Rafah « effacée » par les attaques israéliennes
Rafah a systématiquement été détruit et oblitéré, dans une scène qui reflète l’intention préméditée de l’occupation de vider la terre de son peuple et d’altérer ses caractéristiques géographiques et démographique.

Des secouristes tentent de délivrer des Palestiniens piégés sous les décombres après des frappes de l’aviation israélienne à Shujaiya (Gaza), le 9 avril. (Photo : Omar Ashtawy / APA images)
Nora Barrows-Friedman, 11 avril 2025
Le texte qui suit est un condensé des informations communiquées lors du livestream du 10 avril. Vous pouvez voir l’émission au complet ici.
Israël a perpétré des massacres dans tous les coins de la bande de Gaza alors que, ces six dernières semaines, il a fermé tous les passages – aux vivres, au carburant, aux médicaments, aux engins de construction et à toute autre marchandise essentielle – plongeant ainsi Gaza dans une autre crise profonde de famine et de santé.
On estime que plus de 390 000 personnes ont de nouveau été déplacées, d’après les Nations unies, et sans endroit sûr où aller.
Chaque jour, des dizaines de personnes sont tuées lors des attaques israéliennes. Le ministère palestinien de la santé à Gaza a déclaré que, dans les trois semaines qui ont suivi la rupture du cessez-le-feu par Israël, le 18 mars, Israël avait tué près de 1 500 Palestiniens.
Le journaliste d’Al Jazeera, Anas al-Sharif, a partagé cette vidéo des frappes de la « ceinture de feu » contre la ville de Gaza le 3 avril.
Notre contributeur Abubaker Abed a couvert les attaques de la semaine dernière contre Deir al-Balah, dans la partie centrale de Gaza, où son cousin et l’enfant de ce dernier ont été tués le 5 avril aux portes de l’hôpital des Martyrs d’Al-Aqsa.
La semaine dernière, l’armée israélienne a émis des ordres d’expulsion forcée à l’adresse des habitants de Deir al-Balah, en les menaçant de les attaquer s’ils ne s’en allaient pas.
L’armée israélienne a déclaré qu’entre le 8 et le 9 avril, elle avait effectué des attaques contre 45 « cibles » un peu partout à Gaza.
Mercredi 9 avril, Israël a attaqué le quartier de Shujaiya, à Gaza, détruisant des dizaines d’immeubles résidentiels et tuant des dizaines de Palestiniens.
Un témoin a raconté à Al Jazeera :
« Nous parlions dans la rue et, brusquement, nous avons été extrêmement choqués de voir les briques du bâtiment voler en tous sens – outre des mains et des pieds arrachés. »
Un autre survivant a déclaré :
« C’est un massacre dans le plein sens du terme. Je n’ai ni vu ni entendu parler d’un tel massacre depuis le début de la guerre. La plupart des martyrs sont des enfants et des civils sans défense. »
Mahmoud Basal, le porte-parole du corps de la défense civile de Gaza, a déclaré que des dizaines de personnes étaient portées manquantes et restaient bloquées sous les décombres.
Le journaliste d’Al Jazeera, Hani Mahmoud, a expliqué que l’armée israélienne,
« non seulement avait largué de nombreuses bombes, mais qu’il s’agissait également de ‘bombes de type tremblement de terre’, qui ébranlent les fondations mêmes des bâtiments tout proches, les détruisant pour la plupart. Des immeubles résidentiels entiers ont été transformés en ruines. Un nombre important de victimes sont arrivées à l’hôpital arabe Al Ahli à Gaza, mais ils se débattent contre la mort parce qu’il n’y a pas assez de soins médicaux disponibles en raison des pénuries de fournitures et de médecins ».
Mahmoud a expliqué que les équipes de la défense civile avaient dû interrompre leurs opérations de secours parce que des drones israéliens armés allaient et venaient au-dessus de leurs têtes.
Mercredi également, des frappes de l’aviation israélienne ont touché les tentes de familles déplacées dans la zone prétendument « sûre » d’al-Mawasi, tuant trois Palestiniens, dont un enfant.
Le 8 avril, Médecins sans frontières a dit que, dans une clinique d’al-Mawasi, ses équipes avaient accueilli neuf victimes après une frappe aérienne à 300 mètres du site. Deux étaient mortes à l’arrivée, dont un petit garçon de deux ans et les sept autres étaient blessées.
Le Dr Mohammad Shaath, un médecin urgentiste travaillant à la clinique, a déclaré : «
Honnêtement, je ne puis décrire la scène et les blessures. À l’estomac, à la tête, à la poitrine… L’horreur absolue. »
La veille, à al-Mawasi également, Israël avait bombardé une cuisine communautaire qui distribuait des repas aux familles déplacées.
Quatre enfants avaient été tués par la frappe aérienne.
Cette vidéo du journaliste Samer Abu Samra montre un homme portant le corps d’une petite fille qui avait revêtu la thobe traditionnelle palestinienne. Il dit :
« Regardez, ce sont tous des enfants, tous. »
Un autre homme dit que le personnel de la cuisine distribuait du riz et des lentilles aux enfants et qu’Israël les avait bombardés. Et un autre témoin dit que la fillette avait 5 ans et que le plus âgé des enfants tués avait 6 ans.
« C’est si mal , dit-il, rien au monde ne justifie qu’on tue des enfants. »
Rafah « balayée de la carte »
Dans le sud, le bureau gouvernemental des médias de Gaza a déclaré le 7 avril que Rafah était
« une ville que l’occupation israélienne avait balayée de la carte et transformée en un désastre humanitaire total ».
Le bureau des médias a déclaré qu’Israël avait transformé tout le gouvernorat de Rafah
« en une zone fermée d’opérations militaires, l’isolant complètement du reste de la bande de Gaza et le considérant comme une zone totalement rouge. Il continue de commettre d’horribles massacres contre les civils sans défense, provoquant la destruction systématique et totale des infrastructures, des installations vitales et des immeubles résidentiels, rendant ainsi la ville inhabitable ».
L’armée d’occupation, a ajouté le bureau des médias,
« a complètement détruit plus de 90 pour 100 des maisons du gouvernorat de Rafah, ce qui représente plus de 20 000 bâtiments contenant un total d’au moins 50 000 unités de logement. En outre, 22 des 24 puits d’eau ont été détruits, y compris le principal, le « puits du Canada » et les pompes de distribution, privant ainsi des dizaines de milliers de familles d’eau potable ».
Le gouvernorat isolé de Rafah n’a pas seulement été bombardé, « mais a systématiquement été détruit et oblitéré, dans une scène qui reflète l’intention préméditée de l’occupation de vider la terre de son peuple et d’altérer ses caractéristiques géographiques et démographiques », a déclaré le bureau.
Des médicaments à stock nul
Le ministère palestinien de la santé à Gaza a rapporté cette semaine qu’alors que les équipes médicales et les équipages d’ambulance continuaient d’opérer dans des conditions dangereuses pour l’existence afin de sauver des vies, 37 pour 100 des médicaments et 59 pour 100 des fournitures médicales étaient à stock nul.
Ceci comprend les médicaments pour les salles d’opération, les unités de soins intensifs et les départements des urgences qui ont été épuisés à des niveaux sans précédent, avec des pourcentages plus élevés de médicaments hyper-importants à stock nul, comme c’est le cas pour 54 pour 100 des médicaments pour le traitement du cancer, 40 pour 100 pour ceux des soins de première ligne et 51 pour 100 des médicaments destinés à la santé maternelle et à celle de l’enfant.
En outre, les destructions de l’équipement d’imagerie diagnostique ont sévèrement restreint l’accès des patients à ces services vitaux, alors que les pénuries de carburant menacent de fermeture les départements essentiels des hôpitaux qui s’appuient sur des générateurs, a ajouté le ministère de la santé.
Le fonds de l’ONU pour l’enfance, l’UNICEF, a mis en garde cette semaine en disant que l’actuel blocage par Israël de l’aide humanitaire était en train d’avoir de terribles conséquences pour un million d’enfants de la bande de Gaza et que sans vivres essentiels, sans médicaments, sans refuges et sans accès à l’eau potable, la malnutrition, les maladies et autres conditions évitables allaient vraisemblablement apparaître, ce qui allait déboucher sur une augmentation des morts d’enfants évitables en temps normal.
L’UNICEF a dit que les aliments complémentaires pour les enfants, qui sont très importants lorsque les stocks de vivres sont bas, étaient épuisés dans la partie centrale et dans le sud de la bande de Gaza.
Trois journalistes tués
Israël a assassiné trois journalistes cette semaine à Gaza.
Le 5 avril, Israël a bombardé la maison de la journaliste Islam Meqdad à Khan Younis, la tuant elle et son fils, Adam, en même temps que cinq autres membres de leur famille.
Helmi al-Faqawi, qui travaillait pour l’agence d’information Palestine Today, a été tué quand une frappe de l’aviation israélienne a ciblé une tente du média à l’extérieur de l’hôpital Nasser à Khan Younis le 7 avril. Un autre homme, Yousef al-Khazindar, a également été tué.
Le collègue d’Al-Faqawi, le journaliste Ahmed Mansour, a été englouti par les flammes alors que ses collègues tentaient désespérément de le sauver.
Mansour a été laissé dans un état critique avec des blessures mettant sa vie en danger et, mardi, il a succombé à ses blessures.
Un témoin de cette frappe aérienne a expliqué à Middle East Eye que les gens dans la tente
« avaient désespérément tenté de sauver Ahmed Mansour des flammes, mais qu’il n’y avait pas de ressources disponibles au moment où la mousse, le bois et le nylon de la tente prenaient feu très rapidement ».
Le bureau gouvernemental des médias de Gaza a déclaré que huit autres journalistes avaient été blessés dans l’attaque. En tout, 211 journalistes ont désormais été tués à Gaza depuis octobre 2023.
Euro-Med Human Rights Monitor a condamné l’escalade publique du massacre des journalistes.
La directrice du département juridique de l’organisation, Lima Bustani, a déclaré :
« Brûler vif un journaliste à Gaza ne va pas réduire la vérité au silence. Israël compte déjà sur une force bien plus grande : l’indifférence mondiale envers la vérité. »
Bustami a expliqué que le ciblage systématique par Israël des journalistes palestiniens adressait également un message dissuasif :
« Votre vérité ne veut rien dire. Nous pouvons vous tuer quand vous avez votre caméra en main et personne ne viendra vous sauver. »
Elle a ajouté que les crimes israéliens sur les journalistes palestiniens était
« une performance de pouvoir et une déclaration d’impunité dans l’action ».
Libération de l’enfant prisonnier Ahmad Manasra
Passant à la Cisjordanie occupée, Tamara Nassar, de The Electronic Intifada, écrit que, d’après l’organisation des droits humains Defense for Children International – Palestine (DCI-P), Israël y soumet les enfants palestiniens à une campagne de nettoyage ethnique systématique.
Depuis le début de l’année, Israël a tué 20 enfants en Cisjordanie.
Tout en anéantissant les droits des enfants à l’existence, les soldats israéliens tentent également de détruire leurs droits à l’enseignement.
Le 8 avril, des responsables israéliens accompagnés par la police ont investi six différentes écoles gérées par l’ONU à Jérusalem occupée et ont annoncé leur intention de les fermer dans les 30 jours.
Philippe Lazzarini, le directeur de l’UNRWA, l’agence de l’ONU pour les réfugiés de Palestine, a déclaré :
« Quelque 800 garçons et filles sont directement impactés par ces ordres de fermeture et sont susceptibles de ne pas être à même de terminer leur année scolaire. »
« Ces ordres illégaux de fermeture viennent à la suite de lois de la Knesset israélienne cherchant à court-circuiter les opérations de l’UNRWA », a
encore dit Lazzarini.
La correspondante d’Al Jazeera, Nour Odeh, a expliqué que la fermeture des écoles de l’UNRWA était « extrêmement problématique » du fait que, finalement, les enfants allaient sans doute se retrouver dans des institutions israéliennes gérées par la municipalité de Jérusalem.
Elle a expliqué que les enfants admis dans des écoles israéliennes ne seraient plus soumis au programme de cours palestinien, mais à un programme israélien qui oblitère et l’histoire et l’identité palestiniennes.
Entre-temps, les forces israéliennes étendent leurs attaques militaires à toute la Cisjordanie occupée et continuent de démolir des maisons à l’intérieur du camp de réfugiés de Jénine.
Mercredi, l’armée a également mené de lourds raids sur Naplouse et sur le camp de réfugiés de Balata.
L’agence d’information WAFA a rapporté que les forces d’occupation israéliennes avaient envahi le camp mercredi, dès les premières heures de l’aube, déployant des troupes en grands nombres à l’intérieur du camp tout en bloquant ses entrées.
C’est à la pointe du fusil que les soldats ont ordonné aux familles de quitter leurs maisons, après quoi ils les ont mises à sac.
Des paramédicaux du Croissant-Rouge de Palestine ont déclaré que, pendant l’invasion de Balata, six Palestiniens avaient été abattus et blessés par les soldats israéliens, quatre par balles réelles et deux par balles enrobées de caoutchouc. Un enfant a été touché au visage par une grenade de gaz lacrymogène et des dizaines d’autres souffrent d’avoir inhalé ces gaz.
Et, jeudi 10 avril, Ahmad Manasra, 23 ans, a été libéré des geôles israéliennes après y avoir passé dix ans et enduré ce que la Société des prisonniers palestiniens qualifie de torture physique et psychologique, y compris le confinement solitaire, et ce, depuis son arrestation en 2016.
L’armée israélienne a libéré Manasra très loin de la prison de Nafha où il était détenu, alors que sa famille attendait sa libération aux portes mêmes de la prison, a rapporté Al Jazeera.
Un résident bédouin de la région de Bir al-Saba a reconnu Manasra, a contacté sa famille et l’a informée de la libération de son fils.
Omar Karmi, de The Electronic Intifada, avait écrit en 2022 que le cas de Manasra
avait largement attiré l’attention du public en 2015 quand une vidéo divulguée de son interrogatoire avait été diffusée par des médias palestiniens ».
Manasra a passé les dix dernières années dans les prisons israéliennes et il a été maintenu en confinement solitaire au cours des cinq mois écoulés, ce qui a grandement détérioré son état de santé mental, a fait savoir l’avocat de sa famille.
La résilience à l’honneur
Finalement, selon notre habitude, nous avons voulu mettre en exergue les personnes qui exprimaient joie, détermination et résilience un peu partout en Palestine.
Afeef Nassouli, journaliste et bénévole auprès de l’organisation de solidarité médicale Glia, a posté ce clip de sa propre présence cette semaine sur la plage non loin de Khan Younis.
Il écrit :
« Je sais que vous êtes témoins des choses horribles qui arrivent à Gaza en ce moment précis et je suis content que des avocats partagent les images et les réalités du nord. Le bruit des frappes et des drones est une torture. Ces images sont pénibles à regarder du fait que c’est réellement ce qui arrive aux êtres humains qui se trouvent juste en dessous. »
« Mais Gaza est bien davantage que ce concours de démolition organisé par Israël et les Palestiniens sont bien autre chose encore que leurs souffrances en ce moment. J’ai le cœur gros d’en rajouter à la pléthore d’images qui transmettent la réalité du génocide parce que je ne veux pas passer tout mon temps ici à vous faire partager des images que vous avez déjà sous les yeux. »
« L’autre jour, je suis allé me promener sur la plage après avoir travaillé un peu à Khan Younis et j’ai voulu partager avec vous la résistance ultime : des gosses palestiniens qui s’amusent un peu, même au milieu des frappes, des drones et de la mort. Ils sont l’avenir de cette nation et leur santé et leur bonheur sont les formes les plus pures de résistance à ce meurtre de masse. »
Nassouli ajoute qu’un de ses collègues lui avait dit quelque chose qu’un grand nombre de personnes de Gaza expriment à propos de la plage :
« La plage (…) est le seul endroit que la guerre ne peut modifier ou nous voler. »
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Publié le 11 avril 2025 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine