Aucune entité n’a autant pillé l’art et la culture des Palestiniens que ne l’a fait – et continue de le faire – l’entité israélienne.
Elle a fermé et confisqué d’innombrables expositions de peinture et endommagé ou détruit de très nombreux tableaux ou représentations. Il suffit de chercher quelque peu, tout en gardant l’esprit ouvert, pour se rendre compte de cette évidence.
J’ai toujours espéré qu’au moins les Israéliens préserveraient ce dont ils s’emparaient ; je rêve de découvrir un entrepôt rempli de grandes peintures palestiniennes une fois que nous aurons libéré le pays et établi l’égalité. S’ils les ont détruites et brûlées comme ils l’ont fait avec d’autres expositions, ce serait très triste.
Où est le contenu des studios et ateliers de photographes et de peintres remplis d’œuvres soigneusement emballées et enfermées avant 1948, quand tout le monde essayait d’échapper à la terreur et pensait pouvoir rentrer quelques semaines plus tard ?
Naturellement, personne n’a été autorisé à rentrer et ces studios et ateliers ont tous été pillés, en espérant que leur contenu ait été dissimulé et non jeté au feu. Quand nous obtenons des passeports étrangers et que nous revenons finalement pour visiter nos demeures bien-aimées, nous les retrouvons vidées de tous nos biens précieux et complètement occupées par des étrangers.
Au moment même où je rédige cette lettre, je suis en Allemagne pour superviser l’impression de mon livre : « Dessiner le massacre de Kafr Qassem » et je me souviens d’une interview de l’artiste le plus en vue de cette localité, lequel a passé des années en prison en raison de son militantisme contre l’horrible massacre qui avait eu lieu en 1956 dans son village.
Il m’avait raconté que la police israélienne faisait souvent irruption sans prévenir dans sa maison qu’elle confisquait ses tableaux dépeignant le massacre. Il m’avait également raconté qu’une fois en prison, il n’avait plus osé faire de dessins du massacre, de sorte qu’il s’était mis à dessiner pour exprimer sa sympathie avec la lutte du Vietnam.
Ils avaient aussi confisqué toutes ces œuvres. Quand je lui avais dit qu’il devait retourner là-bas pour les réclamer, il m’avait répondu tant verbalement qu’avec le langage poignant de son corps qu’il ne retournerait jamais dans un endroit où il avait tant souffert.
Les œuvres d’art d’un prisonnier politique qui a vécu le massacre de Kafr Qassem et qui a dessiné par solidarité avec le Vietnam sont des documents inestimables de l’histoire palestinienne. Où sont donc toutes ces œuvres d’art volées par Israël ?
L’art, la culture, le journalisme, la littérature et la musique de la Palestine étaient bien vivants et florissants avant 1948, et ce, malgré les tentatives britanniques de les réprimer.
Mariam Said (1) a mis généreusement en exergue mes écrits sur l’art palestinien à Jérusalem avant qu’Israël n’occupât les terres palestiniennes en 1948. Il n’est nul besoin de répertorier les sources et les événements. Tout érudit sincère peut les découvrir.
Ce qui est intéressant, toutefois, dans le rapport de Mariam, c’est la façon dont la réalité a été inversée. Ce n’est pas une chose nouvelle pour nous, Palestiniens, puisque l’inversion majeure que nous vivons, c’est qu’on nous colle une étiquette de terroristes et qu’on nous traite en tant que tels alors qu’en fait, nous sommes les victimes du terrorisme israélien.
On se demande comment il se fait qu’un ou une artiste vole ses propres œuvres s’il ou elle les emporte pour échapper aux bombes, aux balles et aux gangs de terroristes.
Comment ce que les Palestiniens ont sauvegardé du gigantesque pillage perpétré par Israël des terres, des bâtiments, de l’art, des livres, des bijoux, des meubles, des entrepôts de marchandises peut-il être qualifié de « vol » et ce, dans le même temps que ce qu’ils ont « volé » est qualifié de « propriété israélienne » ?
Comment fait-on pour voler ce qui vous appartient ? Comment peut-on voler le produit de ses propres mains ?
Permettez-moi ici d’y aller de mon témoignage personnel.
Dans la maison de mon enfance en Palestine, que j’ai été forcée de quitter en 1948, il y avait des livres, des peintures à l’huile, de précieux tapis persans, des équipements modernes et des meubles.
Tout fut pillé, y compris la maison elle-même ainsi qu’un entrepôt rempli de voitures neuves Rover, de pneus Goodyear et de beaucoup d’autres choses que mon père avait importées.
Et ceci, sans faire état de ses autres propriétés à Jaffa, Haïfa et Jérusalem. Mon père n’avait hérité de rien de matériel. Il avait débuté dans la vie en vendant dans les rues de Jérusalem le pain que cuisait sa mère durant les années de famine de la Première Guerre mondiale. Tout ce qu’il a construit pour lui-même et sa famille a été pillé par Israël.
Nous continuerons à raconter notre histoire. Les Israéliens peuvent inverser la vérité et influencer profondément les médias, mais l’avenir sera à nous, puisque les gens sont de plus en plus nombreux à écouter ce que nous disons et à ne plus respecter les médias de masse. Ces derniers temps, mon discours sur la Palestine suscite l’approbation. Les gens n’accusent plus mais acquiescent plutôt en signe d’accord.
La nouvelle propagande israélienne reprend le vieux slogan éculé de la terre sans peuple pour un peuple [sans terre] – ce slogan est trop éculé pour qu’on le répète une fois de plus.
Aujourd’hui, ils le refourbissent en essayant de faire croire qu’Israël a toujours existé – une sorte d’éternité absolue du passé. Leurs inversions irrationnelles laissent d’abord les gens sans voix mais elles méritent toutefois un minimum d’attention.
Il vaut mieux être créatif en enrichissant notre propre culture ainsi que la culture internationale. Répondre à la propagande, c’est perdre du temps dans les limites de leur propre narration – des limites qui contredisent la créativité. Je souhaite qu’ils puissent sortir la tête des miasmes aveuglants de leur propre propagande et embrasser une cause égalitaire.
Le sous-titre de Guggenheim pour l’exposition que Mariam Said a si pertinemment décrite était « Art contemporain du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord ».
Dans un titre pareil, la Palestine est mise à l’écart et Israël la remplace. Les deux pièces de l’exposition réalisées par des artistes israéliens révèlent d’étranges limitations et intentions.
L’une parle de la souffrance des Juifs en Europe dans le contexte d’une exposition présentant surtout de l’art arabe ; alors que l’autre, l’évaluation, nous dit qu’Israël a toujours été là et que toutes les terres appartiennent en propre à Israël.
Autrement dit, l’une parle de la souffrance des Juifs alors que l’autre exploite cette souffrance pour justifier le pillage. En réaction à une telle formule, je me rangerais du côté des Juifs qui exigent que l’Étoile de David soit ôtée de leur drapeau.
J’ai fini par être persuadée que les philosophes de l’art occidentaux ne comprennent pas vraiment l’art arabe parce qu’ils sont toujours à la recherche de la profondeur et de la perspective et, plus récemment, des créations idéalistes, anthropologiques, généralement non visuelles du post-modernisme occidental.
Ils recherchent ces choses au sujet desquelles ils sont bien informés et cela les empêche de voir tout le reste. Ils reconnaissent rarement la profonde influence de l’art arabe sur l’art occidental – ou, pour le dire plus crûment, l’influence de l’art palestinien sur l’art de la Renaissance italienne, qu’ils perçoivent comme la base de l’art occidental.
L’un des grands monuments du brillant art islamique, le Dôme du Rocher à Jérusalem (691), a été d’une influence majeure et catalytique sur le Baptistère [Saint-Jean] de Florence (1059-1128).
En outre, la division de l’espace mural dans l’architecture islamique en segments géométriques en harmonie avec l’architecture elle-même a influencé la segmentation visuelle des cathédrales européennes.
L’art arabe et palestinien moderne et contemporain a été influencé par des sources internationales en provenance tant de l’Orient et de l’Occident que de leurs ancêtres dans la région.
C’est une attitude culturelle typiquement saine de notre époque. Le narcissisme national des siècles récents n’est plus approprié. Le problème est que les composantes orientales sont invisibles pour ceux qui sont incapables de percevoir la symétrie comme une imitation de la nature.
C’est vraiment trop décevant. Je pense parfois qu’ayant entraîné mon regard à la symétrie de l’art islamique, je suis plus facilement à même de percevoir les beaux rythmes de la nature que ceux qui n’ont pas bénéficié d’un tel apprentissage. Je tire de semblables bénéfices de l’étude visuelle de l’art asiatique, depuis l’Iran jusqu’au Japon.
Publié le 12 octobre 2016 sur Mondoweiss
Traduction : Jean-Marie Flémal
Samia Halaby est née à Jérusalem en 1936 et elle a grandi à Jaffa. Elle vit à New York depuis 1951 où elle est reconnue comme un peintre abstrait de premier plan et une experte influente sur l’art palestinien et arabe.
Elle travaille actuellement sur un livre de dessins qui documentent le massacre de Kfar Qasem, en 1956, lorsque 49 Palestiniens du village ont été assassinés par la police israélienne des frontières.
(1) Mariam C. Said est née et a grandi à Beyrouth (Liban). Elle vit à New-York. Elle fut l’épouse de grand intellectuel palestinien Edward W. Said (1935-2003)
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