« L’arbre de Fadia » : Dans le camp du désespoir, une vie enracinée dans l’amour

L’arbre de Fadia est une méditation poétique sur l’exil et le retour, des thèmes récurrents tout au long de la littérature et du cinéma palestiniens.

Fadia Loubani in "L’arbre de Fadia"

Fadia Loubani in « L’arbre de Fadia »

Selma Dabbagh, 4 février 2022

Film :  Fadia’s Tree (L’arbre de Fadia), dirigé par Sarah Beddington (2021)

L’arbre de Fadia est le point culminant de plus de dix années de travail par deux amies qui auraient tout aussi bien pu ne jamais se rencontrer : Sarah Beddington et Fadia Loubani.

Sarah Beddington est une artiste visuelle qui a grandi en Angleterre rurale et qui a été éduquée dans une école privée.

Fadia est une mère de deux enfants devenue veuve à 19 ans et qui vit au camp de réfugiés de Bourj al-Barajne, dans la banlieue de Beyrouth, au Liban, où elle dirige une crèche.

Les premières scènes du film montrent Fadia assise sous un arbre malingre et poussiéreux dans une cour étroite du camp. Ce n’est guère un lieu de répit dans un camp où des fils et des câbles pendouillent en lourds écheveaux au-dessus de ruelles d’à peine un mètre de large.

Le sentiment d’enfermement est palpable, même si Fadia sourit. C’est ici qu’elle vient pour trouver le calme et la paix : près de l’arbre.

Bourj al-Barajne a été installé en 1949 afin de fournir un refuge temporaire à 3 500 réfugiés palestiniens.

Quatre décennies plus tard, lors de la « guerre des camps », Bourj al-Barajne a subi un blocus et a été assiégé par les forces d’Amal, un groupe politique chiite soutenu par la Syrie. Des résidents mouraient de faim et les conditions de vie étaient particulièrement brutales.

Aujourd’hui, au moins 40 000 personnes, dont de nombreux réfugiés venus de Syrie, vivent dans le camp surpeuplé où les conditions sont restées tout aussi désespérées.

Le grand rêve

Le film commence par une vue de la mer, de vagues qui clapotent alors que des auvents de toile claquent sous la brise.

Sarah parle à la première personne : « J’étais assise dans un café quand une femme s’est penchée vers moi et m’a demandé : ‘Êtes-vous heureuse ?’ » Et c’est ainsi qu’elle a rencontré Fadia Loubani.

En 1948, la famille de Fadia avait été forcée de fuir le village de Sasa, dans le nord de la Palestine. Le « grand rêve » de Fadia, c’est de retourner dans son village, de revoir leur maison sur la colline et l’arbre qui pousse du côté de la porte orientale.

Fadia demande à Sarah de faire un film et de retrouver son arbre. Sarah doute toutefois d’y arriver.

Trois cents heures de prises de vue plus tard, quelque chose d’exquis et de profond a été réalisé.

L’arbre de Fadia se déroule tout simplement sous forme de dialogue entre deux femmes qui partagent un amour inhérent de la nature et un sentiment profond de justice et d’équité.

Réservée et polie, avec un accent et une nationalité imprégnés de toutes les associations de l’empire, Sarah n’est pas visible, dans le film, et c’est délibéré. Elle nous révèle Fadia avec respect et sensibilité.

C’est la personnalité de Fadia qui fait de ce film ce qu’il est. Elle a été forcée de faire des choix face auxquels une héroïne de tragédie grecque se serait dérobée, comme celui de garder ses enfants avec elle et mettre en danger leur avenir, ou les laisser s’en aller et risquer de ne plus jamais les revoir.

À travers Fadia, le spectateur ressent une profonde communication – quasi spirituelle – avec les oiseaux, les arbres, le soleil et la lune. La chose est ressentie de façon plus aiguë encore quand on l’oppose à l’atmosphère terne et confinée du camp de réfugiés.

L’arbre de Fadia perturbe son public en lui montrant comment voir, comment adopter un rythme, comment apprécier ce qui est fondé, humain, beau et véridique, sans jamais faire sentir au spectateur qu’on est occupé à lui faire la morale.

Les oiseaux et les arbres parcourent le film comme les lignes sur le verre gravé des œuvres d’art de Beddington, mais ici la nature est loin d’être statique.

La force de la super-autoroute migratoire des oiseaux, qui traverse les frontières et les check-points, palpite tout au long du film. L’imagerie de la migration aviaire se juxtapose aux images des ouvriers palestiniens qui escaladent les grillages des check-points pour accéder à leur travail.

Partout où sont présentés des murs et des blocages, les gens, la nature et les animaux les surmontent, leur résistent et tentent de les mettre par terre.

L’exil et le retour

L’arbre de Fadia est une méditation poétique sur l’exil et le retour, des thèmes récurrents tout au long de la littérature et du cinéma palestiniens.

Curieusement, il n’est fait allusion que de façon détournée aux deux massacres perpétrés en 1948 par la Haganah, une milice sioniste, et par l’armée israélienne dans le but de dépeupler Sasa de ses Palestiniens.

On ne peut que spéculer sur la raison de cette omission qui émousse quelque peu l’impact politique potentiel du film. Un film fort, somptueux et édifiant comme L’arbre de Fadia pourrait avoir inclus cette information sans pour autant passer pour didactique.

La perception par le spectateur de la nature indulgente et compatissante de Fadia n’aurait été que renforcée s’il avait été fait allusion à la violence perpétrée contre sa famille et contre son peuple.

Et, pour ces spectateurs qui croient que les Palestiniens sont partis de leur plein gré ou par accident, plutôt que par la force, l’inclusion de cette référence aurait pu d’une certaine façon les éclairer à propos de ce mensonge.

Par ailleurs, le film est un triomphe du fait qu’il dépeint de façon originale, sincère et belle l’histoire trop souvent ignorée, voire oubliée, des plusieurs millions de Palestiniens dont les existences restent confinées à leur statut de réfugiés.

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Selma Dabbagh écrit de la fiction et elle est également juriste

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Publié le 4 février 2022 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

Lisez également cet article de Selma Dabbagh : “L’État dirigeant pille et vole les archives et trésors des gens colonisés”

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