La violence génocidaire israélienne gagne la Cisjordanie
Israël étend sa violence génocidaire à la Cisjordanie occupée, alors que son offensive meurtrière contre Jénine et son camp de réfugiés entre dans sa troisième semaine. Telle est la mise en garde avancée par une organisation palestinienne des droits humains.
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24 janvier 2025. Une épaisse fumée s’élève au-dessus du camp de réfugiés de Jénine, dans le nord de la Cisjordanie occupée. (Photo : Mohammed Nasser / APA images)
Tamara Nassar, 5 février 2025
Des dizaines de Palestiniens ont été tués depuis que, le 21 janvier, l’armée, la police et l’agence d’espionnage intérieur (Shin Bet) israéliennes ont lancé conjointement une opération militaire à grande échelle et de durée indéterminée baptisée « Muraille de fer » contre la ville de Jénine et son camp de réfugiés. Dans l’intervalle, l’opération s’est étendue à d’autres zones du nord de la Cisjordanie, dont Tulkarem, la semaine dernière, et Tamun, au sud de Tubas, cette semaine.
Depuis le début de l’offensive militaire, Israël a imposé un siège total au camp de réfugiés de Jénine et y a déployé des centaines de soldats – dont des snipers.
L’armée israélienne a effectué plusieurs bombardements aériens sur des zones civiles à forte densité de population et a provoqué des destructions répandues d’infrastructures et d’habitations dans tout le camp et ce, « à une échelle sans précédent depuis plus de 20 ans », a rapporté Reuters.
Les troupes israéliennes ont détruit au bulldozer toutes les routes menant au camp de réfugiés et à la ville, de même qu’un certain nombre de routes et de rues à l’intérieur. La grande majorité des habitants du camp ont été déplacés suite aux ordres israéliens. Certains ont même été fouillés et arrêtés alors qu’ils sortaient du camp.
« Les familles qui sont restées vivent en grand danger et n’ont plus accès à l’eau, à l’électricité et à d’autres services de base »,
a déclaré l’organisation palestinienne des droits humains Al-Haq.
Entre 150 et 180 maisons de Jénine ont été gravement endommagées au cours de l’attaque israélienne, fait savoir l’organisation de contrôle de l’ONU, l’OCHA.
Les attaques israéliennes contre les villes et camps de réfugiés de Cisjordanie sont devenues « une cause prépondérante » de déportation forcée de Palestiniens, représentant plus de 40 pour 100 de toutes les déportations répertoriées par l’OCHA en 2023 et 2024. Au cours des deux années précédentes, ce pourcentage n’avait été que de 2 pour 100.
Tuer des enfants et des personnes âgées
Le 1er février, à Jénine, une attaque israélienne a décapité un adolescent de 14 ans.
Un missile tiré sans avertissement à partir d’un drone israélien a tué Ahmad Abdelhakim Saadi alors qu’il se trouvait dans la cour extérieure de sa maison familiale, a révélé une enquête de terrain de Defense for Children International – Palestine (DCI-P). Au moment des faits, il n’y avait pas de présence immédiate de troupes israéliennes dans la zone.
Des témoins ont dit à DCI-P qu’une proche de l’adolescent, appelée Nour, était recherchée par Israël. Selon ces témoins, Nour était sur le point de rendre visite à la famille d’Ahmad avant que le drone israélien ne tire son missile en face de la maison.
Nour a survécu à cette frappe, mais a été tuée par un autre missile tiré par un drone un peu plus tard le même jour, de même qu’une infirmière qui travaillait dans le secteur.
« Les forces israéliennes effectuent une campagne de nettoyage ethnique dans le nord de la Cisjordanie occupée, tuant des Palestiniens et les forçant à quitter leurs maisons »,
a expliqué Ayed Abu Eqtaish, directeur du programme de responsabilisation à DCI-P.
« Les forces israéliennes sont encouragées par l’impunité que leur accordent les dirigeants mondiaux, qui n’ont pas entrepris la moindre action pour faire cesser le génocide des Palestiniens à Gaza et qui sont complices de la campagne de déportation forcée des Palestiniens en Cisjordanie. »
Le 25 janvier, à Muthallath al-Shuhada, une localité au sud de Jénine, les forces israéliennes ont abattu et tué une fillette de deux ans alors qu’elle dînait avec sa mère, ses grands-parents et des tantes dans la maison familiale. La gamine a reçu une balle à l’arrière de la tête.
Son grand-père l’a portée hors de la maison, et il a aperçu des snipers israéliens postés à l’intérieur d’une maison en face. Les habitants de la ville ignoraient tout de la présence militaire israélienne dans le quartier.
La mère de la fillette et une de ses tantes ont été blessées elles aussi par des éclats d’obus, a révélé l’enquête de DCI-P.
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Jénine, Cisjordanie occupée, 26 janvier 2025. Des gens en deuil portent le corps de Laila Muhammad Khatib, 2 ans, tuée d’une balle à l’arrière de la tête alors qu’elle dînait avec sa famille. (Photo : Mohammed Nasser / APA images)
Les forces israéliennes ont également tué dans le camp un homme de 73 ans, Walid Muhammad Lahlouh, a confirmé le ministre de la santé de l‘Autorité palestinienne.
Le 29 janvier, un adolescent de 17 ans a été tué par un drone lance-missile qui visait la cour d’une maison à Tamun. En tout, dix personnes ont été tuées. L’adolescent, Jihad Naser Bani Matar, se trouvait parmi un certain nombre de personnes recherchées par l’armée israélienne et dont les maisons avaient déjà fait l’objet de perquisitions à diverses reprises.
Il n’y avait pas de présence militaire israélienne, au moment de la frappe.
La veille, à Tulkarem, Saddam Hussein Rajab, un garçon de 10 ans, a été touché dans l’abdomen par un soldat israélien, alors qu’il se tenait sur le trottoir, comme le montre une prise de vue.
Des soldats israéliens ont attaqué le père de Saddam quand il a tenté d’évacuer le garçon pour qu’il puisse recevoir de l’aide. Ils ont même arrêté le père pendant près d’une heure.
Alors qu’on transférait l’adolescent d’un hôpital vers un autre, les forces israéliennes ont retenu l’ambulance et un soldat a dit au père de Saddam :
« C’est moi qui ai abattu ton fils. Si Dieu le veut, il mourra. »
Pour l’instant, Saddam reçoit toujours des soins médicaux.
Au moins 70 Palestiniens ont été tués en Cisjordanie depuis le début de l’année, a fait savoir le ministère de la Santé de l’AP, en grande majorité dans les villes et camps de réfugiés du nord.
Au moins 38 Palestiniens ont été tués à Jénine, 15 à Tubas, 6 à Naplouse, 5 à Tulkarem, 3 à Hébron, 2 à Bethléem et un à Jérusalem-Est occupée.
Les forces israéliennes ont tué au moins 11 enfants palestiniens depuis le début de l’année – sept par des frappes de drone et les quatre autres par balles.
Ce chiffre n’inclut pas trois enfants palestiniens tués au cours du raid de l’AP dans le camp de réfugiés de Jénine, raid qui avait débuté dans la première semaine de décembre pour se terminer en janvier.
DCI-P doit encore déterminer qui sont les responsables de la mort de chacun de ces enfants lors du raid de l’AP, puisque l’incursion militaire israélienne qui a suivi de près a empêché toute enquête de ce genre.
Les mêmes tactiques qu’à Gaza
Dimanche, l’armée israélienne a rasé près de deux douzaines d’immeubles au cours de bombardements simultanés « qui ont été entendus dans une bonne partie du nord de la Cisjordanie », a rapporté The Wall Street Journal.
Juliette Touma, de l’agence de l’ONU pour les réfugiés de Palestine (UNRWA) a dit que le camp empruntait
« une direction catastrophique ».
Elle a également dit que les détonations s’étaient fait entendre
« au moment où les enfants étaient censés retourner à l’école ».
Et d’ajouter que 13 écoles du camp et des zones avoisinantes sont fermées, ce qui affecte 5 000 enfants. Les services de l’UNRWA dans le camp de réfugiés ont été interrompus pour des mois et ont été mis à l’arrêt complet début décembre lors de l’offensive menée par l’AP.
Apparemment, l’UNRWA n’était pas avertie des détonations, puisqu’il n’y a plus de contact entre son état-major et l’armée israélienne depuis qu’Israël a mis un terme aux opérations de l’agence le mois dernier.
The Wall Street Journal a rapporté que les bombardements
« ressemblaient à une tactique utilisée à Gaza, où l’armée israélienne avait créé des corridors afin de diviser l’enclave ».
Des prises de vue des bombardements présentaient des similitudes avec ce dont avait l’air l’horizon de Gaza dans les premiers jours et semaines de la campagne génocidaire d’Israël contre l’enclave côtière.
Israël dit qu’il détruit des infrastructures appartenant aux organisations armées. Mais les objectifs d’Israël incluent l’élargissement des routes afin de faciliter la progression des troupes qui envahissent la zone.
« Ils tentent de diviser le camp en plusieurs parties. C’est très similaire au nord de Gaza »,
a expliqué à The Wall Street Journal Michael Milshtein, un ancien chef de la division palestinienne des services israéliens du renseignement militaire.
Israël a vu « une opportunité de modifier la structure physique du camp », a rapporté le quotidien Haaretz de Tel-Aviv, citant une importante source militaire sans toutefois la nommer.
« Cette politique donnerait à l’armée la possibilité de frapper plus facilement les militants armés, qui ont souvent l’occasion de s’échapper ou de se réfugier dans les zones densément construites »,
ajoutait le journal.
Un analyste militaire israélien a accordé partiellement crédit aux organisations armées palestiniennes de Cisjordanie pour l’incapacité israélienne de répondre à l’attaque du Hamas le 7 octobre 2023.
« Les attaques de plus en plus fréquentes ont forcé Israël à déployer une grande partie de son armée en Cisjordanie. Cela explique en partie pourquoi Israël n’est pas parvenu à défendre sa frontière avec Gaza lorsque le Hamas a attaqué »,
a rapporté The Wall Street Journal en citant Eado Hecht, un analyste militaire israélien qui enseigne dans une académie où l’on forme des officiers supérieurs de l’armée israélienne.
En effet, Benjamin Netanyahou et les membres d’extrême droite de son gouvernement présentent les assauts meurtriers de l’armée israélienne comme une prolongation de la guerre à Gaza. Les ministres israéliens les plus extrémistes se sont opposés au cessez-le-feu du mois dernier à Gaza, que Netanyahou a été forcé d’accepter par le président américain Donald Trump au cours des jours qui ont directement précédé l’investiture de ce dernier.
« Des tactiques génocidaires »
L’organisation palestinienne des droits humains Al-Haq a mis en garde contre le fait qu’Israël recourt en Cisjordanie à un grand nombre de tactiques similaires à celles qu’il avait employées tout au long de son génocide contre les Palestiniens à Gaza.
« Les tactiques génocidaires d’Israël en vue de détruire les organisations palestiniennes sont bien plus évidentes en Cisjordanie, y compris Jérusalem »,
a mis en garde Al-Haq.
Ces tactiques comprennent des attaques contre les hôpitaux, les patients et le personnel, la destruction complète de quartiers palestiniens et l’homicide volontaire de Palestiniens.
Le jour où Israël a lancé son opération contre Jénine, l’experte indépendante de l’ONU, Francesca Albanese, y est allée d’une mise en garde similaire.
« Si on ne le force pas à s’arrêter, le génocide d’Israël ne se limitera pas à Gaza. Retenez ce que je vous dis »,
a-r-elle écrit sur X (anciennement Twitter) en faisant remarquer que 10 Palestiniens avaient déjà été tués à Jénine.
« La situation dans le nord de la Cisjordanie rappelle douloureusement les premières semaines qui ont suivi le 7 octobre 2023 »,
a déclaré Al-Haq.
Le ministre israélien de la Défense, Israël Katz, a indiqué que l’opération avait tiré les leçons du génocide des Palestiniens à Gaza.
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22 janvier 2025. Les forces israéliennes empêchent les ambulances d’entrer dans le camp de réfugiés de Jénine, en Cisjordanie occupée. (Photo : Wahaj Bani Moufleh / ActiveStills)
Le mois dernier, Bezalel Smotrich, le ministre israélien des Finances, a réclamé explicitement que soit infligé à Jénine le même genre de violence utilisé par Israël à Gaza.
« Funduq, Naplouse et Jénine doivent ressembler à Jabaliya »,
a-t-il dit, faisant allusion aux trois villes palestiniennes du nord de la Cisjordanie et à une zone du nord de Gaza où Israël a provoqué des destructions massives au cours de ces 15 derniers mois.
En août, Israël Katz – à l’époque ministre des Affaires étrangères – avait même demandé explicitement qu’Israël fasse montre de « la même détermination » qu’à Gaza. Il prônait
« l’évacuation temporaire des résidents palestiniens et toutes les mesures qui s’imposeraient ».
Aujourd’hui, ces méthodes sont déjà appliquées à Jénine.
Katz a suggéré récemment que le le but de l’armée était d’éloigner la résistance armée du camp de réfugiés de Jénine, de sorte que
« le terrorisme ne retourne pas au camp après la fin de l’opération – telle est la première leçon tirée de la méthode des raids répétés à Gaza ».
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Publié le 5 février 2025 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine