Témoignage : l’histoire de Mohammed Al-Halabi
Mohammed al-Halabi, un travailleur humanitaire arrêté et emprisonné sans preuves par Israël, a été relâché – mais des années de torture et de privations en tous genres l’ont rendu méconnaissable.
Mohammed al-Halabi, l’ancien directeur de World Vision à Gaza détenu en Israël depuis des années, a été libéré samedi dans le cadre de l’accord de cessez-le-feu entre la Résistance palestinienne et le gouvernement israélien.
Le 15 juin 2016, Mohammed était arrêté par les forces d’occupation israéliennes au passage de Beit Hanoun (Eretz) qui sépare la bande de Gaza assiégée et Israël, au cours d’une opération conjointe menée par le service de sécurité Shin Bet et par l’armée et la police israéliennes.
Depuis lors, bien des gens ont présumé que les motifs réels de l’arrestation de Mohammed étaient de supprimer la dernière ligne de soutien international qui permettait à Gaza de survivre en dépit du siège et de la guerre.
Détenu malgré une absence flagrante de preuves, il a enduré des tortures brutales et des conditions inhumaines.
En 2019, The Palestine Chronicle s’est entretenu avec Khalil al-Halabi, le père de Mohammed, à propos de l’emprisonnement injuste de son fils et des horribles tortures auxquelles il a été soumis durant sa détention en Israël.
Des années durant, Khalil al-Halabi a partagé avec nous la réalité dévastatrice de la captivité de Mohammed – ses souffrances, les conditions inhumaines et l’absence flagrante de preuves contre lui.
Aujourd’hui, après sa libération, Mohammed est méconnaissable en raison de sa perte de poids extrême, qui témoigne entre autres des mauvais traitements qu’il a subis.
Lisez ici le témoignage complet de son père, datant de 2019 :
Mon fils est un héros humanitaire
Les épreuves de Mohammed ont débuté le 15 juin 2016, au passage de Beit Hanoun (Eretz). Les soldats de l’occupation israélienne l’ont arrêté alors qu’il revenait d’une réunion de World Vision à Jérusalem. Nous n’avons appris son arrestation que trois jours plus tard. On nous a également dit qu’il était détenu à la prison d’Asqalan.
Mon fils a subi d’horribles tortures, à Asqalan (Ashkelon). Ses interrogateurs l’ont accusé de transférer des fonds vers la Résistance à Gaza. De façon absurde, les sommes d’argent qu’il était accusé de transférer vers ces organisations de Gaza dépassaient nettement le budget total de l’ONG dans l’enclave. Toute l’histoire est dénuée de sens.
Pendant 52 jours, Mohammed a subi un interrogatoire constant et atroce. Dès le premier jour de son arrestation, les agents de renseignement israéliens lui ont placé un sac crasseux autour de la tête et l’ont suspendu au plafond durant des périodes prolongées. Ils l’ont empêché de dormir et, chaque fois qu’ils en avaient provisoirement terminé avec leurs pratiques horribles, ils le jetaient dans une cellule incroyablement minuscule, à peine assez large pour permettre à une seule personne de s’asseoir et, partant, de dormir. On l’y laissait sans matelas ni couverture.
Il a été agressé physiquement en de maintes occasions. Chaque fois, ses tortionnaires suivaient la même routine brutale : ils le giflaient, le frappaient à coups de pied, surtout dans les parties, et ils l’étranglaient ensuite jusqu’au moment où il sentait qu’il était sur le point de mourir. Alors ils arrêtaient et recommençaient quelques brefs instants plus tard. Parfois, ils le plaçaient dans une petite pièce et faisaient passer une musique assourdissante jusqu’à ce que la douleur dans ses oreilles devienne insupportable. Il en est résulté pour lui la perte de 40 pour 100 de son acuité auditive. En été, ils le déshabillaient complètement et l’exposaient ensuite à de brusques giclées d’air chaud. En hiver, ils répétaient le même processus, mais avec de l’air froid, cette fois.
L’avocat de Mohammed nous a transmis tout cela dans les moindres détails. J’ai le cœur brisé pour mon fils. Tout ce qu’il faisait, c’était essayer de venir en aide aux gens dans le besoin. Il parlait souvent d’autonomiser les opprimés et les défavorisés à Gaza et, quasiment chaque jour, il partageait avec moi des histoires concernant la différence apportée par le travail de World Vision dans la vie des gens ordinaires.
Le temps qu’il a passé en prison et toutes les tortures physiques qu’il a été forcé de subir l’ont laissé très malade. Le seul fait qu’ils n’ont cessé de le balancer contre le mur tout en le secouant violemment de façon répétitive, l’a fait s’évanouir à plusieurs reprises. Mais les autorités israéliennes ont toujours refusé qu’il voie un médecin.
Après en avoir terminé avec leurs longs interrogatoires sous la torture, ils l’ont transféré à la prison de Nafha, où il a été présenté devant un tribunal militaire, à Bir Al-Saba’. Au moment où j’écris ces mots (2019), mon fils a subi 115 audiences officielles du tribunal.
L’occupation veut que Mohammed reconnaisse des choses qu’il n’a pas faites. Il a dit à son avocat que, quoi qu’ils lui aient fait, il n’assumerait pas la responsabilité d’actes qu’il n’avait pas commis. Malgré les mensonges du ministère israélien des Affaires étrangères disant que Mohammed avait reconnu avoir détourné de l’argent au profit de la Résistance, mon fils a officiellement plaidé non coupable de toutes les accusations contre lui lors d’un procès au tribunal de district à Bir Al-Saba’, le 2 février 2017.
Toutefois, tout le monde comprend que la véritable raison derrière tout cela est qu’Israël veut que World Vision cesse d’opérer à Gaza, un endroit dont Israël veut qu’il reste isolé, brisé et mis à genoux.
Mon fils est un être humain exceptionnel qui a mené à bien tant de choses dans sa jeune vie, et pour sa famille, et pour son peuple. Il a été présenté dans une campagne de l’ONU en 2014 comme l’un des grands « héros humanitaires » de la planète. World Vision même lui a décerné le titre d’« Humanitaire de l’année », pour ses infatigables efforts en vue d’aider Gaza dans des conditions aussi terribles.
En dehors du travail réalisé par Mohammed pour aider le secteur le plus faible de la société de Gaza, une grande partie de ses efforts se sont concentrés sur l’aide aux gens malades, surtout les patients du cancer à qui l’on refusait l’accès à des soins adéquats et, souvent, des médicaments vitaux. Mon fils a également concentré une grande partie de son travail à aider les enfants souffrant de nombreuses cicatrices émotionnelles et psychologiques résultant des guerres dévastatrices d’Israël.
Tout le monde connaissait mon fils, tout le monde l’aimait et le respectait pour ce qu’il faisait, et toutes les enquêtes internes, que ce soit celle menée par World Vision même ou celle du gouvernement australien, ont innocenté Mohammed d’avoir fait quoi que ce soit de contraire aux principes du travail caritatif. Mais Israël refuse de le libérer.
Aujourd’hui, Mohammed vient d’être transféré une fois de plus, cette fois à la prison de Rimon, où il est détenu dans des conditions extrêmement pénibles, tout en subissant chaque fois toutes sortes de tortures et de dégradations. Israël ne dispose d’aucune preuve pour condamner mon fils. Par conséquent, il recourt à la torture physique et psychologique pour tenter de lui soutirer exactement ce qu’il désire entendre.
En chargeant Mohammed, le gouvernement israélien entend inculper toutes les ONG internationales de façon à étouffer Gaza et la totalité de son peuple héroïque.
Mohammed nous manque. Mohammed manque à Gaza. Chaque jour qui passe, j’essaie de faire tout ce que je peux pour éveiller la conscientisation à la cause de mon fils. Le fait de penser qu’il est maltraité d’une manière si humiliante me ronge de l’intérieur. Je voudrais le tenir tout contre moi et lui dire à quel point je suis fier de tout ce qu’il a fait pour Gaza et pour le peuple palestinien.
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Publié le 2 février 2025 sur The Palestine Chronicle
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine