Salah Hamouri, bien décidé à rester dans la ville de sa naissance, Jérusalem

« Cette ville mérite qu’on connaisse pour elle toutes sortes de souffrances et je lutterai à jamais pour pouvoir y vivre », dit-il.

décidé à rester dans sa ville de sa naissance, Jérusalem

Salah Hamouri (Photo : l’Humanité)

L’avocat franco-palestinien Salah Hamouri toute dernière cible de la politique israélienne de retrait du statut de résidence à Jérusalem

Aseel Jundi à Jérusalem, 10 septembre 2020

Ces vingt dernières années, Salah Hamouri s’est fait tirer dessus, il a été arrêté, emprisonné et a vu sa famille forcée de quitter le pays. La semaine dernière, l’avocat palestinien a affronté un nouvel obstacle dans son combat pour rester dans sa ville natale.

Le 3 septembre, l’avocat palestinien a été convoqué par les services de renseignement israéliens et s’est vu remettre une décision du ministre israélien de l’Intérieur, Aryeh Deri, stipulant que son statut de résident permanent de Jérusalem lui avait été retiré.

Citant l’Article 11 de la Loi de citoyenneté et d’entrée en Israël, la décision a été justifiée sur base du fait que Hamouri avait « enfreint son allégeance à l’Etat d’Israël ».

« J’ai désormais 30 jours pour faire objection à cette sentence », a déclaré Hamouri à MEE.

« Bien que je sois certain que le ministre israélien de l’Intérieur rejettera mon appel, j’ai le choix d’aller devant les tribunaux israéliens, ce que je compte d’ailleurs faire. »

« Cela peut prendre des années, mais je ne renoncerai pas à mon droit de vivre à Jérusalem. »

Hamouri est la plus récente victime de la politique punitive d’Israël de révocation de résidence, qui a longtemps été le fléau des Jérusalémites palestiniens.

Ni citoyens d’Israël ni résidents de Cisjordanie techniquement sous la juridiction de l’Autorité palestinienne, les Palestiniens de Jérusalem-Est occupée ont longtemps vécu dans leur propre catégorie de juridiction séparée.

S’étant vu accorder le prétendu statut de « résidence permanente » par Israël afin de pouvoir vivre dans leur ville, mais au risque de le perdre, les Jérusalémites se sont longtemps plaints d’être traités comme des immigrants dont la présence en ville était une concession faite par Israël et qui peut être retirée à tout moment.

Un harcèlement de toute une vie

Hamouri est né à Jérusalem en 1985 d’un père palestinien et d’une mère française. Né dans la ville sainte, il a expliqué à MEE qu’il avait mené une existence normale jusqu’en 2000.

Au cours des tout premiers mois de la Deuxième Intifada, l’adolescent a été blessé d’une balle réelle à la cuisse, lors de confrontations entre les forces israéliennes et les manifestants palestiniens dans le quartier d’al-Ram, dans le nord de Jérusalem. A ce jour, la balle est toujours dans son corps et, depuis, dit-il, il est devenu bien plus conscient de la situation politique qui l’entoure, au point de s’y impliquer.

Hamouri rappelle qu’il a été harcelé par les forces israéliennes, puis arrêté en 2001, quand il avait 16 ans, pour passer cinq mois dans les prisons israéliennes. Son crime ? Avoir tagué des slogans sur les murs et participé à des activités estudiantines à Jérusalem-Est.   

En 2004, alors qu’il était étudiant à l’Université de Bethléem, il avait été arrêté une nouvelle fois et condamné à cinq mois de détention administrative – un emprisonnement sans accusation ni procès. L’année suivante, il avait été accusé d’appartenir au Front populaire pour la libération de la Palestine (FPLP) et d’avoir prétendument prévu l’assassinat du rabbin Ovadia Yosef, le père spirituel du Mouvement ultra-orthodoxe Shas, dont Deri, le ministre à l’origine de la démarche de révocation du statut de résidence de Hamouri, est actuellement le chef.  

Alors que Hamouri avait rejeté les accusations de préparation de l’assassinat de Yosef, il déclare qu’il avait refusé une proposition d’être déporté en France pendant 15 ans. En lieu et place, il avait été condamné à sept ans de prison – pour n’être relâché qu’en 2011, dans le cadre de l’accord d’échange du prisonnier Gilad Shalit.

A sa libération, il avait décidé d’étudier le droit à l’Université Al-Quds, dans la ville unifiée de Ramallah-al-Bireh, en Cisjordanie. En plusieurs occasions, les autorités israéliennes lui ont refusé l’entrée en Cisjordanie, ce qui a grandement affecté ses possibilités de poursuivre son éducation. Finalement, il a toutefois pu obtenir son diplôme et, depuis, a travaillé comme enquêteur de terrain pour l’organisation palestinienne Addameer de défense des droits des prisonniers.

En 2014, Hamouri a épousé Elsa Lefort, une Française qui avait été activement impliquée dans la campagne en faveur de sa libération de prison. Mais ce qui aurait dû être le début de moments de joie dans la mise sur pied d’une famille ne devint pour Israël un nouveau moyen d’exercer des pressions sur le Jérusalémite.

En janvier 2016, Lefort, à l’époque enceinte de six mois, était arrêté à l’aéroport Ben-Gourion pendant trois jours alors qu’elle rentrait d’une visite dans la famille en France. Bien qu’elle eût reçu en octobre 2015 un visa d’un an grâce à son emploi au consulat de France, Lefort fut interdite d’entrée en Israël – et, par extension, dans les territoires palestiniens occupés – pendant dix ans.

La décision empêcha non seulement Elsa Lefort d’accoucher à Jérusalem, privant ainsi leur fils d’obtenir son propre statut de résident de Jérusalem, mais elle fur perçue par la famille comme un outil supplémentaire de pression sur Hamouri pour qu’il quitte Jérusalem. 

« Le but derrière mon harcèlement continuel ces vingt dernières années est de détruire ma ville familiale », a-t-il déclaré à MEE.

« Il n’est pas facile de décrire les choses pénibles dont je souffre avec ma femme et mon enfant, qui ne cesse de demander après moi et devient très émotif chaque fois que je quitte la France pour retourner à Jérusalem. »

Hamouri a été de nouveau arrêté en 2017, et sa détention administrative a été renouvelée trois fois avant qu’il ne soit finalement relâché en 2018 – une fois encore sans la moindre accusation contre sa personne. A plusieurs reprises aussi, depuis lors, il a été convoqué pour des interrogatoires par les services de renseignement israéliens.

Dans la décision de révoquer son statut de résidence, le ministère israélien de l’Intérieur accusait Hamouri de toujours appartenir au FPLP et prétendait qu’il était en contact avec d’autres personnes préparant une opération contre une personnalité israélienne et qu’il continuait toujours à commettre des actions agressives contre Israël.

Dans le sillage de ces deux décennies de harcèlement de la part des autorités israéliennes, Hamouri explique que cette dernière démarche entreprise contre sa personne n’a pas provoqué de choc particulier chez lui.

« Je ne m’attendais pas à recevoir cette sentence, par laquelle Israël me tient pour responsable d’actions pour lesquelles j’ai été précédemment condamné et emprisonné mais, en même temps, je ne suis pas surpris »,

a expliqué Hamouri à MEE.

Le gouvernement français a réagi à la nouvelle, disant qu’il avait

« entrepris des démarches en vue d’obtenir de promptes explications des raisons de cette décision et de la révocation du permis ».

« Monsieur Hamouri doit être à même de mener une existence normale à Jérusalem, où il est né et où il réside. Sa femme et son fils doivent se voir accorder le droit de lui rendre visite à Jérusalem »,

a fait savoir le ministère des Affaires étrangères dans un communiqué de presse, vendredi.

Nombre d’associations juridiques se sont proposées pour représenter Hamouri – mais l’avocat a demandé un soutien plus large des activistes et autres groupes afin d’exercer des pressions pour qu’Israël cède.

Les Palestiniens de Jérusalem sous menace permanente

Alors que le statut de Hamouri en tant que Palestinien relativement bien connu et nanti de la nationalité française a de plus en plus attiré l’attention sur son cas, la question de la révocation du statut de résidence est malheureusement très familière, pour les Palestiniens à Jérusalem.

Depuis qu’il a occupé Jérusalem-Est pour la première fois en 1967, Israël a adopté des mesures cherchant à effacer de force les liens des Palestiniens avec la ville, et ce, afin d’instaurer un discours judéo-centrique propre à la ville – un processus connu sous le nom de judaïsation.  

En même temps que l’expropriation de terres et de maisons, les restrictions imposées au regroupement familial, les obstacles bureaucratiques et l’excès de présence policière dans les quartiers à majorité palestinienne, la révocation du statut de résidence est une autre mesure encore tendant à obtenir une majorité démographique d’Israéliens juifs, en poussant les Palestiniens hors de Jérusalem-Est tout en leur rendant quasiment impossible l’existence même dans la ville.

Le transfert forcé des Palestiniens de Jérusalem-Est occupée est un crime de guerre, d’après l’Article 8 du statut de la Cour pénale internationale, fait remarquer Munir Nuseibah, le directeur du Centre d’action communautaire à l’Université Al-Quds.

« Le ministre israélien de l’Intérieur, Aryeh Deri, doit être puni pour avoir commis ce délit criminel »,

a-t-il déclaré.

Selon Nuseibah, plus de 14 500 Jérusalémites ont perdu leurs droits de résidence à Jérusalem, depuis 1967.

Alors que le statut de résidence est souvent révoqué chez les Palestiniens incapables de fournir des preuves suffisantes que Jérusalem est leur « centre de vie », en 2016, le ministère de l’Intérieur a révoqué le statut de résidence d’une femme palestinienne et de ses enfants après qu’un de ses fils avait été tué en agressant des militaires israéliens – une démarche qui avait été perçue comme une escalade alarmante des mesures de punition collective.

Nuseibah estime qu’au moins 15 Jérusalémites palestiniens ont été privés de leur statut de résidence depuis 2006 sur des allégations de « rupture du serment d’allégeance envers l’Etat d’Israël » – un pays dont ils ne sont pas citoyens !

Cette année, trois membres élus du Conseil législatif palestinien, ainsi que l’ancien ministre des Affaires jérusalémites pour l’AP, ont été transférés de force vers la Cisjordanie.

En 2018, le Parlement israélien (la Knesset) a converti en loi la punition infligée aux responsables palestiniens, accordant ainsi au ministère de l’Intérieur la possibilité de révoquer le statut de résidence des Palestiniens et des Syriens de Jérusalem-Est et des hauteurs du Golan occupées accusés de s’être engagés dans des activités anti-israéliennes. Cette législation est celle qui a été utilisée contre Hamouri. 

Nuseibah fait remarquer qu’attendre des Palestiniens qu’ils se montrent loyaux envers la puissance occupante est une infraction contre les lois humanitaires internationales – dont la Quatrième Convention de Genève et les Conventions de La Haye de 1907, dont l’Article 45 stipule qu’« il est interdit de forcer les habitants d’un territoire occupé de jurer allégeance  à la puissance hostile ».

Nuseibah insiste sur le fait qu’une telle punition prépare la voie à l’expulsion forcée de Jérusalem de milliers de Palestiniens.  

« La révocation du statut de résidence est une punition qui s’inscrit dans le cadre de la guerre démographique à Jérusalem »,

dit-il.

« Israël a développé un outil malicieux habilitant l’occupation à révoquer le statut de résidence appuyant sur une violation supposée de l’allégeance, afin de réduire le nombre d’activistes politiques parmi les résidents palestiniens de Jérusalem-Est. »

Bien qu’apparemment Israël recoure à toutes les armes de son arsenal pour expulser Hamouri et d’innombrables autres Palestiniens de Jérusalem, le Franco-Palestinien continue à relever le défi et est bien déterminé à riposter.

« Cette ville mérite qu’on connaisse pour elle toutes sortes de souffrances et je lutterai à jamais pour pouvoir y vivre », dit-il.


Publié le 10 septembre 2020 sur Middle East Eye
Traduction : Jean-Marie Flémal

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