La Résistance palestinienne à l’action à Bruxelles
Le recours au spectacle pour illustrer l’occupation, la déportation et l’identité nationale fait depuis longtemps partie de la résistance culturelle populaire en Palestine.

Des enfants posent pour une photo en compagnie d’« Ahrar Palestine », acteur au Festival Résistance de Bruxelles, le 7 juin 2025. (Photo : RN)
Rima Najjar, 9 juin 2025
Au Moyen Âge, à une époque où la majeure partie de la population était illettrée et ne pouvait donc pas lire la Bible, les spectacles de théâtre – surtout ce qu’on appelait les « mystères » et les « miracles » – constituaient un moyen idéal pour enseigner des récits bibliques et inculquer des leçons morales. Ces pièces dramatisaient des histoires de la Bible, rendant ainsi des mystères divins accessibles et compréhensibles pour les petites gens. Elles étaient, pour ainsi dire, la bible en action.
Les mystères médiévaux me sont venus à l’esprit au moment où je regardais le spectacle théâtral d‘ Ahrar Palestine au Festival Résistance de Bruxelles, le 7 juin. Via un sketch bref qui illustrait la violence israélienne à l’égard des Palestiniens et la résistance en recourant à des acteurs « armés » en tenue de combat et le visage dissimulé sous un keffieh, Ahrar rendait l’histoire de la Palestine bien vivante et mémorable pour le public présent.
« Ahrar » (أحرار) signifie « gens libres » ou « libérateurs » en arabe. C’est un mot souvent utilisé dans des contextes politiques ou révolutionnaires.
Le recours au spectacle pour illustrer l’occupation, la déportation et l’identité nationale fait depuis longtemps partie de la résistance culturelle populaire en Palestine. Le Théâtre de la Liberté, au camp de réfugiés de Jénine, connu pour des pièces comme « Animal Farm » (« La ferme des animaux », adaptée pour critiquer l’occupation) et « The Siege » (à propos du siège de la basilique de la Nativité, à Bethléem, du 2 avril au 10 mai 2002), et pour ses formations d’acteurs dans la narration de la résistance, a été confronté à des défis significatifs, dont des arrestations, des perquisitions et l’assassinat de son cofondateur, Juliano Mer-Khamis, un acteur et metteur en scène palestinien qui avait une carte d’identité israélienne. (L’autre fondateur est Zakaria Zubeidi, ancien dirigeant de la Brigade des Martyrs d’Al-Aqsa, qui est devenu activiste.)
En 2022–2023, Mustafa Sheta (directeur de théâtre) et Jamal Abu Joas (acteur) ont été arrêtés et placés en détention administrative (autrement dit, emprisonnés sans accusation). Le théâtre continue de fonctionner (grâce aux tollés internationaux) mis il est placé sous de sévères restrictions.
Je mentionne les expériences du Théâtre de la Liberté (le plus en vue des trois théâtres de ce genre en Palestine occupée – les deux autres étant Al-Kasaba et Al-Harah) quelque peu en détail ici en raison des parallèles avec les expériences du Festival Résistance annuel à Bruxelles en terme de mélange d’art et de politique afin d’émanciper l’identité palestinienne et de diffuser le message de la résistance. Bien que l’un soit sous occupation en Palestine et l’autre en Europe, tous deux subissent la répression de la perfidie sioniste via des tactiques de répression similaires (culpabilité prétendue en raison d’une – fausse – association avec des organisations militantes palestiniennes – le Front populaire pour la libération de la Palestine, FPLP, dans ce cas) et tous deux ont besoin d’un soutien populaire pour se protéger d’Israël et de ses alliés.
La performance d’Ahrar Palestine place Bethléem a émancipé l’identité palestinienne des jeunes. Plusieurs d’entre eux ont insisté pour être photographiés en compagnie des acteurs qui jouaient les militants – et représentaient des combattants pour la liberté, et non des terroristes.

Se faire photographier en compagnie d’un combattant pour la liberté – Festival Résistance, Bruxelles, 7 juin 2025. (Photo : RN)
Dans l’un des débats du festival, Mohammad Khatib, le coordinateur pour l’UE du Réseau Samidoun de solidarité avec les prisonniers palestiniens, a insisté pour dire ceci :
« Nous organisons ce festival sans l’autorisation de la commune. C’est la troisième année que le bourgmestre refuse d’octroyer un permis au festival. Au lieu de cela, il le tolère en tant que ‘manifestation tolérée’.
Une « manifestation tolérée » est une zone grise juridique dans laquelle les autorités permettent qu’une manifestation ait lieu sans toutefois l’autoriser officiellement. Cela signifie que les organisateurs ne disposent pas des protections juridiques complètes d’un événement autorisé. Toutefois, la police ne dispersera pas la manifestation par la force sauf en cas de violence et de perturbations majeures. Les autorités peuvent imposer des limites strictes (par exemple, concernant l’emplacement, la durée ou des slogans du genre « Du fleuve à le mer, la Palestine sera libre »). Si des manifestants violent ces limites en s’écartant du parcours convenu, par exemple, la police peut intervenir. Au contraire des manifestations autorisées, celles qui ne sont que tolérées sont plus étroitement surveillées et comportent un risque d’intervention plus élevé si les choses dégénèrent. Et, puisqu’elle n’est pas officiellement autorisée, les organisateurs pourraient se voir infliger des amendes, voire des accusations en cas d’infraction aux lois.
Bruxelles utilise ce statut pour le Festival Résistance afin d’éviter des interdictions pures et simples, ce qui pourrait déclencher des réactions négatives. Aux yeux du bourgmestre, la résistance palestinienne implique l’approbation à l’« incitation à la violence contre Israël » et, politiquement, c’est peu recommandable, d’où le statut « toléré ». Pour les militants palestiniens, la résistance révolutionnaire est à la fois une stratégie pratique et un engagement idéologique à mettre un terme à l’occupation.
Khatib poursuit :
« (…) le bourgmestre ne peut nous interdire d’être présents dans nos espaces publics ; nous serons là à protester place Bethléem à chaque fin mai début juin (…) en tant que Samidoun, nous sommes attaqués, parce que nous luttons pour la résistance palestinienne. Nous le faisions déjà avant le 7 octobre et nous continuerons de le faire après le 7 octobre. Nous soutenons le droit du peuple palestinien à résister ; en tant qu’organisation, nous sommes non violents, mais nous ne dénonçons pas la résistance révolutionnaire du peuple ; nous sommes derrière elle ; nous la soutenons par tous les moyens à notre disposition, parce que cela fait partie de notre devoir. Nous sommes avec la résistance, mais nous savons aujourd’hui qu’il n’y a pas que Samidoun qui soutient la résistance ; des dizaines de milliers de personnes ont marché et ont scandé « libérez la Palestine du fleuve à la mer ».

Un t-shirt Samidoun avec le slogan « Résistance pour une Palestine libre » en vente au festival.
Un grand nombre des activités du Festival ont lieu place Bethléem. C’est une place publique située dans le quartier des Marolles de Bruxelles et qui revêt une importance culturelle et politique significative pour la communauté palestinienne locale, de même que pour les activistes et organisations qui défendent la Palestine.
La place a été officiellement rebaptisée « place Bethléem » en 1988, dans un geste de solidarité avec les Palestiniens, et en particulier ceux de Bethléem. Ce rebaptême coïncidait avec le fait que la Première Intifada reflétait les enseignements politiques de gauche et pro-palestiniens de Bruxelles à l’époque. Des organisations et politiciens sionistes ont critiqué le nom et le symbolisme de la place, mais elle continue d’être un rare exemple d’espace public européen explicitement dédié à la cause palestinienne, ce qui en fait un point central à la fois de célébration et de protestation.

Le tournoi de football Toufan Al-Aqsa au Festival Résistance le 7 juin. Les noms des équipes concurrentes sont : Leila Khaled, Jabalia, Mohammad Sinwar, Rafah, Mohammad El-Deif et Gaza Stars. (Photo : RJ)
Quand on déambule dans ce quartier de Bruxelles (les Marolles), il est facile de comprendre la classe ouvrière qui, historiquement, l’a habité. Dans l’environ, on trouve également des librairies de gauche, des centres sociaux et des espaces adaptés aux migrants qui s’alignent sur l’éthique de solidarité de la place.

Enfants dans le quartier des Marolles à Bruxelles. (Photo :
Ce dimanche (8 juin), les activistes propalestiniens impliqués dans le Festival Résistance ont reporté une discussion prévue sur la résistance révolutionnaire afin de rejoindre des centaines de personnes en colère qui manifestaient contre le meurtre par la police, le 2 juin, d’un jeune Moldave de 11 ans appelé Fabian, qui conduisait une trottinette électrique dans un parc, jusqu’au moment où un véhicule de la police l’avait pris en chasse et l’avait renversé, provoquant ainsi son décès. Les manifestants condamnaient les brutalités policières, le racisme systémique de la police belge et ils réclamaient justice pour Fabian.

Une participante de la manifestation « Justice pour Fabian », le 8 juin 2025. (Photo : RN)
Je me trouvais parmi les participants de la manifestation qui réclamait justice pour Fabian. À certain moment, un journaliste m’a approchée et m’a demandé pourquoi j’avais rallié la marche. Sans analyser les points de rencontre entre les violences policières en Europe, aux EU et la violence en Palestine, sans associer la brutalité de la police européenne aux systèmes mondiaux du racisme et du colonialisme, je lui ai simplement expliqué que j’étais à Bruxelles pour assister au Festival Résistance de la Palestine et que je défilais pour Fabian parce que la justice pour la Palestine, c’est la justice pour tout le monde.
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Rima Najjar est une Palestinienne dont la branche paternelle de la famille provient du village dépeuplé de force de Lifta, dans la périphérie occidentale de Jérusalem et dont la branche maternelle de la famille est originaire d’Ijzim, au sud de Haïfa. C’est une activiste, une chercheuse et une professeure retraitée de littérature anglaise, à l’Université Al-Quds, en Cisjordanie occupée.
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Publié le 9 juin 2025 sur le blog de Rima Najjar
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine