Le Dr Christophe Oberlin : « Je n’imaginais pas… »
Quand je me suis rendu à Gaza pour la première fois il y a 23 ans, je n’imaginais pas avoir un jour à demander, exiger la libération d’un collègue médecin, emprisonné et torturé dans une prison militaire israélienne.
Christophe Oberlin, 6 janvier 2025
Qu’on ne me dise pas que je force le trait, que j’exagère. Aujourd’hui le Dr Hossam Abu Safiya, comme des milliers d’autres prisonniers avant lui, est soumis à la torture. Le décor nous a été maintes fois décrit par ceux et celles qui ont réchappé à l’enfer. Affamé, pieds et mains entravés sur un lit, un sac puant sur la tête, interdiction de parler aux co torturés. Et puis les « interrogatoires » : la chaise, les mains et pieds attachés en arrière, les coups, les fractures. Affamés, manque de sommeil, des dizaines de Palestiniens sont morts sous la torture au cours de l’année 2024.
Je n’imaginais pas que la torture se pratiquait au quotidien dans les sinistres prisons de la Moscobyyé de Jérusalem, Ofer, Teiman, du Neguev ;
Je n’imaginais pas que j’aurais un jour sous les yeux une prescription de torture signée nominativement par un juge de la Cour suprême israélienne à l’encontre d’un prisonnier palestinien ;
Je n’imaginais pas que mon collègue le chirurgien orthopédiste le Dr Adnan el Bursh périrait sous la torture dans la prison israélienne d’Ofer ;
Je n’imaginais pas que l’un de mes tous-premiers élèves chirurgien à Gaza le Dr Samir Ez Jazi, couchant sa fille, serait tué par le tir d’un colon israélien ;
Je n’imaginais pas que j’apprendrais qu’un autre de mes élèves, le Dr Mohamed Abu Malek avait été torturé en présence d’un médecin israélien chargé d’éviter qu’il ne meure
Je n’imaginais pas que le Pr Omar Ferrouana doyen de la faculté de médecine, serait tué avec toute sa famille
Je n’imaginais pas que les femmes, les enfants, les filles les gendres de mes amis médecins : Mahmoud, Mohamed, Abdelaziz, Basem, périraient sous les tirs ou les bombes israéliennes ;
Je n’imaginais pas que mon ami le Dr Raed me confirait son fils gravement blessé lors du bombardement d’une école des Nations unies ;
Je n’imaginais pas opérer avec comme anesthésiste un médecin palestinien dont la femme avait été tuée la semaine précédente ;
Je n’imaginais pas que je verrai sur les corps les méfaits des armes interdites : obus à sous munition dont l’explosion à rendu aveugle un enfant de huit ans, phosphore, uranium appauvri, obus à fléchettes, balles explosives dans les genoux ;
Je n’imaginais pas voir des équipes de football d’amputés ;
Je n’imaginais pas que je verrais un camion-benne rempli à ras bord de cadavres se frayer un passage, en plein jour, au milieu des enfants réfugiés à l’hôpital européen de Khan Younis ;
Je n’imaginais pas que nombres d’hôpitaux où j’ai exercé la chirurgie, Shifa, Nasser, al Qods, Croissant rouge, Dar es-Salaam, et bien d’autres seraient détruits et leur cour transformée en charniers ;
Je n’imaginais pas que l’attaque systématiques des hôpitaux de la bande de Gaza pourrait constituer le but de guerre de l’une des armées occidentales les plus puissantes du monde, sans que nos exécutifs ne se donnent les moyens de l’en empêcher ;
Je n’imaginais pas que notre exécutif resterait à ce point inactif qu’au cours de l’année 2024 : plus de mille soignants ont été assassinés à Gaza. Un exécutif qui joue toujours d’une carte honteuse : le chantage à la reconnaissance d’un État palestinien.
Un exécutif qui vient de se réjouir des « succès » de l’année 2024 : Notre Dame de Paris, des jeux olympiques qui ont étalé la « beauté » du savoir-faire parisien. On oublia de mentionner une avancée majeure : la France vient de rafler à la Russie la place de 2eme exportateur mondial d’armements.
Bonne année à vous, et que le diable les emporte.
Christophe Oberlin était un des invités de la Plateforme Charleroi-Palestine lors des « 12 h pour la Palestine », le 26 octobre 2024 à Marchienne-au-Pont.