En Cisjordanie, la colère bout et le camp de Jénine se mue en foyer de résistance

Les forces de sécurité palestiniennes ont peur d’entrer dans le camp de réfugiés de Jénine et se sont montrées incapables de contrôler la situation à mesure que la désillusion s’intensifie.

Les militaires israéliens empêchent une Palestinienne de passer lors d’un raid à Yabad, près de Jénine, en Cisjordanie occupée par Israël. (Photo : Mohamad Torokman / Reuters)

Par l’équipe d’Al Jazeera, 1er septembre 2021

Camp de réfugiés de Jénine, Cisjordanie occupée – Des groupes   armés de Palestiniens deviennent de plus en plus visibles à mesure que s’intensifient les frustrations provoquées par l’armée israélienne, la violence des colons et la direction palestinienne – dont l’autorité continue de faiblir.

Le ministre israélien de la Défense, Benny Gantz, a rencontré le président de l’Autorité palestinienne (AP), Mahmoud Abbas, à Ramallah, dimanche soir, pour la première rencontre au sommet entre les deux camps depuis dix ans.

L’une des principales questions venues sur le tapis a été la coordination sécuritaire, au vu de la détérioration de la situation sur ce plan en Cisjordanie occupée, où l’AP et les forces de sécurité israéliennes sont confrontées à une recrudescence de la résistance de la part des groupes palestiniens armés, accompagnée d’une multiplication d’échanges de coups de feu au fur et à mesure que la désillusion palestinienne au sujet du processus de paix atteint une profondeur de plus en plus abyssale.

Israël est déjà préoccupé à propos de sa frontière avec Gaza où cela chauffe de plus en plus après que le Hamas et d’autres groupes de résistance ont déclaré qu’ils envisageaient de multiplier les confrontations sous forme de lancements de ballons incendiaires et explosifs vers Israël, et ce, tant que le siège auquel l’enclave côtière est soumise depuis 14 ans n’aura pas cessé complètement.

Avec le soutien et les encouragements de Washington, la volte-face d’Israël – après avoir précédemment ignoré l’AP, et lui avoir coupé l’herbe sous le pied en refusant de lui céder les taxes qu’il avait collectées en son nom – vient au moment où les deux entités politiques comprennent qu’elles sont confrontées à un ennemi commun sous la forme de groupes de plus en plus confiants d’hommes armés palestiniens, répartis selon diverses factions politiques en Cisjordanie, et qui ne craignent absolument pas de leur faire face militairement.

Les forces de sécurité de l’AP ont peur d’entrer dans le camp de réfugiés de Jénine et elles ont se sont montrées incapables d’exercer le moindre contrôle du camp.

Des hommes des forces spéciales israéliennes y ont effectué un raid voici quelques semaines et ont arrêté un Palestinien qui était recherché mais, dans un échange de coups de feu qui a suivi entre des combattants de la résistance et les soldats, quatre Palestiniens ont été tués.

« Abattu d’une balle à l’arrière de la tête »

Saleh Ammar, 19 ans, était l’un des quatre Palestiniens tués par balles par les soldats israéliens, lesquels avaient prétendu par la suite qu’ils avaient été attaqués.

Toutefois, son père Ahmed Ammar a contesté la version israélienne des faits et prétend que les quatre hommes sont tombés dans une embuscade au moment où ils étaient descendus en rue pour se rendre compte des perturbations.

« Saleh a été abattu d’une balle à l’arrière de la tête et il est mort peu de temps après », a expliqué Ahmed Ammar à Al Jazeera.

« Notre voisin était en train de se faire arrêter et il y avait des soldats armés sur le toit d’un bâtiment tout proche ; ils ont ouvert le feu sur les jeunes gens dès qu’ils les ont aperçus et ce n’est qu’alors que nos gars ont riposté »,

a-t-il ajouté.

Quelle que soit la version correcte des faits, le camp de réfugiés de Jénine est devenu un foyer d’activité de la résistance et il déborde d’armes.

Précédemment déjà, Al Jazeera avait vu des dizaines d’hommes armés de plusieurs factions politiques différentes tirer dans la nuit avec des armes automatiques tout en promettant qu’ils allaient venger la mort de leurs camarades.

Un raid israélien en juin avait débouché sur un autre échange de coups de feu avec l’armée israélienne ; plusieurs membres de l’unité des renseignements militaires de l’AP avaient été tués ; l’armée israélienne avait ensuite prétendu qu’elle les avait confondus avec des tireurs venus du camp.

Lors de la Seconde Intifada palestinienne, le camp avait été presque complètement rasé en 2002 ; 23 soldats israéliens avaient été tués de même que plusieurs dizaines de combattants palestiniens, lors des heurts qui avaient éclaté après qu’un certain nombre de combattants-suicides originaires du camp avaient attaqué les Israéliens.

« Nous sommes tous unis »

L’AP a également dû s’employer pour soumettre le camp de réfugiés de Balata, à Naplouse, avec, dans le camp même, de nombreuses escarmouches entre les forces de sécurité de l’AP et les membres des Brigades des Martyrs d’Al-Aqsa, affiliés au Fatah.

La semaine dernière, le dernier échange de coups de feu a eu lieu après que les soldats israéliens ont envahi le camp.

Au cours du raid, Imad Khaled Saleh Hashash, 15 ans, a été abattu et tué par des soldats israéliens qui ont dit qu’il avait une pierre en main, alors que sa famille a prétendu qu’il tentait de filmer l’invasion des soldats à l’aide de son téléphone mobile.

Il y a deux jours, les forces de sécurité de l’AP se sont engagées dans un échange de coups de feu avec des tireurs dans la ville de Qabatiya, dans le nord de la Cisjordanie.  

Toutefois, l’AP n’est pas uniquement confrontée à une résistance de la part de tireurs associés à des factions de l’opposition, mais aussi de la part de groupes affiliés au Fatah, la faction dominante au sein de l’AP.

« Les combattants de la résistance dans notre camp proviennent du Fatah, du Hamas, du Djihad islamique et d’autres groupes – nous sommes tous unis »,

a expliqué Najah, la mère de Saleh, à Al Jazeera.  

Tout en pleurant la mort de leur fils et en étant furieux contre les circonstances de sa mort, qu’ils considèrent comme « une exécution », les parents de Saleh sont fiers de lui et ont foi dans le combat du camp pour la justice.

« Nous sommes tous palestiniens ; qu’importe le nombre de fois que les Israéliens lancent des raids dans le camp ou le nombre d’entre nous qu’ils tuent, nous riposterons »,

a ajouté Ahmed Ammar.

« La colère publique bat son plein »

L’armée israélienne doit également s’employer pour tenter de contrôler un soulèvement uni émanant de tout le spectre politique palestinien dans la ville de Beita, près de Naplouse, où les protestations palestiniennes contre l’expropriation par Israël de terres palestiniennes s’est traduite par des heurts quotidiens, des arrestations et la mort de sept Palestiniens au moment où, par défi, ils menaient une campagne de désobéissance civile.

« Nous protestons depuis plus de trois mois et nous continuerons à lutter jusqu’au dernier pour la restitution de notre terre »,

a expliqué à Al Jazeera le villageois Muhammad Khabeisa, qui a perdu une terre agricole dont s’est emparée la colonie illégale d’Evyatar.

Inquiet du militarisme croissant, le site d’information israélien Walla! News rapportait qu’un haut responsable de l’armée israélienne en Cisjordanie occupée avait prévenu que, si les forces de sécurité de l’Autorité palestinienne étaient incapables de gérer la situation, l’armée serait forcée de lancer une opération à grande échelle dans la région.

Le commentateur politique israélien Yohanan Tzoreff, de l’Institut des études sur la sécurité nationale à Tel-Aviv, a mis en garde contre la détérioration de la situation sécuritaire en Cisjordanie.

« Les manifestations de masse, les critiques virulentes et les conflits avec les appareils sécuritaires palestiniens – le statut de l’AP continue de faiblir et cela affecte la situation sécuritaire en Cisjordanie »,

a déclaré Tzoreff.

« La colère publique bat son plein, des expressions de défiance envers les institutions de l’AP se font entendre partout, les allégations de corruption au sein de l’AP, accompagnées de sarcasmes, se sont intensifiées et les heurts violents entre les clans se sont multipliés, dans le même temps que les forces de sécurité de l’AP ont peur d’intervenir. »  

« Le contrôle de la sécurité à Jénine s’est affaibli et l’activité des « gangs locaux armés » a récemment nécessité que les FDI (l’armée israélienne) entreprennent des actions dans la zone afin d’empêcher des ‘attentats terroristes’ »,

a encore ajouté Tzoreff.

Les commentateurs politiques palestiniens ont corroboré ces dires à propos de la fragilité de la situation en Cisjordanie.

Écrivant dans Quds News en ligne, Hassan Lafi a déclaré que Jénine, et tout particulièrement le camp de réfugiés, était une priorité première et une cible stratégique de l’armée israélienne dans son combat pour contrôler les camps aux innombrables ruelles.

Selon Lafi, les Israéliens ont compris que s’ils tardaient à s’occuper de Jénine, cela signifierait que le camp pourrait très bien devenir un modèle et inspirer toute la Cisjordanie.

Le commentateur Omar Ja’ara a ajouté que la Cisjordanie était devenue un véritable front semblable à Gaza et qu’Israël était bien conscient du danger imminent qui en émanait.  


Publié le 1er septembre 2021 sur Al Jazeera
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

Lisez également : Jénine : Israël craint une rébellion palestinienne armée

Print Friendly, PDF & Email

Vous aimerez aussi...