À Gaza, une « boucle sans fin de sang, de douleur et de mort »
Israël a perpétré des massacres dans toutes les zones de la bande de Gaza, tandis que sa politique d’affamement et de déplacement forcé se poursuit sans relâche.

Le durcissement du siège d’Israël contre Gaza a encore aggravé les niveaux d’affamement et de déshydratation dans l’enclave. (Photo : Doaa el-Baz / APA images)
Nora Barrows-Friedman, 4 avril 2025
Le texte qui suit est un condensé des informations communiquées lors du livestream (en anglais) du 2 avril. Vous pouvez voir l’émission au complet ici.
Au moment où les Palestiniens de Gaza tentaient de célébrer l’Eid, la fête qui marque la fin du mois de Ramadan, les frappes de l’aviation israélienne se sont encore intensifiées.
Le 30 mars, le premier jour de l’Eid, les attaques israéliennes ont tué plus de 50 Palestiniens et en ont blessé près de 200.
Le lendemain, l’armée israélienne a émis des ordres de déplacement massif forcé dans la totalité du gouvernorat de Rafah, dans le sud. Des ordres de déplacement similaires ont été émis dans le nord de Gaza, à Gaza même et à l’est de Khan Younis.
Samir Zaqout, le directeur adjoint de l’organisation des droits humains Al Mezan, qui opère à Gaza, a déclaré que
« la fermeture permanente par Israël des passages et le blocage de l’aide humanitaire font empirer la situation à Gaza à un degré sans précédent – même comparé aux 17 mois écoules ».
Sans carburant, a ajouté Zaqout,
« les services essentiels comme les usines de désalinisation et les puits d’eau ont cessé de fonctionner, poussant les gens vers des niveaux de soif et de faim menaçant leur existence. L’ampleur des privations est sans aucune mesure avec tout ce que nous avons vu depuis le début du génocide en octobre 2023. Je condamne fermement l’incapacité incessante de la communauté internationale à entreprendre la moindre action sensée face au génocide en cours ».
Le ministère palestinien de la santé à Gaza a rapporté que les forces israéliennes avaient tué plus d’un millier de Palestiniens depuis la reprise de leurs attaques génocidaire à grande échelle, le 18 mars, et que des familles entières avaient été anéanties.
Le mercredi 2 avril, des attaques israéliennes ont tué au moins 77 Palestiniens, selon des sources médicales. Parmi les divers massacres, Israël a bombardé une clinique médicale des Nations unies au camp de réfugiés de Jabaliya, dans le nord de Gaza, tuant plus de 20 personnes, selon le bureau gouvernemental des médias à Gaza.
Le journaliste d’Al Jazeera, Anas al-Sharif, a interviewé une mère dont les enfants – y compris son bébé nouveau-né – ont été tués lors de la frappe aérienne.
Le fonds de l’ONU pour l’enfance, l’UNICEF, a déclaré cette semaine qu’une moyenne de 100 enfants palestiniens avaient été tués ou blessés chaque jour depuis la reprise des attaques israéliennes à grande échelle.
Des médecins à Gaza disent qu’ils ont passé les derniers jours à récupérer les nouveaux vêtements de la fête de l’Eid sur les enfants morts.
Une docteure urgentiste américaine, Razan al-Nahhas, a raconté ce qu’elle a vécu au Complexe médical Nasser à Khan Younis le 30 mars.
Des paramédicaux exécutés, puis jetés dans une fosse commune
La semaine dernière, nous avions parlé des travailleurs médicaux de la Société du Croissant-Rouge de Palestine et des secouristes de la défense civile palestinienne qui avaient été portés manquants le 23 mars.
Ils avaient disparu après que l’équipage d’une ambulance avait disparu dans une tentative de soigner des blessés à la suite d’une frappe aérienne à Rafah.
Des soldats israéliens avaient tiré sur la première ambulance, blessant les paramédicaux. Le Croissant-Rouge avait alors envoyé trois autres ambulances afin de retrouver et soigner leurs collègues et secourir ceux qui avaient été attaqués.
Mais tout contact avait été perdu et, pendant toute une semaine, les sauveteurs avaient été empêchés par les soldats israéliens de tenter de situer les paramédicaux.
Euro-Med Human Rights Monitor a expliqué que des ambulances et équipes de la défense civile supplémentaires avaient pu atteindre les lieux le vendredi 28 mars, suite à la coordination internationale.
Elles avaient découvert le directeur de la mission, l’officier de la défense civile Anwar Abdul Hamid al-Attar,
« mort, le corps déchiqueté. Les équipes de secours arrivés vendredi avaient également découvert tous les véhicules du Croissant-Rouge, des voitures de pompiers et des ambulances complètement réduits en métal carbonisé ».
Le 30 mars, une semaine après leur disparition, une fosse commune a été découverte contenant les corps de huit paramédicaux du Croissant-Rouge et de six secouristes de la défense civile, ainsi que celui d’un employé de l’agence de l’ONU pour les réfugiés de Palestine (UNRWA), a fait savoir la défense civile.
Un corps a été retrouvé les mains liées, selon le Croissant-Rouge, et les bulldozers israéliens avaient tenté d’enterrer les véhicules.
Le Dr Bashar Murad, directeur des programmes de santé du Croissant-Rouge, a expliqué au quotidien The Guardian que l’un des paramédicaux du convoi avait appelé ses collègues à la centrale des ambulances quand l’attaque s’était produite.
« Il nous a informés qu’il était blessé et qu’il avait besoin d’assistance, et qu’une autre personne était également blessée »,
a dit le Dr Murad.
« Quelques minutes plus tard, durant l’appel, nous avons entendu les bruits des soldats israéliens qui arrivaient sur les lieux et qui parlaient en hébreu. Dans la conversation, il était question de rassembler l’équipe, dans des phrases du type : ‘Rassemblez-les contre le mur et apportez des liens pour les attacher.’ Cela indiquait qu’un nombre important de membres du personnel médical étaient toujours en vie. »
Jonathan Whittall, de l’organisation de surveillance de l’ONU, l’OCHA, était sur place quand on avait découvert la fosse commune contenant les corps des secouristes.
Mahmoud Basal, le porte-parole du corps de la défense civile à Gaza, a déclaré que l’un des travailleurs médicaux « avait été dépouillé de ses vêtements et qu’un autre avait été décapité », et qu’ils avaient été exécutés à bout portant par les soldats israéliens.
Un membre de l’équipe de la défense civile impliqué dans l’effort en vue de retrouver les corps des victimes a expliqué dans une déclaration à Euro-Med Monitor que
« les corps avaient toujours les traits bien distincts, mais qu’ils en étaient aux premiers stades de la décomposition ».
Quand on les a examinés, le membre de la défense civile a dit :
« Il était évident qu’une pluie de balles les avait frappés. Selon mes observations, les blessures étaient situées à hauteur de la poitrine. Un examen plus minutieux a révélé que certains des hommes étaient toujours vivants malgré leurs blessures – apparemment, on les avait enterrés vivants, les pieds entravés. »
Un corps, a ajouté le sauveteur de la défense civile,
« était couvert de vilaines contusions et montrait des preuves de torture, et ses jambes semblaient liées. Après avoir été abattu d’une balle dans la nuque, on lui avait complètement déchiré le visage ».
Un autre sauveteur, a-t-il poursuivi,
« a été abattu d’une balle dans la tête à très courte distance, ce qui a provoqué l’éclatement du cerveau. Nous avons découvert que les balles qui avaient abattu chacun des employés du Croissant-Rouge palestinien les avaient touchés aux côtés gauche et droit de la tête ».
La défense civile à Gaza a mis en garde contre le fait que l’exécution de ces travailleurs médicaux
« visait à vider la bande de Gaza de tous services humanitaires et de secours. (…) Au vu de ces intentions dangereuses, la communauté internationale, l’Organisation internationale de la Défense civile et les organisations internationales des droits humains sont instamment invitées dès aujourd’hui à entreprendre des actions efficaces et non d’assister tout simplement à ces crimes israéliens, qui équivalent à des crimes de guerre et à un génocide ».
Un travailleur du Croissant-Rouge, un ambulancier appelé Assad al-Nassasra, est toujours considéré comme manquant.
Un mois de siège total
Les boulangeries à Gaza ont été forcées de fermer leurs portes en raison de l’intensification depuis un mois du blocus israélien et de l’actuelle fermeture de tous les passages.
Le Programme alimentaire mondial (WFP ou PAM) a déclaré qu’en raison du manque de farine et de carburant, l’ensemble des 25 boulangeries qu’il soutient sont hors service.
Jonathan Whittall, de l’organisation de surveillance de l’ONU, l’OCHA, a déclaré le 2 avril :
« La crise humanitaire est littéralement en train de devenir incontrôlable. »
« Le 1er avril, l’ensemble des 25 boulangeries subventionnées par le WFP ont été fermées et la survie des gens dépend d’un système d’aide qui, lui-même, est sous attaque, puisque des travailleurs humanitaires sont abattus et que notre travail est bloqué. Et pourtant on nous dit – et j’estime que c’est très difficile à entendre – que Gaza dispose de suffisamment de nourriture puisque des marchandises sont entrées tout au long d’un cessez-le-feu d’un mois, après une année durant laquelle les marchandises ont littéralement été livrées au compte-gouttes dans la bande de Gaza. »
Whittall a ajouté :
« Mes collègues me disent qu’ils veulent tout simplement mourir avec leurs familles. Leur pire crainte est de survivre seuls. Jour et nuit, nous entendons des frappes aériennes ébranler Gaza. Les bombes tombent sans arrêt. Les hôpitaux débordent de masses de victimes, y compris celui qui se trouve à un bloc d’ici. »
Whittall a déclaré :
« C’est une boucle sans fin de sang, de douleur et de mort. Et Gaza est devenue un piège mortel. Nous ne pouvons accepter – et, puisque nous sommes des humanitaires, je dois insister là-dessus – nous ne pouvons accepter que des civils palestiniens soient déshumanisés au point d’être en quelque sorte indignes de survivre. »
Et d’ajouter que l’exécution de travailleurs médicaux par les forces israéliennes et leur ensevelissement dans une fosse commune étaient
« emblématiques du point que nous avons atteint à Gaza. Ce qui se passe ici défie la décence. Cela défie l’humanité. Cela défie la loi. Il s’agit réellement d’une guerre sans limites. »
Un journaliste tué
Un autre journaliste a été tué à Gaza cette semaine. Le 1er avril, Muhammad Saleh al-Bardawil, qui travaillait pour Sawt al-Aqsa Radio, a été tué en compagnie de sa femme et de leurs trois enfants lors d’une frappe de l’aviation israélienne à Khan Younis.
Le bureau gouvernemental des médias de Gaza a déclaré qu’avec l’assassinat d’al-Bardawil, le nombre de journalistes et des travailleurs des médias palestiniens assassinés par Israël depuis octobre 2023 était de 209.
L’Institut Watson des Affaires internationales et publiques de l’Université Brown, qui gère le projet Costs of War (Coûts de la guerre), a déclaré cette semaine :
« Depuis le 7 octobre 2023, la guerre à Gaza a tué plus de journalistes que, mises ensemble, la guerre de Sécession américaine, les Première et Seconde Guerres mondiales, la guerre de Corée, la guerre du Vietnam (y compris les conflits au Cambodge et au Laos), les guerres de Yougoslavie des années 1990 et 2000, et la guerre en Afghanistan consécutive au 11 septembre. »
« C’est bien simple : Il n’y a jamais eu de pire conflit pour les journalistes. »
1 X avec graphique du nombre de journalistes et travailleurs des médias tués au cours de diverses guerres.
Mise en exergue de la résilience
Finalement, comme nous le faisons toujours, nous avons voulu partager des images de personnes qui expriment la joie, la détermination et la résilience en Palestine.
Le Projet Sameer, une organisation d’entraide locale de Gaza, a posté ce clip sur les cours artistiques proposés au camp de réfugiés Beach Camp et où l’on voit des enfants tout excités par leurs nouveaux cahiers. L’organisation explique que trois cours artistiques sont donnés chaque semaine par leur incroyable professeur, M. Anas.
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Publié le 4 avril 2025 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine