Tuer des enfants en Cisjordanie : une simple routine, pour Israël

En Cisjordanie occupée, Israël soumet les enfants palestiniens à une campagne systématique de nettoyage ethnique, prétend une organisation de défense des droits humains.

 

Tuer des enfants en Cisjordanie. Photo : Un enfant palestinien du village de Jinba, le surlendemain d'une attaque à grande échelle menée le 30 mars dernier par des colons et des soldats israéliens contre Masafer Yatta, dans le sud de la Cisjordanie. (Photo : Yahel Gazit / ActiveStills)

Un enfant palestinien du village de Jinba, le surlendemain d’une attaque à grande échelle menée le 30 mars dernier par des colons et des soldats israéliens contre Masafer Yatta, dans le sud de la Cisjordanie. (Photo : Yahel Gazit / ActiveStills)

 

Tamara Nassar, 9 avril 2025

Depuis le début de l’année, Israël a tué 20 enfants en Cisjordanie.

Dans le cas le plus récent – le dimanche 6 avril – des soldats israéliens ont abattu trois enfants palestiniens, dont deux de citoyenneté américaine – dans la ville de Turmusaya. L’un de ces trois enfants est décédé.

Le maire de la ville a déclaré que les trois garçons étaient en train de cueillir des amandes vertes dans un champ à proximité de la Route 60 – une artère importante utilisée par les colons israéliens et qui traverse la Cisjordanie.

Le Palestino-Américain Amer Rabee, 14 ans, a été tué par des balles israéliennes.

Des soldats israéliens ont abattu son ami Ayoub Jabar, 15 ans, lui aussi citoyen américain. Après l’attaque, il a été transféré dans une unité de soins intensifs. Leur ami Abdulrahman Shihada, 15 ans, a lui aussi été hospitalisé.

L’armée israélienne a qualifié les trois adolescents de « terroristes » dans un post sur X qui présente quelques secondes d’images passablement granuleuses censées montrer le moment où les trois ados ont été abattus. L’armée israélienne n’a même pas tenté de prétendre que les gosses avaient lancé autre chose que des pierres.

Les soldats israéliens

« ont identifié trois terroristes qui lançaient des pierres en direction de la grand-route, mettant ainsi en danger les véhicules civils qui passaient »,

a déclaré l’armée.

« Les soldats ont ouvert le feu en direction des terroristes qui mettaient en danger les civils, ils ont éliminé l’un des terroristes et en ont touché deux autres. »

La prise de vue de 10 secondes montre trois silhouettes près d’un champ, dont l’une semble lancer quelque chose.

Le père d’Amer a déclaré que « la vidéo n’était pas précise » et qu’elle ne contenait pas même une preuve que son fils ait lancé des pierres.

« Il y avait six balles, dans son corps, deux dans le cœur, deux dans l’épaule et deux dans le visage »,

a expliqué le père d’Amer à un journaliste de l’agence de presse française AFP.

 

La citoyenneté américaine n’offre aucune protection

Amer a grandi aux États-Unis et, enfant encore, il a déménagé en Cisjordanie occupée. Une fois terminé son cycle secondaire, il prévoyait de retourner aux États-Unis où vivent quatre de ses frères et sœurs.

The Washington Post a dit qu’il avait été enterré près d’Omar Qateen, un Palestino-Américain abattu et tué par la police israélienne en 2023. Qateen avait 27 ans.

De nombreux Palestino-Américains vivent dans la ville de Turmusaya. Mais leur citoyenneté américaine ne les protège pas des attaques, meurtres et empiétements israéliens sur leur terre, ni non plus des pogroms des colons.

« L’ambassade des EU ferme les yeux »,

a dit le père d’Amer à l’AFP.

« Bien des personnes présentes aux funérailles étaient des citoyens américains, mais les locaux ont également dit qu’ils étaient en colère contre le gouvernement américain qui fournissait des armes et son soutien politique à Israël dans ses tentatives de chasser les habitants de leurs foyers »,

a rapporté The Washington Post.

Le département d’État américain a apparemment accepté la version israélienne de l’homicide.

« Nous acceptons la déclaration initiale des FDI [l’armée israélienne] qui ont fait savoir que cet incident s’est produit au cours d’une opération antiterroriste et qu’Israël avait initié une enquête »,

a déclaré le département d’État à l’AFP.

Le département d’État n’a fait aucun autre commentaire, sans doute « par respect envers la vie privée de la famille ».

À maintes reprises, les administrations américaines ont détourné le regard, après le meurtre de citoyens américains par l’armée israélienne et ont accepté la version israélienne des faits sans mener leurs propres enquêtes – même dans les cas d’enfants, d’étudiants, d’activistes et de journalistes de haut niveau.

 

Touché à la poitrine

De même, ce mois-ci, l’armée israélienne a abattu et tué Omar Amer Zyoud, 16 ans, dans le nord de la Cisjordanie.

Un soldat israélien à bord d’un véhicule militaire lourdement blindé a abattu Omar à une distance d’environ 80 mètres le 2 avril, d’après Defense for Children International – Palestine (DCI-P).

Il était à proximité d’une école, près de l’entrée de la ville palestinienne de Silat al-Harithiya, au nord-ouest de Jénine. En compagnie d’autres jeunes, a-t-on prétendu, Omar jetait des pierres et des « engins explosifs » en direction de deux véhicules militaires.

L’organisation israélienne de défense des droits humains, B’Tselem, a rapporté récemment que

« ni des pierres ni des engins explosifs improvisés ne provoquaient des dégâts importants aux véhicules blindés servant à transporter les troupes ».

Omar a été touché à la poitrine par l’armée israélienne. Quand deux Palestiniens ont tenté de s’approcher de l’adolescent pour l’aider, lui et un autre enfants, les forces israéliennes leur ont également tiré dessus, les blessant tous deux.

« Les soldats israéliens continuent de cibler les enfants avec leurs moyens meurtriers et sans devoir rendre de comptes, pour la simple raison que les dirigeants mondiaux leur permettent d’agir sans devoir en supporter les conséquences »,

a déclaré Ayed Abu Eqtaish, directeur du programme de responsabilisation de DCI-P.

 

« Une routine »

Les meurtres d’enfants par Israël sont devenus « une routine » en Cisjordanie, a déclaré B’Tselem.

« Les enfants palestiniens dans le nord de la Cisjordanie occupée, et particulièrement à Jénine, subissent une campagne systématique de nettoyage ethnique de la part des forces israéliennes »,

a déclaré récemment DCI-P.

Cela fait partie de ce que B’Tselem appelle « la doctrine de Gaza » – la reproduction en Cisjordanie par l’armée des tactiques qu’elle a utilisées au cours du génocide de Gaza.

B’Tselem a cité les frappes aériennes, les déplacements massifs et les homicides gratuits comme des manifestations de cette « gazaïfication » de la Cisjordanie.

Mais un autre élément est apparu : la routine des meurtres d’enfants.

« Depuis le début de la guerre à Gaza, Israël a relâché ses restrictions concernant le recours à la force meurtrière en Cisjordanie, déployant une politique de tir ouvert de plus en plus meurtrière »,

a expliqué B’Tselem.

Le nombre d’enfants tués en Cisjordanie depuis le 7 octobre 2023 – plus de 190 – est maintes fois plus élevé que la moyenne annuelle au cours de la décennie précédente.

Les soldats sont encouragés par un relâchement de la politique permettant les tirs meurtriers dans des situations « réelles et immédiates » menaçant la vie, a déclaré B’Tselem.

Mais le niveau de ces menaces supposées est déterminé par les soldats sur le terrain, qui, rétroactivement, peuvent prétexter de l’existence d’un danger sans la moindre preuve ni aucun fondement dans la réalité. Cette approche a été approuvée à maintes reprises par les décisions des tribunaux israéliens.

« Dans certains cas, l’armée crée délibérément des situations dans lesquelles elle peut revendiquer une justification juridique de ses tirs »,

a ajouté B’Tselem.

« Se concentrer sur le moment exact où l’on va appuyer sur la détente permet à l’armée d’échapper à ses responsabilités, même lorsque des mineurs sont impliqués. »

Par exemple, les soldats pourraient tirer sur des Palestiniens avant même qu’ils jettent une pierre, mais plutôt au moment où ils sont supposés s’apprêter à le faire. Ceci serait censé « les prendre sur le fait » afin de tirer avec une présumée « justification juridique », au lieu d’essayer de les arrêter ou de les éloigner via des mesures non létales et d’empêcher ainsi le meurtre [d’un adolescent] », a ajouté B’Tselem.

Cette politique laxiste est également soutenue par le peu ou l’absence de responsabilisation à l’encontre des militaires qui tuent des enfants.

« La probabilité de voir un soldat israélien confronté à des poursuites pour avoir tué des Palestiniens est exactement de 0,4 pour 100 »,

a estimé l’organisation de contrôle israélienne Yesh Din en février dernier.

Les meurtres gratuits d’enfants par Israël en Cisjordanie constituent un symptôme de ses meurtres systématiques d’enfants à Gaza depuis le 7 octobre 2023.

Depuis le début de ce génocide, Israël a tué quelque 17 500 enfants à Gaza.

Cela équivaut à plus d’un enfant à chaque heure depuis près de 550 jours.

Il s’agit d’un « modus operandi indéniable » a déclaré dans le livestream de The Electronic Intifada Josh Rushing, le correspondant de Fault Lines récompensé récemment par un Emmy Award, à propos des homicides délibérés d’enfants à Gaza par Israël. Rushing parlait du nouveau documentaire de la chaîne Al Jazeera, « Kids Under Fire » (Enfants sous le feu), qui propose des témoignages de médecins étrangers qui ont soigné des enfants blessés dans la bande de Gaza.

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Publié le 9 avril 2025 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

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