300 professeurs et chercheurs répondent aux recteurs de la VUB et de l’ULB : « Non, l’antisionisme n’est pas de l’antisémitisme »
Lier l’antisionisme à une définition de l’antisémitisme est non seulement scientifiquement incorrect mais moralement problématique, et donc un réel danger. Nous entendons défendre notre droit (et surtout notre devoir) à la pensée critique.
Une opinion d’un collectif de quelque 300 signataires (*)
Dans de récents posts Facebook, la rectrice de l’ULB Annemie Schaus et le recteur de la VUB Jan Danckaert affirment qu’il n’y a « pas de place dans nos universités pour l’antisémitisme ou le racisme sous quelque forme que ce soit, sans exception ». Jusque-là, nous sommes entièrement d’accord avec eux.
Mais ensuite, ils affirment qu’il n’y a pas de place « pour de prétendues distinctions entre l’antisionisme et l’antisémitisme alors qu’ils incitent à la même haine et à la même violence » et ajoutent qu’il y a une « augmentation inquiétante […] de comportements ouvertement antisémites [emballés] sous forme de critiques d’Israël ». C’est là que le bât blesse.
Que les recteurs qualifient la critique d’Israël d’antisémitisme est inquiétant, car « s’il y a quelque chose d’antisémite, c’est le lien constant que divers médias [et maintenant nos recteurs] font entre les crimes d’Israël, et l’identité juive », comme vient de l’écrire Karin Amatmoekrim dans le CNR.
Et ce, tout en sachant pertinemment qu’il existe une distinction importante entre le sionisme et les juifs, et entre Israël et les juifs. Par exemple, le géographe américain Tristan Sturm affirme que le nombre de sionistes chrétiens aux États-Unis est deux fois plus important que la population juive dans le monde et que plus de la moitié de la population juive ne vit pas en Israël.
Il est donc certain que cette distinction est carrément anti-intellectuelle et indigne d’un point de vue académique. Les recteurs devraient en savoir plus avant de faire de telles déclarations. Et s’ils ne comprennent vraiment pas la différence entre l’antisionisme et l’antisémitisme, alors c’est peut-être dû au manque d’attention institutionnelle pour la recherche sur le racisme.
L’antisionisme et l’antisémitisme : ce n’est pas la même chose
Des bibliothèques entières sont remplies d’écrits sur la distinction entre antisémitisme et antisionisme, ainsi que sur l’utilisation délibérée d’accusations d’antisémitisme pour justifier le projet d’un État-nation ethnique et étouffer toute critique à son encontre.
Pour rappel, l’antisémitisme est un crime et est répréhensible – car il implique « la discrimination, les préjugés, l’hostilité ou la violence contre les juifs en tant que juifs (ou les institutions juives en tant que juives) ». En revanche, l’antisionisme s’oppose à « une idéologie politique qui croit en la création et au maintien d’un État qui privilégie les droits des juifs par rapport à ceux des non-juifs ».
Ainsi, lier l’antisionisme à une définition de l’antisémitisme est non seulement scientifiquement incorrect mais moralement problématique, et donc un réel danger. C’est comme prétendre que la critique de la Russie équivaut automatiquement à du racisme envers les Russes orthodoxes, ou que la critique de l’Angleterre équivaut à de l’anti-anglicanisme parce que l’Angleterre est officiellement un pays anglican. De plus, elle ne rend pas justice à la position de nombreux juifs qui sont fervents antisionistes. Sont-ils donc également antisémites ? Présenter les Juifs comme un groupe homogène qui soutient unanimement Israël est donc une généralisation injustifiée, antisémite et historiquement inexacte, en plus de banaliser le véritable antisémitisme.
Valeurs académiques
Les recteurs et rectrices aiment souligner la nécessité de la liberté académique, du débat respectueux et de la pensée critique dans nos universités libres. Mais où sont ces valeurs dans leurs propres propos ? Au lieu de réagir impulsivement aux événements via les médias sociaux et de simplifier la réalité, ils et elles – pourtant en tant que leaders d’une communauté académique – devraient mener de tels débats avec connaissance et nuance, ainsi qu’avec une attention particulière pour le choix de leurs mots. Après tout, le langage est important. Mettre inconsidérément dans le même sac des groupes ou des points de vue sous prétexte de lutter contre l’antisémitisme ne réduira pas la polarisation et la haine dans notre société.
Dans son livre De eeuwige kop van Jood, le philosophe Ludo Abicht écrit :
« Mais lorsque les mots deviennent des armes […], nous devons veiller à ce qu’ils ne perdent pas leur pouvoir de persuasion par un usage inapproprié, y compris lorsque nous sommes négligents dans la formulation de certains de ces exemples « (p. 213).
Pourquoi les recteurs et rectrices traitent-ils les mots avec autant de négligence en assimilant l’antisionisme à l’antisémitisme ? Est-ce pour faire un mauvais procès aux étudiants et aux membres du personnel qui manifestent depuis un an contre le sionisme génocidaire ? Pour délégitimer ainsi leurs appels au boycott académique afin que nos universités puissent continuer à coopérer avec les institutions israéliennes ?
Nommez aussi le racisme anti-arabe et l’islamophobie
Au fait, où est la prise de position claire contre le racisme anti-palestinien et anti-arabe ? Si les recteurs souhaitent s’exprimer sur les événements d’Amsterdam, pourquoi restent-ils silencieux sur les actes de violence et les propos racistes des hooligans du Maccabi qui ont scandé des slogans tels que « Mort aux Arabes » et « Il n’y a pas d’écoles à Gaza, parce qu’il n’y a plus d’enfants », entre autres ? Si l’antisémitisme est explicitement rejeté dans le communiqué des deux recteurs, l’islamophobie et le racisme anti-arabe sont généralement regroupés sous l’appellation « racisme sous toutes ses formes ». Le fait de rendre systématiquement explicite l’antisémitisme et non le racisme anti-arabe et l’islamophobie ne contribue-t-il pas à la normalisation de la discrimination à l’égard des musulmans et des personnes originaires du Moyen-Orient ?
Quiconque critique la politique israélienne est immédiatement placé sur le banc des accusés. Car en suggérant que les propos antisionistes emballent de facto l’antisémitisme, le rectorat met au banc des racistes et des antisémites un large groupe d’étudiants et de personnels. Cette attitude, qui assimile toute critique du sionisme à de l’antisémitisme, réduit de fait au silence les universitaires et les étudiants critiques à l’égard d’Israël. Sous cette censure étouffante, nous, en tant que membres de la communauté universitaire, n’avons guère d’autre choix que de continuer à nous exprimer encore plus fort contre l’assimilation problématique de l’antisionisme à l’antisémitisme et pour défendre notre droit (et surtout notre devoir) à la pensée critique.
(*) La liste des signataires est à consulter ici.
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Publié le 18 novembre 2024 sur La Libre Belgique