L’assassinat de Ghassan Kanafani
Vous pourriez passer à côté. Si vous surfez parmi tous les blogs, sites et journaux en anglais qui traitent du Moyen-Orient, vous pourriez ne pas savoir que, dans le cyberespace qui entoure le monde, les Arabes célèbrent l’anniversaire de l’assassinat de Ghassan Kanafani par des terroristes israéliens à Beyrouth.
Il fut assassiné de sang-froid par un engin explosif qui tua également sa nièce. Les médias occidentaux avaient d’autres soucis : ils étaient occupés à suivre un très grotesque religieux sunnite à Sidon, dans l’espoir de gonfler la stature du personnage afin qu’il pût rivaliser avec Hassan Nasrallah.
Ghassan Kanafani n’a jamais porté d’arme à feu, bien qu’il eût été habilité à en porter une étant donné que ce furent le sionisme et ses armes qui s’emparèrent de son pays. Ghassan Kanafani était un écrivain, un artiste et un rêveur. Il était également un amoureux : ses lettres d’amour à Ghada Samman furent parmi les plus belles lettres d’amour qui se puissent lire – il est intéressant de savoir que Ghada n’exhiba que les lettres qu’il lui avait écrites, mais pas celles qu’elle lui avait adressées.
Kanafani était une figure majeure de la presse koweïtienne et libanaise et ses articles étaient publiés sous un pseudonyme dans le magazine al-Hawadith, entre autres. Kanafani était doué pour les médias et ses affiches politiques étaient parmi les meilleures du 20e siècle.
Les terroristes israéliens ont tué des dizaines de nos écrivains. érudits, hommes de science, poètes, artistes, outre également des dizaines de nos dirigeants et chefs. Israël a été un pionnier dans l’art et la pratique du terrorisme et on peut dire qu’il a été une réelle source d’inspiration pour al-Qaïda.
Si Ghassan Kanafani n’avait pas été palestinien, son histoire aurait fait l’objet de films, de pièces de théâtre et de romans. Au lieu de cela, les terroristes israéliens sont présentés comme des rêveurs et des gens humanitaires, alors que nos propres rêveurs et artistes sont décriés comme terroristes. Golda Meir, qui eut du sang de bien des enfants arabes sur les mains, est présentée dans la culture populaire américaine comme une sorte de grand-mère adorée aux penchants féministes – alors qu’en fait, elle n’était pas seulement une terroriste, mais aussi une ennemie du mouvement féministe.
Ghassan Kanafani représente toute la passion de la lutte palestinienne. Les terroristes israéliens sont menacés par chaque acte de défi des Palestiniens – que ce soit par les armes ou par les mots. En avril 1973, Ehud Barak dirigeait un commando de terroristes qui tua le poète palestinien Kamal Nasser, un autre homme qui n’avait jamais tenu une arme à feu en main. Mais les calculs israéliens sont faussés : ils tuent un Palestinien (ou un Arabe) après l’autre en présumant que sa mort tuerait le rêve ou éteindrait la flamme, ou mettrait un terme au projet. Les calculs israéliens sont si absurdes qu’ils semblent s’appuyer sur la notion que les mères palestiniennes ne peuvent plus mettre d’enfants au monde.
J’ai grandi en entendant des histoires à propos de Ghassan Kanafani. Il était un ami proche de mon oncle Naji, qui le connaissait du Mouvement des nationalistes arabes. Et, quand Kanafani fut assassiné, George Habash déclara : « Ils ont arraché la moitié de moi-même, avec lui. »
Pour l’une ou l’autre raison, je n’ai jamais rencontré Kanafani. Quand j’étais gosse, mon bus scolaire passait chaque jour en face des bureaux du magazine al-Hadaf. Là se trouvait le magazine révolutionnaire faisant vraiment œuvre de pionnier et qu’avait fondé Ghassan Kanafani. J’ai toujours quelques-uns de ses premiers numéros. Je les manipule avec soin en sachant qu’ils étaient dessinés, produits et rédigés par cet homme talentueux.
L’Occident ne sait rien de nos hommes de science, artistes ou écrivains. Ils ne connaissent que nos « terroristes ». Aux États-Unis, je demande souvent à des étudiants de l’université d’un peu partout s’ils ont déjà entendu parler de Bin Laden. Bien sûr, tous. Je leur demande alors de citer ne serait-ce qu’un seul poète, ou écrivain ou homme de science palestinien ou arabe. Aucun ne peut le faire (en Grande-Bretagne, l’expérience donne des résultats différents et les étudiants universitaires y ont certainement plus de connaissances).
Mahmoud Darwish ne reçut de couverture médiatique que lorsqu’il écrivait un poème qui offensa les Israéliens. Ce n’est qu’alors que le New York Times parla de lui et publia une traduction du poème « offensant ». Darwish demandait tout simplement aux envahisseurs de quitter ses terres.
Année après année, nous prouvons que nous n’avons pas oublié Ghassan Kanafani et que nous n’avons pas oublié ses assassins non plus. Année après année, nous regardons ses portraits et fixons ses yeux et savons que quelque chose d’énorme se passa lorsque Kanafani fut assassiné.
Année après année, nous relisons ses paroles et insistons sur la continuité du projet qu’il représentait. Habituellement, les Israéliens dissimulent leurs crimes de guerre et leurs massacres par des mensonges, des affabulations et des distorsions. Ils ont menti au monde et ont prétendu que Ghassan Kanafani écrivait ses romains et peignait ses affiches avec un fusil. N’empêche que sa plume et son pinceau s’avérèrent plus forts que l’arme israélienne qui l’assassina.
Article publié le 12 juillet 2012 par Angry Corner.
Traduction pour ce site : Jean-Marie Flémal
As’ad Abu Khalil, né le 16 mars 1960 à Tyr au Liban, est un professeur libano-américain de science politique à l’université d’État de Californie à Stanislaus et professeur associé à l’université de Californie à Berkeley.
Il est l’auteur du Dictionnaire historique du Liban (1998), Ben Laden, l’islam et la nouvelle ‘Guerre contre le terrorisme’ américaine (2002) et La bataille pour l’Arabie saoudite (2004). Il publie un blog sur « The Angry Arab News Service».