La bosta, « la tombe roulante » des Palestinien.ne.s
Israël recourt à maints outils pour contrôler et brutaliser les prisonnier·e·s palestinien·ne·s. L’un des instruments de répression les moins connus est un moyen de transport d’apparence anodine : un autobus. Les prisonnier·e·s palestinien·ne·s l’appellent la bosta.
Ghada Hania, 7 janvier 2023
Le régime israélien dispose de nombreux outils pour contrôler et brutaliser les prisonnier·e·s palestinien·ne·s. La plupart de ces outils constituent de graves violations de leurs droits, y compris leurs droits repris dans les lois humanitaires internationales. Ces violations sont soutenues passivement par le silence de la communauté internationale, qui se garde bien de réclamer des comptes à l’État israélien.
L’un des instruments de répression les moins connus est un moyen de transport d’apparence anodine : un autobus. Les prisonnier·e·s palestinien·ne·s l’appellent al-bosta. Le véhicule sert à transférer des prisonnier·e·s d’une prison vers l’autre, ou d’une prison vers un tribunal militaire, ou encore vers un hôpital quand un·e prisonnier·e a besoin d’un traitement médical perfectionné. Les prisonnier·e·s ont une autre expression pour décrire cet autobus : la tombe roulante.
La tombe roulante
En Égypte et dans certaines parties du Levant, le terme bosta désigne un autobus public qui transporte des passagers entre les zones urbaines et rurales. Mais, pour les prisonnier·e·s palestinien·ne·s, ce mot évoque l’horreur.
La bosta se divise en trois sections. La première ressemble à la disposition familière d’un véhicule public commercial et comporte 24 sièges. Une paroi métallique sépare cette section de la suivante, qui contient deux larges rangées de sièges à gauche et à droite, avec un corridor étroit entre les deux. Un chien circule en permanence dans ce corridor, même quand le bus se déplace, ce qui a pour effet d’intimider les prisonnier·e·s. Le corridor va jusqu’à l’arrière du bus. La dernière section comprend des cellules dans lesquelles sont enfermés les prisonnier·e·s palestinien·ne·s pieds et poings entravés.
La prisonnière libérée Amal Taqatqa explique à Mondoweiss qu’
« en raison de ses épaisses parois métalliques, de ses sièges en fer et de son absence de ventilation, la température à l’intérieur de la bosta devient extrêmement élevée en été et très basse en hiver. Les prisonnier·e·s palestinien·ne·s éprouvent souvent des difficultés respiratoires dues à l’abondance de fumée de cigarette, à l’odeur putride, à l’entassement excessif de passagers et au manque d’air frais ».
Et d’ajouter :
« Juste avant de me faire arrêter pour la première fois par les forces sionistes, celles-ci m’ont tiré six balles dans les pieds et m’ont laissée blessée pendant plusieurs mois. Je n’étais plus capable de me déplacer, au début. Mon pied a été consolidé avec du platine et, tout au long de ma peine de prison, j’ai dû subir à plusieurs reprises l’expérience de la bosta. Alors que j’étais transportée comme une prisonnière blessée, les forces israéliennes ne faisaient preuve ni de pitié ni de considération pour ma santé. Le conditionnement d’air était délibérément branché sur une température plus basse durant les mois d’hiver et, en été, c’était le contraire. Dans les deux exemples, je subissais un inconfort extrême en raison de mes blessures qui n’avaient pas encore été traitées depuis que j’étais emprisonnée. »
Les geôliers chargés du transport des prisonnier·e·s en bosta sont appelés les « nahshon », dont c’est la tâche principale. Il importe donc de savoir que les « nahshon » sont en premier lieu une unité de répression.
La prisonnière libérée Bushra al-Tawil raconte à Mondoweiss son expérience de cette tristement célèbre unité :
« L’unité des nahshon se livre aux plus sombres des humiliations – comme, par exemple, fouiller les prisonnières complètement dénudées, sans même leurs bas – et la procédure du transfert des prisonnières dans la bosta est accompagnée d’un torrent d’insultes. Occasionnellement, cela dégénère en de sévères scènes de coups, sans la moindre distinction entre les prisonnières malades et les bien portantes, les prisonnières âgées et les plus jeunes. Les membres de cette unité traitent les prisonnières avec un extrême mépris et les pratiques auxquelles ils recourent contre elles sont absolument dénuées de tout vernis d’humanité. »
Conçue pour humilier
Dans la bosta, les prisonnier·e·s palestinien·ne·s ne peuvent s’asseoir dans une position présentant le moindre degré de confort physique. Avec la dureté des sièges métalliques, les longues heures où l’on est forcé de rester dans une position contraignante et la rudesse délibérée des conditions de température, le trajet dans le bus se mue bien vite en une agonie prolongée.
Dareen Tatour, une prisonnière libérée, explique que « nos mains et nos pieds sont entravés avant même que nous ne pénétrions à l’intérieur de la bosta, et on ne nous libère les membres en aucun moment du trajet ».
« Les prisonnières palestiniennes sont forcées de s’asseoir dans ce véhicule en compagnie de criminels endurcis qui blasphèment sans retenue, hurlent et fument en dépit de la ventilation insuffisante, et ce, afin de tourmenter les prisonnières palestiniennes et de les faire souffrir plus encore »,
a-t-elle expliqué à Mondoweiss.
« Le chauffeur appuie sur les freins quand il le veut, forçant ainsi nos corps à s’écraser contre le fer et exacerbant la condition de chaque prisonnière blessée qui se trouve dans le bus. Certaines d’entre nous s’écroulent sur le plancher. »
Les prisonnières présentant des maladies graves comme le diabète sont soumises aux pires conditions, dans la bosta : la restriction d’accès à l’eau, aux médicaments, à la nourriture, ainsi que l’impossibilité d’utiliser un espace de repos quand c’est nécessaire.
La prisonnière libérée Haifa Abu Sbaih illustre tout cela dans son témoignage :
« Il faut au moins 8 heures et parfois même plusieurs jours pour faire le trajet d’une prison à l’autre. Dans une froidure âpre, nous attendons notre tour sur les bancs de fer. Le sang dans nos veines se fige et nos muscles gèlent. J’ai été emprisonnée en décembre et, quand j’ai demandé du chauffage, ils ont branché le conditionnement d’air en lieu et place. L’une des prisonnières blessées, Lama al-Bakri, m’accompagnait. Elle était censée être admise à l’hôpital à cause de sa blessure. Elle avait une incapacité de 80 % au pied. Elle tremblait de tout son corps et ses lèvres étaient devenues toutes bleues de froid. En hiver, les forces d’occupation branchent le conditionnement d’air, ce qui transforme la bosta en un lieu propice aux rhumatismes, aux affections cardiaques, aux douleurs articulaires, aux maladies des nerfs et aux migraines. »
« Les conditions médicales de certaines prisonnières mettent leur vie en danger »,
a expliqué Haifa Abu Sbaih à Mondoweiss.
« Pourtant, au lieu de les envoyer à l’hôpital en ambulance, on les force à passer de nombreuses heures dans la bosta. »
Les prisonnières atteintes d’une maladie ont par conséquent peur de se plaindre, des fois qu’on les obligerait à voyager en bosta.
Islam Abdu, le directeur de la communication au ministère des Affaires des prisonniers et anciens prisonniers, a déclaré à Mondoweiss que le Service carcéral israélien (IPS) exploitait souvent cette réalité :
« Les autorités carcérales de l’occupation présentent les choix de certaines de ces prisonnier.e.s [le choix de ne pas recevoir de traitement] comme une preuve qu’il n’y a pas de négligence médicale [de la part de l’IPS]. Par exemple, certain.e.s prisonnier.e.s qui souffrent de certaines maladies croient qu’ils (elles) ne tireront pas profit de se rendre en clinique et qu’ils (elles) retourneront malades et resteront rivé.e.s à leur lit, de sorte qu’ils (elles) refusent de s’en aller et d’emprunter la bosta », qui constituerait pour eux-elles) une source supplémentaire de souffrance.
« Quand un.e prisonnier.e refuse d’aller en clinique », poursuit-il, « l’administration lui fait signer une lettre expliquant qu’il (elle) ne veut pas aller en clinique ou à l’hôpital. Des dizaines de prisonnier.e.s tombent dans ce piège, puisque l’IPS rassemble ces documents signés et les intègre à des rapports prétendant qu’il s’agit d’annulations de rendez-vous de prisonnier.e.s chez les médecins, parce qu’ils (elles) ne veulent tout simplement pas recevoir de traitement. »
Une violation des lois humanitaires internationales
Pour protéger la vie des prisonnier.e.s, les responsables des droits humains demandent que les dirigeants de l’IPS soit tenus pour responsables de ces violations des lois internationales.
Le directeur du Centre arabe des sciences criminelles en Palestine, le juge et Dr Abdel Qader Saber Jarada, a expliqué à Mondoweiss que,
« selon les articles 7 et 8 du Statut de Rome de la Cour pénale internationale (établi à Rome en 1998), le transfert des prisonnier.e.s en bosta est considéré comme un crime contre l’humanité et comme un crime de guerre ».
Et d’ajouter :
« Il n’y a pas de statut sur les limites de ces délits. Par conséquent, toutes les personnes impliquées dans l’occupation israélienne – dirigeants, officiers et soldats – doivent être confrontés à la justice. Du fait qu’il s’agit d’un crime dissimulé, il doit être révélé à la vue du public à tous les niveaux, y compris les niveaux nationaux et internationaux, et dans les médias. »
Il a également réclamé qu’une plainte séparée soit déposée « auprès du procureur de la CPI à propos de la façon de traiter les prisonnier.e.s ». Le juge Saber fait remarquer qu’
« une requête urgente doit être obtenue de la part de la CPI afin de faire cesser les transferts d’une façon aussi humiliante. Cette question devrait également être soulevée devant la Cour interaméricaine des droits humains ».
Il vaut la peine de faire remarquer que les toutes dernières statistiques d’Addameer, l’association de soutien aux prisonniers et des droits humains, révèlent que le nombre de prisonnier.e.s et détenu.e.s palestinien.ne.s dans les prisons de l’occupation israélienne était de près de 4 700 au début décembre 2022, dont 34 prisonnières, 150 enfants environ et 835 prisonnier.e.s administratif.ve.s.
°°°°°
Les témoignages repris dans cet article ont été fournis à l’auteure via les médias sociaux.
Ghada Hania est chercheuse universitaire, rédactrice finale et traductrice. Elle a grandi dans les EAU et vit aujourd’hui dans la bande de Gaza.
°°°°°
Publié le 7 janvier 2023 sur Mondoweiss
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine