Comment Khader Adnan m’a enseigné à tenter de me libérer de la prison
En tant que méthode de rejet de l’oppression israélienne et du confinement, les grèves de la faim répétées de Khader Adnan ont inspiré mon propre combat.
Muhammad Al-Qeeq, 4 mai 2023
La première fois que j’ai entendu le nom de Khader Adnan, ç’a été lors d’un incident honteux à l’Université de Birzeit, en 2000, après que le Premier ministre français de l’époque, Lionel Jospin, avait qualifié d’« activité terroriste » la résistance palestinienne à l’occupation israélienne.
Lors d’une visite de Jospin à Birzeit, un étudiant avait adopté une position courageuse et lui avait crié dessus. Cela avait exacerbé les sentiments de tous les étudiants, qui avaient jeté des pierres à Jospin afin de le chasser de l’université.
L’étudiant en question était Khader Adnan et, plus tard, il allait se faire connaître pour sa forme de résistance unique en son genre, via des grèves de la faim. Il est mort en prison cette semaine, à l’âge de 45 ans.
J’ai rencontré Adnan lors de ma deuxième arrestation, en 2004, quand des soldats israéliens nous avaient transportés en bus depuis la prison de Megiddo, dans le nord de la Palestine, jusqu’au Néguev (Naqab), dans le sud.
Les soldats insultaient les prisonniers, dans le bus, et Adnan protestait avec colère. Après notre arrivée – au bout de six heures de fatigue et d’épuisement, assis sur des sièges métalliques – il avait refusé de descendre du bus en guise de protestation contre ce traitement, et ils l’avaient finalement renvoyé à Megiddo.
En 2011-2012, Adnan s’était lancé dans une grève de la faim de 66 jours pour protester contre le fait qu’il était en détention administrative, sans accusation ni procès. En tant que journaliste, je couvrais cette histoire – mais, en réalité, ma curiosité était très attirée par cette personnalité particulièrement obstinée et par les tactiques auxquelles il recourait.
En 2015, j’ai été arrêté et on m’a sorti de chez moi sous le nez de mes enfants pour ensuite me transférer vers la prison, où j’ai subi des interrogatoires sévères et brutaux.
Seul dans ma cellule, je me suis souvenu du rejet par Adnan de toutes les formes d’injustice, de sorte que, moi aussi, j’ai annoncé une grève de la faim dans le but de rejeter cette oppression.
La culture du « non »
C’est bizarre comment une grève de la faim, qui vous mange littéralement le corps de l’intérieur, confère à un prisonnier une force inégalée : le pouvoir du rejet et celui de dire « non » à la face des geôliers qui vous considèrent comme rien de plus qu’un numéro.
Je savais qu’Adnan n’aimait ni la mort ni la souffrance. Il aimait la vie, mais il voulait une vie qui soit libre d’injustice et d’humiliation – le genre d’existence qu’il menait quand il était avec sa femme et ses enfants. Il percevait la grève de la faim comme l’arme la plus puissante dont il disposait et qui allait lui permettre de retourner à cette vie le plus tôt possible.
La culture du « non », à laquelle adhère le peuple palestinien, est centrée sur le refus de se rendre ou de se laisser dompter ou soumettre. Cela se reflète dans tous les aspects de la vie : la confrontation à l’occupation, l’acharnement à vouloir lever le siège de Gaza, le maintien d’une présence à la mosquée Al-Aqsa et le combat pour le retour des réfugiés et la liberté des prisonniers.
Parce que nous croyons à cette culture, nous insistons sur le fait que la liberté – la nôtre et celle d’autres peuples – est notre voie, malgré les chaînes et l’isolement qu’Israël nous impose.
Faire la grève de la faim est la façon la plus pacifique par laquelle une personne peut rejeter la violence des autorités d’occupation, particulièrement en prison. Garder quelqu’un en prison sous le prétexte de « préoccupations sécuritaires », sans préciser la moindre accusation ni permettre un procès – même dans des tribunaux qui sont mal disposés envers les Palestiniens – constitue le summum de l’injustice.
Au cours d’une grève de la faim, un nouveau combat s’engage. La grève marque un nouveau stade de la vie, dans lequel on peut faire un choix entre vivre dans l’humiliation et les chaînes à jamais ou se frayer un chemin vers la liberté avec un corps qui refuse d’être dompté par des murs de prison.
Un message adressé au monde
En décidant si oui ou non j’allais poursuivre une grève de la faim, deux images s’étaient cristallisées dans mon esprit.
La première, c’était à quoi allait ressembler la vie si je restais tout simplement en prison en acceptant d’être dompté ; la seconde avait trait à la poursuite ou pas de la culture, qui m’avait conduit en prison en tout premier lieu quand j’avais dit « non » aux autorités d’occupation.
Ici, je disais « non » à mon arrestation et « oui » à la liberté. Voici comment l’idée s’était renforcée dans mon esprit – une grève de la faim en quête de la liberté, afin de rencontrer ma femme et mes enfants et de retourner à la vie.
De cette façon, je rejetais le cachot et l’humiliation de l’emprisonnement, en quête de la liberté et de la vie – mais ceci s’accompagnait d’un prix très lourd. Le gréviste de la faim doit être patient, porter sa peine, endurer sa fatigue et concentrer toutes ses pensées.
Une grande tragédie est mise en scène par Israël contre les prisonniers palestiniens, y compris les malades, les plus âgés, les femmes et les enfants.
Ils endurent la négligence médicale, la malnutrition, l’exiguïté des cellules, les tourments psychologiques, les retards des tribunaux et bien d’autres choses encore. Ce traitement horrible, qui surgit à la face de leur humanité, a abouti à la mort de nombreux prisonniers – tout cela, pendant que le monde extérieur assiste impassiblement à la chose.
Mais ces conditions peuvent être affrontées par un prisonnier sans armes en grève de la faim, un prisonnier dont le message au monde résonne haut et clair : regardez-nous !
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Muhammad Al-Qeeq est journaliste et analyste politique. Il a été arrêté à plusieurs reprises par les forces d’occupation israéliennes et il s’est lancé dans trois grèves de la faim afin de protester contre son arrestation. La plus longue a duré 94 jours.
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Publié le 4 mai 2023 sur Middle East Eye
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine