Embrasser la terre du nord de Gaza
Au bout de 15 mois, la déclaration de cessez-le-feu a finalement été annoncée, sa condition la plus importante étant le retour des personnes déplacées vers leurs foyers, dans le nord de Gaza.
Moaaz Redwan, 2 février 2025
Moi-même, j’ai été déplacé du camp de réfugiés de Jabaliya vers le nord de Khan Younis, puis vers Rafah et, enfin, à Deir al-Balah.
Même si nous retournions vers des décombres, la priorité était de retourner. On a annoncé que les personnes déplacées seraient à même d’entamer leur retour vers le nord le dimanche 26 janvier, une semaine après l’entrée en vigueur de l’accord de cessez-le-feu.
Tout le monde attendait ce jour dans une grande excitation et dans la joie – le jour où nous allions retourner dans le nord de Gaza.
Samedi, 25 janvier
Pour la première fois depuis mai dernier, j’ai vu Deir al-Balah désert et vide de personnes déplacées. Depuis des mois, il y avait des tentes dans chaque coin, les rues surpeuplées ressemblaient à un marché en pleine effervescence.
Les gens se sont mis à prendre la direction de Tibbet al-Tanouri, l’endroit où ils allaient se mettre à marcher vers le nord, en empruntant la rue Rashid, le long de la côte. Le transport par véhicule n’était permis que par la rue Salah al-Din, l’artère centrale nord-sud de Gaza.
Tout le monde transportait autant qu’il pouvait – matelas, vêtements, eau. Nombreux étaient ceux qui avaient laissé la moitié de leurs biens derrière eux parce qu’ils ne pouvaient emporter le tout.
Ma famille – huit personnes, y compris mes parents et mes cinq jeunes frères et sœurs – ont atteint Tibbet al-Tanouri samedi après-midi et y sont restés jusque dimanche matin à 8 heures, l’heure du retour.
Le temps était froid, mais les sentiments de joie emplissaient l’endroit de chaleur. Toutes les personnes étaient assises et parlaient de ce qu’elles allaient faire une fois arrivées, comment chaque jour elles avaient rêvé de cet instant et à quel point le nord leur manquait.
Samedi soir, des soldats israéliens ont ouvert le feu sur nous pendant que nous campions et attendions l’ordre du retour. Mais nous avons tenu bon. La nouvelle s’est rapidement répandue : Israël voulait la libération d’une captive spécifique et, si elle n’était pas libérée, il n’y aurait pas de retour pour nous.
La panique s’est répandue parmi les gens ; mais nous n’avons jamais quitté l’endroit ni n’avons renoncé à notre rêve de retour sur notre terre.
Dimanche, 26 janvier
Le jour que nous attendions est enfin venu, après avoir passé la nuit dans la rue en compagnie de milliers de personnes dans le froid, tout en craignant une autre trahison de la part de l’occupation.
Le matin est arrivé, mais nous attendions toujours l’ordre nous permettant de retourner chez nous.
Nous attendions dans la rue et le nombre de personnes ne cessait d’augmenter, la congestion s’aggravait en même temps que la crainte de voir toute notre joie se réduire à rien. Après une longue journée d’appréhension, de tension et de rumeurs se répandant dans la foule, nous avons été informés du nouvel accord dégagé par l’entremise des médiateurs : Le retour des personnes déplacées allait commencer le jour suivant.
Lundi, 27 janvier
Le matin de notre célébration est arrivé – la célébration du retour vers le nord, du jour dont nous rêvions depuis plus d’un an.
Nous nous sommes mis en route, la joie était visible sur tous les visages, comme si les gens avaient oublié la guerre et tout ce qu’ils avaient dû subir. Les slogans « Allahu akbar » (Dieu est grand) et « La ilaha illa Allah » (Il n’y a pas d’autre dieu que Dieu) se faisaient écho et les drapeaux palestiniens étaient brandis bien haut. Nous retournions vers l’endroit où nous étions nés et avions passé toute notre vie. Nous retournions chez nous.
Cette scène me rappelait le déplacement d’octobre 2023, mais nos émotions étaient complètement à l’opposé. À l’époque, nous fuyions vers l’inconnu, emplis de crainte et de terreur. Cette fois, nous retournions chez nous.
Je savais que nous n’allions pas retrouver une maison avec quatre murs. Mais l’idée de retourner à l’endroit où j’avais vécu toute ma vie, où j’avais passé toutes mes journées avant la guerre, était très réconfortante. Maintenant que le jour auquel je pensais depuis 15 mois était réellement arrivé, je me sentais finalement en paix.
Nous voisins lors du déplacement, la famille Sabah, avaient leur propre histoire.
Khaled Sabah, un homme dans la quarantaine, disait :
« J’ai laissé ma famille dans le sud et je l’ai précédée vers notre maison détruite à Jabaliya afin de retrouver les corps de mes trois filles – Iman, Nour et Suad – pour que leur mère et le reste de la famille n’aient pas à revivre ces émotions ni à revoir cette scène une fois encore. Là, maintenant, je suis en route vers le nord. »
Une autre personne déplacée, Iman al-Madhoun de Beit Lahiya, que j’ai rencontrée en cours de route, demandait de l’aide :
« J’ai cinq enfants, dont deux qui ne marchent pas encore. J’implore tout le monde de m’aider et de me ramener à Gaza. »
Personne n’a hésité à l’aider. Nous avons cherché une charrette pour emmener les deux enfants en bas âge.
La route était longue, mais nous n’avons pas ressenti sa longueur. Des paramédicaux dans des ambulances étaient présents pour s’occuper des personnes qui s’évanouissaient d’épuisement. Bien des gens se sont arrêtés à mi-chemin parce que leurs enfants ne pouvaient effectuer la totalité du trajet.
Rue Rashid, près du croisement de Netzarim, nous avons découvert le corps en état de décomposition d’un martyr. Personne n’avait été en mesure de retrouver le corps en raison de la très longue présence israélienne dans le secteur.
Après avoir marché durant de longues heures, nous sommes finalement arrivés à Jabaliya vers 8 heures du soir. J’avais les pieds gonflés d’avoir marché mais le simple fait d’arriver dans les rues où j’avais grandi m’a fait oublier toute forme d’épuisement.
Malgré l’obscurité, j’ai reconnu les lieux. J’ai atteint notre quartier et, de joie, je me suis prosterné. J’ai embrassé la terre dès que je suis arrivé.
Notre maison était détruite, puisqu’elle avait été démolie dès le début de la guerre. Mais, à ce moment, rien ne comptait, excepté le fait que nous étions de retour sur notre terre. Nous avons dressé une tente sur l’emplacement même des décombres.
Les sensations étaient surprenantes, comme si j’avais été loin de mon quartier, de ma maison, des rues de mon enfance durant de longues années. C’était l’endroit qui avait assisté à chaque étape de ma vie jusqu’à présent.
Cette nostalgie était écrasante – les rues, les ruelles, les voisins, tout me manquait. Comme me manquait le simple fait de déambuler dans ces endroits et tout simplement de m’y trouver.
Enfin, j’étais rentré chez moi.
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Moaaz Redwan est étudiant à l’Université Al-Aqsa et il a grandi dans le camp de réfugiés de Jabaliya.
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Publié le 2 février sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine