Le projet de Trump pour Gaza n’arrêtera pas la résistance, mais va l’intensifier
Un régime contrôlé depuis l’étranger, une oblitération technocratique et la suspension des dollars de la reconstruction ne pacifieront pas la résistance palestinienne – ils renforceront sa résolution, l’amèneront à restructurer ses tactiques et à étendre encore sa portée de frappe.

Trois visages du projet concernant Gaza – imposition, contrôle, refus. Un triptyque composé du pouvoir, de la provocation et de la résistance.
Rima Najjar, 30 décembre 2025
Remarque de l’autrice
Cet article ne cherche pas à décoder le théâtre diplomatique. Il le rejette. Il a été rédigé à partir d’une position de solidarité avec la résistance palestinienne et d’un engagement à vouloir nommer l’imposition coloniale sans recourir au moindre euphémisme.
Ouverture : refus et escalade, pas d’empire
L’initiative diplomatique en 20 points de Trump et de Netanyahou – promue comme un plan de restructuration de la gouvernance à Gaza et de redéfinition de la participation politique palestinienne – n’est ni un plan de paix ni une nouvelle stratégie impériale. C’est un projet recyclé en vue de la domination. Même Netanyahou n’est pas à l’aise – non parce que le plan est injuste, mais parce qu’il est trop flagrant, trop théâtral, trop exposé.
C’est la même architecture de contrôle, reconditionnée dans un jargon diplomatique. Je ne vais pas gâcher de l’espace à en exposer les dispositions ou à honorer les approbations creuses de l’Égypte, de la Jordanie et des EAU. Leurs déclarations ne sont pas des positions – c’est du bruit.
Ce qui importe, c’est la clarté idéologique du rejet. Des mouvements de résistance, tel Masar Badil, le Mouvement alternatif de la voie révolutionnaire palestinienne, y sont allés d’une dénonciation catégorique :
« Ceci n’est pas un plan de paix. C’est une imposition coloniale grimée en théâtre diplomatique. La proposition de Trump a pour but de liquider la résistance palestinienne, de légitimer l’agression israélienne et d’installer à Gaza un régime contrôlé depuis l’étranger. Nous le rejetons intégralement – non comme une négociation, mais comme une extension de la guerre. »
Voilà le point de départ. Non les détails du plan, mais son refus. De là, nous nous tournons vers l’ambivalence calculée de Netanyahou – puis vers la façon dont les choses vont se dérouler sur le terrain, en commençant par le Hamas et le paysage plus large de la résistance.
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L’attitude malaisée de Netanyahou : une ambivalence stratégique et une distanciation calculée
La position publique de Netanyahou consiste en un mélange d’approbation et d’inconfort calculé. Il a exprimé des « inquiétudes » à propos d’une gouvernance de transition et des risques qu’il y aurait de donner du pouvoir à des acteurs palestiniens non alignés. Mais cet inconfort est tactique et non idéologique. C’est une manœuvre – une réticence feinte à approfondir le contrôle tout en se protégeant soi-même des retours de flamme domestiques et en maintenant l’alignement sur les intérêts stratégiques américains.
Il n’est pas perturbé par la logique coloniale du plan. Il l’accueille très bien. La consolidation du contrôle étranger sur Gaza, la mise à l’écart de la résistance, le changement d’appellation de l’occupation en paix – voilà des résultats qu’il poursuit depuis des décennies.
Ce qui le perturbe, c’est la transparence du plan. Ses termes sont si visiblement biaisés – si effrontés en contournant la volonté d’agir palestinienne et en centralisant le pouvoir sous commandement américano-israélien – qu’ils risquent d’exposer les mécanismes de la domination généralement enveloppés dans un langage diplomatique.
Netanyahou veut le même résultat : une résistance pacifiée, une gouvernance contrôlée, une domination stratégique. Mais il préfère le voir arriver selon des moyens plus subtils – des négociations qui semblent équilibrées, un langage qui feint la neutralité, des processus qui lui permettent d’en nier la paternité : assurer des buts maximalistes tout en prétendant la modération.
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Sur le terrain : La résistance ne sera pas technocratisée
Pour les factions de la résistance – spécialement le Hamas et le Djihad islamique palestinien – ce plan n’a rien d’une ouverture diplomatique. C’est une provocation. Le Hamas peut « étudier » la proposition avancée en toute bonne foi, mais cette bonne foi est tactique. C’est un mécanisme à retardement, une façon d’évaluer l’effet de levier et de se préparer à l’escalade. Le Djihad islamique palestinien a déjà qualifié le plan de « recette pour faire sauter la région ». Et il a raison.
Ce qui vient est une réponse à double voie :
Un calibrage public : Le Hamas entend prononcer des déclarations d’ouverture conditionnelle en insistant sur la reconstruction et les échanges de prisonniers. Ce n’est pas un compromis : c’est de l’ambiguïté stratégique.
La résistance opérationnelle : Derrière les scènes, des réseaux vont se consolider. La surveillance va s’intensifier. Les tentatives en vue de fragmenter et de neutraliser le leadership idéologique seront accueillies par des contre-mesures.
L’emphase du plan sur la « gouvernance technocratique » n’est pas administrative – c’est un outil d’oblitération. Mais la résistance n’a rien d’un problème bureaucratique. C’est une réalité politique. Et elle ne sera pas absorbée à l’intérieur d’un régime contrôlé depuis l’étranger et qu’importe les dollars de la construction en suspens.
La résistance en Palestine n’a jamais été un dysfonctionnement qu’il fallait corriger. Elle est l’architecture de la survie en état de siège, l’infrastructure du refus bâtie au fil des générations. Depuis les fedayins des années 1950 et 1960 aux réseaux populaires de la Première Intifada et aux formations armées et politiques du Hamas et du Djihad islamique, la résistance s’est adaptée et s’est réaffirmée en réponse à toute tentative d’endiguement. La résistance n’est pas réactive. Elle est générative.
Ce plan n’absorbera pas la résistance. Il va la provoquer.
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Comment la résistance va se manifester
Une gouvernance dans l’ombre : Pendant que les technocrates s’installeront sous surveillance internationale, les factions de la résistance mettront en place des structures parallèles – des tribunaux non officiels, des réseaux éducatifs clandestins et des services sociaux qui contourneront le régime imposé. Ceci fait écho à la Première Intifada, quand les comités locaux remplaçaient le contrôle municipal israélien.La consolidation idéologique : La messagerie gagnera en précision. Les mouvements de résistance rejetteront le langage de la « stabilisation » et de la « déradicalisation » en tant qu’euphémismes coloniaux. L’éducation politique s’intensifiera, spécialement parmi les jeunes, afin d’inoculer les gens contre la cooptation technocratique.
Le retranchement armé : Les déclarations publiques peuvent pencher en faveur de la négociation mais les factions armées se prépareront à l’escalade. La clause de démilitarisation sera traitée non comme une condition, mais comme une provocation. Les réseaux de tunnels, le développement des roquettes et les tactiques asymétriques continueront – en silence, de façon stratégique.
Le martyre et la mémoire. Les archives de la résistance s’étofferont. Chaque arrestation, chaque démolition, chaque refus seront pris en compte et mythifiés. Le témoignage deviendra une arme. Les artefacts visuels et textuels circuleront – graffiti, vidéos cryptées, publications sous le manteau – pour réaffirmer la légitimité de la résistance à la gouvernance imposée.
Le recalibrage régional : La résistance ne restera pas confinée à Gaza. La Cisjordanie, les camps de réfugiés au Liban et en Jordanie et les communautés de la diaspora répondront . Attendez-vous à un futur de colère coordonnée, d’actions symboliques devant les ambassades et d’appels renouvelés au boycott, au désinvestissement et aux sanctions.
La mobilisation en Cisjordanie : Attendez-vous à des confrontations de plus en plus intenses à Jénine, Naplouse et Hébron. Des cellules armées se réorganiseront, des réseaux de jeunes émergeront de nouveau et aux incursions des colons répondront des représailles directes. La Cisjordanie ne sera pas une observatrice passive – elle sera un deuxième front.
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L’arc qui donne forme à tout cela
Ce n’est pas neuf. Le Mandat britannique a tenté d’installer des intermédiaires obéissants. Les accords d’Oslo ont tenté de bureaucratiser la résistance en en faisant l’Autorité palestinienne. Les accords d’Abraham ont tenté de normaliser la complicité régionale. Chaque fois, la résistance est réapparue – fragmentée, certes, mais plus en mesure de s’adapter.
Ce qui se passe maintenant, ce n’est pas la fin de la résistance. C’est un autre chapitre dans son évolution. Et il ne sera pas résolu par des technocrates, ni pacifié par des fonds de reconstruction. Parce que la résistance n’est pas un problème dans le système – c’est (le tribunal et) le jugement du système.
Le projet de Trump pour Gaza n’arrêtera pas la résistance. Il va l’intensifier. Et l’histoire enregistrera ce chapitre non pas comme une paix, mais comme une provocation.
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Publié le décembre sur le blog de Rima Najjar
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine