Alors que l’accent est mis sur les difficultés économiques causées par le blocus, maintenu par Israël dans de la bande de Gaza, il est facile pour beaucoup d’oublier le fait que 1,6 millions d’habitants de ce territoire subissent aussi un siège culturel.
Il est ironique de penser que beaucoup de débats internationaux ont souligné les droits et torts de boycotter culturellement Israël, dans le contexte d’une campagne BDS (boycott, désinvestissement et sanctions ) sans cesse grandissante.
Pendant des années, le Festival palestinien de littérature – PalFest – a tenté de briser le siège
PalFest a débuté en 2008 en Cisjordanie, et a essayé de venir à Gaza en 2009 avec un objectif clair : rassembler des écrivains internationaux et des écrivains palestiniens devant un public palestinien, à Gaza. Cependant, les forces d’occupation israéliennes ont refusé aux organisateurs l’entrée par le passage d’Erez dans le nord de la bande de Gaza. En 2010, les organisateurs de PalFest ont tenté, à nouveau, d’entrer à Gaza par le passage de Rafah – le long de la frontière commune entre la bande de Gaza et l’Egypte -, mais se sont également vu refuser l’entrée par le régime de l’ancien président égyptien Hosni Moubarak, qui a été déposé en février 2011.
Découragement non admis
Des universitaires, des intellectuels et des étudiants avaient suivi avec passion les nouvelles, quant à savoir si oui ou non, les auteurs invités par PalFest seraient autorisés à entrer dans la bande de Gaza cette année. Sans se laisser démonter par le refus décevant d’Israël, certains auteurs furent en mesure, l’an dernier, de participer par vidéo-conférence (voir la vidéo montrant le discours d’introduction de Haidar Eid en 2010) .
Le 5 mai de cette année, quelque 14 mois après la révolution égyptienne, nous étions enfin en mesure d’accueillir PalFest – et un groupe impressionnant d’écrivains, artistes, blogueurs et activistes sociaux – dans la bande de Gaza.
Ceci n’aurait guère été possible sans les soulèvements dans le monde arabe. Ce rassemblement montre qu’en dépit du fait que la cause palestinienne soit prise en otage par les dictatures depuis de nombreuses années, elle continue à rassembler les Arabes et contribue à favoriser la réémergence du panarabisme.
De haute lutte
Romancier égyptien et fondateur de PalFest, Ahdaf Soueif, a décrit, dans le quotidien indépendant al-Shorouk, les motivations du festival: « La société civile fait vivre la conscience du monde, voyager par mer et par air permet d’exprimer notre solidarité avec nos frères de Gaza … et le monde de se demander: Est-ce que la révolution égyptienne, le réveil de l’Egypte, vont changer les conditions dans lesquelles vit la Palestine » (Festival Palestinien de littérature, 2 mai 2012 [uniquement en arabe])
Et bien que PalFest soit enfin venu dans la bande de Gaza cette année, ce ne fut pas sans difficultés. Il est bien connu que le gouvernement égyptien a contribué au siège de Gaza par Israël. En dépit de la bureaucratie, des restrictions et des retards du ministère égyptien des Affaires étrangères pour délivrer des permis d’entrée aux 43 écrivains, les participants de PalFest étaient si déterminés qu’ils ont entrepris une campagne médiatique jusqu’à ce que les permis soient accordés.
Accueil joyeux mais différé
Le 5 mai à 14 heures, et après une préparation minutieuse à l’intérieur et l’extérieur de Gaza pour les événements à venir, six activistes BDS campaient du côté palestinien du passage de Rafah tandis que les invités étaient du côté égyptien.
Mais les heures passaient et le ciel commença à s’assombrir. Le producteur de PalFest, Omar Hamilton, appela. «Les choses vont très bien pour la plupart d’entre nous, mais il y a encore des problèmes avec les documents de certains participants! »»
Ce fut Alaa El Abed-Fattah, son épouse Manal et leur fils nouveau-né Khaled qui furent renvoyés, mais pas pour longtemps car ils ont rejoint le groupe le lendemain.
C’est seulement à 19 heures, que les youyous et les chants ont retenti là où se tenaient les hôtes quand on vit l’autobus approcher.
Panser les plaies, ne pas briser les jambes
« La culture, l’art et le monde universitaire contribuent directement à façonner la conscience collective et individuelle », a déclaré le Dr Haidar Eid, partenaire de PalFest à Gaza et professeur à l’Université al-Aqsa, lors d’une conférence de presse et d’une cérémonie d’accueil à Rafah, dès après que les invités aient traversé la frontière.
Eid, actif dans la Campagne palestinienne pour le boycott académique d’Israël (PACBI), a parlé du nombre grandissant des campagnes BDS dans le monde entier, qui visent à faire pression sur Israël pour qu’il mette fin à sa politique d’apartheid, de colonisation, d’ abus des droits de l’homme et de violations régulières du droit international.
La solidarité avec le peuple palestinien à travers la campagne BDS est une des principales formes de résistance non armée, at-il dit. « L’art n’est pas un miroir tendu à la réalité, mais un marteau avec lequel il la façonne, » a déclaré Eid, citant Bertolt Brecht.
Eid a également rappelé les mots du dernier ministre des Affaires étrangères de Moubarak, Ahmed Aboul Gheit, qui, un jour, fit la promesse de « briser les jambes » des Palestiniens, s’ils osaient « mettre en danger la sécurité nationale de l’Egypte ». Cette fois-ci, « nos frères et sœurs d’Egypte viennent baiser les pieds des enfants de Gaza, pour guérir leurs blessures, causées par le régime dictatorial » a dit Eid.
Littérature, poésie et musique
Au cours des quatre prochains jours suivants, les participants de PalFest ont sillonné la bande de Gaza, menant des ateliers d’écriture et de traduction, en coordination avec quatre universités et cinq écoles publiques. Lors d’un atelier d’écriture créative à l’Université de Gaza, par exemple, la romancière égyptienne et conférencière, Sahar El-Mougy, de l’Université du Caire, a partagé sa propre expérience littéraire avec les étudiants. De même, Ahdaf Soueif, Khaled El-Khameissy et Tariq Hamdan ont engagé d’intenses discussions avec les étudiants de l’Université Al-Aqsa.
Un concert public au Centre culturel Gaza Rashad al-Shawa de la ville de Gaza, a réunit des musiciens palestiniens et égyptiens. L’événement fut ouvert par le chanteur palestinien Muhammad Akeila chantant « Mawtini » (Ma patrie), et le groupe révolutionnaire égyptien Eskenderalla a joué « Ya Filastinia » (O, Palestiniens).
Le poète Amin Haddad a récité les paroles de son père, le poète Fouad Haddad, le doyen légendaire de la poésie égyptienne vernaculaire du 20e siècle:
Ensemencer la terre avec résistance
Disperser partout les semences
Où sont les ténèbres, cela apporte la lumière
Emprisonné, cela casse les murs
Soyez le premier …
Soyez le tout premier sang qui seul est honnête
Depuis les temps des maisons d’émigrants
Jusqu’au jour des maisons victorieuses
Ensemencer la terre avec résistance.
Joué avec une grande rigueur et sensibilité artistique, le concert s’est terminé par une chanson commune palestino-égyptienne. « Construisez vos palais sur nos champs et nos vergers, résultat des efforts de nos mains vaillantes », implorait cette chanson, chef-d’œuvre écrit par Ahmad Fouad Nigm et interprété par Sheikh Imam Issa dans les années 1970.
Soutenir le mouvement BDS
Pour la première fois, les organisateurs de PalFest ont clairement soutenu le mouvement BDS.
« PalFest a approuvé l’appel palestinien de 2004 pour le boycott universitaire et culturel d’Israël. PalFest 2012 s’oppose au siège de Gaza, il s’engage à revigorer les liens culturels entre les pays arabes, des liens qui ont été érodés depuis trop longtemps », déclaration du 29 avril (« Festival palestinien de littérature de 2012 « ) .
Ce soutien a été concrétisé au cours de PalFest par des rencontres entre organisateurs, écrivains et militants BDS de la bande de Gaza. Tous les débats ont souligné que BDS est un mouvement de droit, qui cherche à faire respecter les droits fondamentaux et universellement reconnus du peuple palestinien: mettre un terme à l’occupation militaire et à la colonisation; obtenir les pleins droits pour les Palestiniens citoyens d’Israël, et le respect des droits des réfugiés, y compris le droit au retour.
Les auteurs participant à PalFest ont souligné l’histoire de l’anti-normalisation dans le monde arabe et surtout en Égypte, comme ils ont promis de travailler à la campagne égyptienne pour le boycott culturel et académique d’Israël.
D’autres ont proposé des efforts pour mettre fin aux Qualifying Industrial Zones (QIZ), un accord économique et commercial que l’Egypte a signé avec Israël en 2004, dont le but avoué est de contourner le tabou arabe qui interdit de conduire ouvertement des affaires avec avec Israël.
Bouclage policier
Durant la dernière nuit de PalFest à Dar al-Basha, une maison historique de la ville de Gaza, le festival fut bouclé par la police – un incident pour lequel le chef de la police s’est ensuite excusé verbalement, même si aucune déclaration écrite n’a encore été publiée (« # PalFestGaza bouclé par la police, reçoit alors des excuses officielles, » communiqué de presse, PalFest du 10 mai 2012).
La répression n’a pas plombé l’enthousiasme. Les participants et le public sont partis ensemble pour l’hôtel Al-Qods, en scandant « nous allons continuer », ils ont veillé à ce que le festival se poursuive. Ce fut une nuit inoubliable de poésie, celle d’Amin Haddad, de Tariq Hamdan et de musique, du talentueux joueur d’oud, Hazem Chahine.
Entre lumière et obscurité
Dans la bande de Gaza, le seul souffle d’air frais que vous pouvez respirer, vient de la mer. En rentrant chez moi le dernier soir, et comme le taxi se déplaçait le long de la côte dans la nuit, on ne pouvait qu’être choqué de voir pour la première fois, la sinistre prison telle un projecteur brillant sur la mer, ou comme Omar Hamilton le précisa, « une ligne parfaitement immobile de lumières qui coupe court à l’horizon, efface la possibilité de l’inconnu. »
Sur terre, en revanche, tout Gaza se noyait dans un océan d’obscurité, avec des files d’attente de voitures et de motos pour obtenir du carburant et pouvoir fonctionner. Chaque fois que je suis venu au festival, jusqu’à aujourd’hui, les voitures attendaient dans une file interminable.
Le contraste est vraiment accablant. Assis à côté du chauffeur de taxi, un passager agité et tendu, a parlé avec colère du manque d’électricité et brusquement il s’est mis à déplorer la perte de son père et de leur maison durant l’hiver 2008-2009 de l’attaque d’Israël sur Gaza.
Il semblait traumatisé, ce n’est pas habituel, à ce moment de la nuit, d’entendre parler de l’Opération Plomb Durci. Il se rappelait d’un événement qui avait eu lieu, il y a trois ans, comme si c’était juste quelques heures auparavant.
C’était le rappel que le retour au rythme de vie habituel de Gaza après l’expérience inhabituelle et excitante de PalFest, est vraiment étrange et difficile. Néanmoins, les temps changent et le mouvement mondial BDS contribue à nous renforcer, nous et nos supporters, grâce à des choix moraux effectifs et pour mettre fin aux injustices que nous subissons.
C’est pourquoi PalFest à Gaza était si important. Face à tant d’obstacles, ce fut la célébration du pouvoir de la culture face à la culture du pouvoir.
Ayah Bashir a récemment obtenu une maîtrise en politique mondiale de la London School of Economies and Political Science (LSE). Elle est aussi diplômée en langue et littérature anglaises. Elle est actuellement membre du comité organisateur BDS basé à Gaza et coordonne également le PalFest à Gaza.
The Electronic Intifada, le 23 mai 2012
Traduction pour ce site : Annick Walachniewicz