en taxi.

Haaretz a demandé à l’Unité du porte-parole des FDI pourquoi les soldats avaient tenté de sortir Wahdan de l’ambulance, pourquoi, finalement, ils avaient laissé tomber cette idée et si, de façon générale, les soldats avaient agi comme il se devait. La réponse a été celle-ci :

« Mardi 24 novembre 2020, des troubles violents ont eu lieu, impliquant environ 200 Palestiniens qui ont jeté des cocktails Molotov et des pierres en direction des forces des FDI à proximité du village de Tayasir, sur le territoire de la Brigade de la valée du Jourdain. Les forces des FDI ont riposté en recourant à des moyens de dispersion de foule. »

« La suspect que l’on voit dans le clip a participé aux troubles, a lancé des cocktails Molotov en direction des combattants des FDI et, afin de se soustraire à une arrestation, il s’est enfui et s’est caché dans une ambulance qui se trouvait sur les lieux. Quand les soldats ont remarqué que le suspect était blessé, ils ont permis à l’ambulance de l’emmener pour un traitement médical. Il a été porté à notre connaissance que le suspect n’avait été blessé que superficiellement par une grenade fumigène. Nous insistons pour dire qu’il n’y a pas eu de tirs de balles [enrobées de caoutchouc] pendant ces perturbations. »

Fahdi Wahdan a-t-il en effet été blessé pendant l’incident, comme le fait savoir l’unité du porte-parole dans la fin de cette déclaration, ou se cachait-il simplement dans l’ambulance pour échapper à l’arrestation, comme cela a été prétendu au début ? Il semble n’y avoir aucune limite aux acrobaties verbales de l’Unité du porte-parole des FDI.

La mère de Wahdan, Umm Jihad, une femme solidement charpentée, était à Tubas ce jour là en compagnie de Fida, la sœur jumelle de Fahdi. Sa belle-sœur l’avait appelée vers midi pour lui dire : « Fahdi a pris une balle. C’était sur Facebook. »

Umm Jihad déclare qu’elle avait été si effrayée qu’elle s’était écroulée dans la rue. Personne n’avait pu lui dire quoi que ce soit sur l’état de son fils. Quelqu’un d’un restaurant tout proche lui avait apporté de l’eau et avait tenté de la calmer un peu. Elle s’était hâtée de rentrer chez elle dans un taxi commun, complètement désemparée. Le soir, Fahdi était apparu à la porte. « Dieu m’a aidée », dit-elle aujourd’hui en souriant.

Mais la vie de Fahdi n’a pas repris son cours normal. Loin de là. Depuis l’incident, chaque fois qu’il apprend que des soldats entrent dans la ville, sa première impulsion est de s’échapper et il essaie de trouver un endroit où se cacher dans la maison. Au cours des trois premières nuits qui ont suivi l’événement, il n’a pas pu fermer un œil. Au cours de la première semaine, il n’a pas quitté la maison ; ce n’est que par la suite que, progressivement, il s’est mis à sortir pour aller reprendre le travail. Il travaillait avec son oncle dans les champs près de Jéricho mais, depuis l’incident, il n’ose plus s’approcher du check-point de Tayasir, par peur que les soldats ne tentent à nouveau de le capturer. Ces derniers jours, il n’a travaillé qu’à proximité de Tubas, dans un endroit qui ne nécessite pas le passage par un check-point de l’armée. Très souvent, il regarde la vidéo de la tentative en vue de l’extraire de l’ambilance. Il dit qu’il l’a déjà vue des centaines de fois.


Publié le 1er janvier 2021 sur Haaretz
Traduction : Jean-Marie Flémal

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