Al Mayadeen, la liste noire d’Israël et les prétendus « terroristes de l’information »
Qu’ont donc en commun Scott Ritter, Naser al-Laham, Ali Abunimah et Khaled Barakat ? Tous, en tant que journalistes et/ou écrivains, sont des pourvoyeurs d’informations fiables sur les crimes commis par Israël et ses alliés de l’Occident. Dans une inversion orwellienne de la réalité, ils sont tous catalogués comme « terroristes de l’information », devenant donc ainsi des cibles de la répression, voire bien pire encore.
Rima Najjar, 12 août 2024
Commençons par Scott Ritter du fait que, récemment, il a exprimé ce que signifie « pire » dans ce contexte.
Scott Ritter est un ancien officier des renseignements de la marine de guerre américaine qui a servi dans l’ancienne Union soviétique et est aujourd’hui un critique affirmé et largement suivi de la politique étrangère américaine en Ukraine et en Israël.
Dans un clip vidéo diffusé le 4 juin sur Judging Freedom Podcast, il décrit comment, sous les conseils et la direction du département d’État américain, l’Ukraine a instauré un centre destiné à contrer la désinformation. Ce centre possède désormais une liste noire des « terroristes de l’information » ciblés en vue d’assassinat. Lui-même et d’autres Américains sont repris sur cette liste, explique Ritter.
« (…) ils ont dit qu’un terroriste de l’information devait être traqué et traîné en justice de la même façon que n’importe quel terroriste. Et j’ai été accusé d’avoir dit des choses qui rendent le gouvernement ukrainien malheureux. Ils disent maintenant que je dois être traqué et arrêté, emprisonné, tué à l’instar de n’importe quel autre terroriste dans le monde (…) avec le soutien du département d’État américain, [ils] publient une liste hebdomadaire (…) dans laquelle ils disent que je suis la menace numéro un contre la vérité. » (Minute 25:05)
Voilà comment nous devons comprendre ce que fait Israël en réitérant son interdiction des émissions d’Al Mayadeen Media Network (Réseau médiatique Al Mayadeen), tant visuelles qu’en ligne.
Israël a catalogué comme « terroristes » les correspondants du Réseau dans les territoires occupés de la Palestine en 1948 et en Cisjordanie occupée.
Dans une déclaration qui décrit la démarche comme étant en soi une forme de terrorisme, Al Mayadeen se doit de dire ce qui suit :
« Le réseau insiste sur le fait que cataloguer comme « terroristes » ses correspondants dans les territoires de la Palestine 1948 et en Cisjordanie occupée est en soi une forme de terrorisme. Al Mayadeen met en garde contre le fait d’infliger un quelconque préjudice à ses journalistes et affirme qu’il ne cédera à aucune forme d’extorsion ou de pression, quel que soit son impact ou son ampleur.
« Il est clair que l’occupation perçoit Al Mayadeen comme un média qui jouit d’une forte présence et d’une grande influence, en faisant preuve de la plus grande crédibilité et d’un engagement sans faille envers sa morale. C’est pourquoi l’occupation réagit au média d’information par un degré hystérique et déroutant de confusion quand elle traite chacun de ses mots, chacune de ses images et sa présence sur le terrain, surtout quand Al Mayadeen contribue à réprimer la sédition, à dénoncer et démystifier les mensonges et à fustiger les crimes pour ce qu’ils sont réellement. »
Nasser al-Laham est un de ces journalistes qu’Israël cible comme « terroristes de l’information ». Parmi ses références, il est rédacteur en chef et fondateur de Ma’an News Agency (Agence d’information Ma’an), directeur du bureau d’Al Mayadeen en Palestine occupée et membre du Conseil national palestinien.
Il a publié plusieurs ouvrages en arabe : « Tel Aviv : A City with No Secrets » (Tel-Aviv : une ville sans secrets) (2002) ; « Fatah : The Sword and the Pen » (Le Fatah : le glaive et la plume) (2003) ; « The Popular Front : Learn Well, Fight Well » (Le Front populaire : bien apprendre, bien combattre) (2005) ; « Media under Hamas » (Les médias sous le Hamas) (2007) ; « The Blind Do Not Like Carrots » (Les aveugles n’aiment pas les carottes) (2011) ; et « Body Language in the Israeli Media » (Le langage corporel dans les médias israéliens) (2015).
Les menaces à l’égard d’al-Laham, dont la maison a fait l’objet d’un raid et dont les deux fils ont été arrêtés en octobre 2023 par les forces israéliennes, et à l’égard de ses collègues ne sont pas de vains mots. Lisez : ‘Israel’ deliberately kills Al Mayadeen’s crew in South Lebanon. (« Israël » assassine délibérément l’équipe d’Al Mayadeen dans le Sud-Liban)
L’Allemagne elle aussi se complaît dans une interdiction infâme similaire des journalistes et écrivains qui disent la vérité sur Israël et elle leur place une cible sur le dos.
Ali Abunimah, cofondateur de The Electronic Intifada et auteur de « One Country: A Bold Proposal to End the Israeli-Palestinian Impasse » (Un pays : une proposition téméraire en vue de mettre un terme à l’impasse israélo-palestinienne) a été récemment menacé de prison par les autorités allemandes pour avoir délivré, via Zoom, à un public allemand assistant à la Palestine Conference in Exile (25-26 juillet), un discours sur le rôle de l’Allemagne dans l’actuel génocide perpétré par Israël contre le peuple palestinien à Gaza.
« Environ deux heures avant mon discours prévu pour le 26 juillet, j’ai reçu via un avocat en Allemagne un document de 15 pages émanant des autorités gouvernementales à Berlin et m’informant qu’il m’était interdit de participer à la conférence par quelque moyen que ce soit, y compris en ligne. Les peines comprennent des amendes et jusqu’à une année d’emprisonnement. »
Ali Abunimah n’a sans doute guère été surpris de recevoir un tel avis de la part des autorités allemandes. En 2019, The Electronic Intifada avait publié un article intitulé « L’Allemagne menace un journaliste de prison pour s’être exprimé sur la Palestine ». Ce journaliste n’est autre que Khaled Barkat, un écrivain et activiste palestino-canadien, fondateur de Masar Badil (Mouvement palestinien pour une voie alternative révolutionnaire).
Il avait été empêché par la police de Berlin de prendre la parole lors d’un événement communautaire sur le « marché du siècle » des États-Unis et, ensuite, expulsé du pays. Lui et sa femme Charlotte Kates, la coordinatrice internationale de Samidoun (Réseau de solidarité avec les prisonniers palestiniens), ont été interdits d’entrer aux EU en octobre 2022.
Samidoun opère au niveau international en plaidant pour les prisonniers palestiniens et en s’opposant à la politique israélienne. Israël a désigné Samidoun comme une organisation terroriste en 2021, en citant ses liens présumés avec le Front populaire pour la libération de la Palestine (FPLP).
Le 2 novembre 2023, l’Allemagne interdisait à Samidoun d’opérer à l’intérieur de son territoire et sortait une ordonnance en vue de faire cesser toutes les activités de l’organisation ainsi que celles de toute autre organisation opérant en Allemagne et soutenant le Hamas.
Sans l’ombre d’une preuve, les médias israéliens et canadiens de droite continuent de prétendre à l’existence de liens entre Khaled Barakat, Samidoun et Masar Badil d’une part, et les organisations palestiniennes désignées comme terroristes par Israël, les EU et l’UE d’autre part.
Ces allégations sont fausses et dangereuses. Selon Influence Watch, les fonctionnaires de la sécurité nationale américaine
« ne disposent pas encore de cette information » et ont « remis en question la décision du gouvernement israélien concernant Samidoun et les organisations s’y rattachant ».
En août 2022, le porte-parole du département d’État américain, Ned Price, a exprimé l’embarras de l’administration à propos de l’étiquette associée au terrorisme. Les allégations et interdictions que j’ai décrites plus haut placent une cible sur le dos des partisans de la Palestine et sur leurs organisations, et elles découragent la liberté d’expression.
Le concept de « terrorisme de l’information » est apparu comme un sous-ensemble du cyberterrorisme, qui implique l’utilisation d’internet et des outils digitaux pour mener des activités terroristes.
Ce terme a gagné en importance à la fin du 20e siècle et au début du 21e du fait qu’internet est devenu une infrastructure incontournable de la communication, du commerce et de la gouvernance. Il est désormais utilisé par les EU et Israël comme un mécanisme juridique en vue de criminaliser l’activisme des droits humains et anti-génocidaire en réduisant au silence, d’une façon ou d’une autre, les personnes qui s’expriment et agissent de façon non violente contre leur politique.
Mais l’oppression du genre qui est pratiqué, tel l’assassinat d’Ismaïl Haniyeh, ne fait rien d’autre que de renforcer la détermination des individus, organisations et groupes à couvrir les événements avec honnêteté et intégrité et à prendre fait et cause pour la résistance et la libération de la Palestine.
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Rima Najjar est une Palestinienne dont la branche paternelle de la famille provient du village dépeuplé de force de Lifta, dans la périphérie occidentale de Jérusalem et dont la branche maternelle de la famille est originaire d’Ijzim, au sud de Haïfa. C’est une activiste, une chercheuse et une professeure retraitée de littérature anglaise, à l’Université Al-Quds, en Cisjordanie occupée.
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Publié le 12 août sur le blog de Rima Najjar
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine