Bassem Tamimi : “La solution, c’est un seul État.”

Bassem Tamimi retrouve son épouse Neriman chez lui à Nabi Saleh, le 10 février 2013 (Photo Keren Manor/ Activestills.org)

Bassem Tamimi retrouve son épouse Neriman chez lui à Nabi Saleh, le 10 février 2013 (Photo Keren Manor/ Activestills.org)

Seuls les restes d’un gâteau à la crème sur la table de la cuisine et quelques drapeaux s’agitant sur le toit témoignent encore de l’ambiance de bonheur de la maison.

Toutefois, la joie provoquée par le retour de prison de Bassam Tamimi cette semaine a été considérablement refroidie par le chagrin résultant du décès de son beau-frère, Rushdi Tamimi.

Rushdi, 31 ans, est mort voici trois mois lorsque des soldats des Forces de défense israéliennes l’ont criblé de 80 balles sans la moindre justification, selon une enquête menée par la suite par les FDI,  (l’armée israélienne d’occupation – ndlr).

La première chose qu’a faite Bassam après sa libération a été de se rendre sur la tombe de Rushdi. Un cousin de Bassam, Mustafa Tamimi, a été tué voici plus d’un an, également par des balles des FDI. Et les soldats n’avaient pas hésité à tirer des grenades lacrymogènes lors de ses funérailles, auxquelles j’assistais.

La sœur de Bassam, Bassama, a été tuée voici 10 ans en se rendant au tribunal militaire de Ramallah, où Bassam allait être reconduit en détention préventive. On suppose qu’une interprète de l’armée lui avait fait dégringoler un escalier ; elle s’était brisé la nuque et était décédée, laissant derrière elle cinq petits enfants

Bassam et Nariman Tamimi avec leur fille Ahed, photographiés à Nabi Saleh. « L’avenir ne changera pas si nous continuons à penser selon les mêmes concepts du passé », déclare Bassam. (Photo : Alex Levac)

Bassam et Nariman Tamimi avec leur fille Ahed, photographiés à Nabi Saleh. « L’avenir ne changera pas si nous continuons à penser selon les mêmes concepts du passé », déclare Bassam. (Photo : Alex Levac)

 

Des photographies de ces trois proches sont visibles dans le living familial à Nabi Saleh, un village bien décidé qui a toujours participé à la révolte populaire palestinienne.

Bassam Tamimi, le chef de la révolte, a été relâché cette semaine après sa neuvième incarcération dans une prison israélienne. Son dernier séjour derrière les barreaux était dû à sa participation à une manifestation non violente en faveur du boycott des produits israéliens et qui s’était tenue à l’entrée du supermarché Rami Levi, dans le zoning industriel de Geva Binyamin, au sud-est de Ramallah.

Cette sentence de quatre mois peut s’ajouter aux quatre autres années que Tamimi a précédemment passées dans les prisons israéliennes. Sur une affiche où on peut lire « Libérez Bassam Tamimi », qu’on retrouve également sur l’un des murs du living, il n’y a pas de date. La femme de Bassam, Nariman, explique que l’absence de date a permis l’utilisation de l’affiche chaque fois que son mari avait été arrêté. Elle-même a été arrêtée à quatre reprises.

Depuis plusieurs années, Bassam, 45 ans, essaie de satisfaire aux conditions requises pour l’obtention d’une maîtrise en économie. Le problème, c’est que chaque fois qu’il réalise quelque progrès dans l’achèvement de ses tâches, il est arrêté et envoyé en prison. Cette fois, il est bien décidé pourtant à obtenir son diplôme.

Son village, dans le district de Ramallah, a entamé son combat en 2009, lors de l’anniversaire de la Première Intifada, 22 ans plus tôt. Tamimi et ses amis du village, de même que des activistes internationaux et israéliens, voulaient retourner à l’époque de la Première  Intifada, afin de protester contre l’éviction des villageois du puits de Nabi Saleh par les colons de la ,colonie toute proche de Halamish (anciennement appelée Neve Tzuf).

Depuis lors, cependant, Tamimi a modifié son profil. Alors qu’auparavant, il soutenait l’idée de « deux États pour deux nations », aujourd’hui, il lutte pour le concept d’un seul État s’étendant du Jourdain à la Méditerranée.

Cette semaine, au lendemain de sa libération de prison, Bassam a expliqué sa nouvelle conception du monde :

« La saisie du puits n’est qu’une manifestation du problème et non le problème lui-même. On peut dire la même chose des check-points, des colonies, du vol des terres palestiniennes et des arrestations. Le problème réel, c’est l’occupation. »

« Quand le village de Budros est parvenu à modifier le tracé de la clôture de séparation, ç’a été une victoire mineure. Le problème, c’est la clôture de séparation, pas son tracé. Le problème n’est pas les attaques des colons, mais plutôt les colonies elles-mêmes. Le problème, c’est l’occupation, pas ses diverses manifestations.

« Quand une représentante du consulat américain est venue en visite ici, peu de temps après le commencement de notre lutte », ajoute-t-il, « je le lui ai dit :

‘Admettons que vous soyez Wonder Woman et que, d’un simple signe de tête, vous puissiez faire disparaître Halamish. Cela résoudrait-il le problème ? Regardez tout simplement autour de vous, les colonies.  Nous croyons que notre sort ne réside pas dans l’occupation, mais dans la résistance. »

« Israël a tué la solution à deux États. C’est pourquoi nous devons adopter une nouvelle stratégie et trouver dans la société israélienne un nouveau partenaire pour cette stratégie.

Nous devons tuer l’occupation et le sentiment de séparation dans la conscience israélienne : La séparation des gens les uns des autres est une question de conscience. Nous ne devons jamais retourner vers ce schéma de pensée raté. L’avenir ne changera pas si nous continuons à penser avec les mêmes conceptions du passé.

La solution, c’est un seul État. Si nous croyons que nous avons droit à cette terre et que les Israéliens croient qu’ils sont ceux qui ont droit à cette terre, nous devons bâtir un nouveau modèle. Si chacun de nous deux croit que Dieu lui a donné cette terre, nous devons mettre l’histoire de côté et commencer à penser à l’avenir en termes différents».

« J’ai commencé à être actif dans le mouvement du Fatah, ce qui signifie que je soutenais ses idées », explique Bassam.

« À mes yeux, en tant que personne qui n’a jamais travaillé en Israël, l’Israélien était le soldat qui tire, le soldat qui se trouve au check-point, ou l’enquêteur en prison qui m’a fait perdre conscience durant dix jours et souffrir de paralysie partielle des membres en 1993 après avoir utilisé sa force physique considérable pour le secouer le corps en tous sens durant mon interrogatoire. À mes yeux, l’Israélienne, c’était la femme qui a tué ma sœur. Telle était l’image des Israéliens, à mes yeux, et elle m’a amené à haïr les Israéliens».

« Pourtant, quand nous avons entamé le soulèvement populaire, j’ai rencontré d’autres Israéliens, des gens qui croyaient que j’avais droit à cette terre, des gens qui étaient des partenaires et de véritables cousins. Ceci a renforcé ma conviction que nous pouvons apprendre à vivre ensemble. Cela ne me pose aucun problème de suggérer à Jonathan Pollack [l’un des dirigeants anarchistes opposés au mur de séparation] de construire sa maison sur mon toit.

Mais je ne puis tolérer l’idée que des colons se sont installés sur ma terre. Ma conscience a changé et elle m’a conduit à la solution à un État, ce qui signifie l’acceptation – et non le rejet – de l’autre. Dans le temps, je voulais toute cette terre, sans le moindre israélien. Aujourd’hui, j’accepte aussi les Israéliens. Si nous tous pouvons modifier notre conscience, nous pourrons créer un pays juste».

« C’est difficile, je sais », admet Bassam.

« Israël veut tuer cette idée aussi. Il veut construire un mur contre elle, ce qui signifie qu’ils ne veulent pas de nous. Ils en reviennent à la vieille idée de la terre désolée. Mais nous sommes ici et nous voulons poursuivre notre résistance. »

La fille de Tamimi écoute notre conversation. Ahed est une belle jeune fille blonde de 11 ans qui a fait ses débuts dans les médias du monde entier il y a quelques semaines, quand le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan l’a invitée à visiter la Turquie en compagnie de sa mère.

Un large et élégant album aux pages en papier chromé – un cadeau du gouvernement turc – dévoile des photos étonnantes de la visite d’Ahed et de sa mère, une visite qui a bénéficié d’une large couverture médiatique. De retour de Turquie, Ahed a raconté à son père que, lorsque Erdogan lui avait suggéré de l’accompagner au cours de sa visite d’un camp de réfugiés syriens, elle avait décliné l’offre, en disant au Premier ministre turc que son cœur éprouvait déjà suffisamment de tristesse.

Un cas unique

La dernière condamnation de Bassam Tamimi lui a été infligée après qu’il eut vu des policiers israéliens tenter d’arrêter sa femme Nariman lors de la manifestation de Rami Levi et qu’il se fut précipité afin de la libérer. Lors de son procès, le juge, le major Meir Vigisser, a écrit :

« L’accusé a participé à une manifestation déclarée illégale et il s’est battu avec l’inspecteur en chef [Benny] Malka dans une tentative de libérer sa femme. Dans ses actes, il s’est rendu coupable d’agression contre un policier. L’affaire que nous traitons ici est unique à bien des égards. (…) Il n’apparaît pas qu’il avait l’intention d’entrer en confrontation avec la police. Quelques secondes plus tôt, on l’avait vu qui se tenait aux côtés de sa femme et du chef inspecteur Malka et il s’avère qu’il était d’humeur détendue. »

Le tribunal militaire d’Ofer, en Cisjordanie, l’a condamné à quatre mois de prison, une amende de 5.000 NIS [Nouveaux Shekels = la monnaie israélienne] avec une suspension de peine qui sera toutefois supprimée s’il ose participer au « moindre défilé pour lequel aucune autorisation n’a été délivrée, ou au moindre rassemblement de plus de 50 personnes ».

J’ai demandé à Bassam ce qu’il avait gagné, au cours de son combat.

« L’occupation », a-t-il répondu, « est toujours là et elle est présente dans tous les aspects de notre existence, de sorte qu’on peut dire qu’on n’a rien obtenu de tangible. Cependant, par ailleurs, notre message a été entendu dans le monde entier.

Une partie de notre succès réside dans le fait que vous êtes venu aujourd’hui pour écouter ce que j’avais à dire. Et le fait que nos enfants aujourd’hui ont plus le courage de parler de leur sort. Et le fait que nous pouvons corriger l’image négative des Palestiniens dans tout un segment de la communauté internationale. Et le fait que des gens en Turquie ont vu Ahed et l’ont entendue parler.

Mais notre principale cible est la société israélienne et, là, nous avons très peu progressé. La société israélienne continue à pencher vers la droite et c’est la raison pour laquelle il est difficile de croire que nous nous rapprochons de quelque chose de substantiel. Israël nous repousse vers l’idée d’une lutte armée afin de répandre à nouveau le mensonge prétendant que nous sommes des terroristes. Et cela m’ennuie vraiment beaucoup.»

« J’ai également peur du plan de Naftali Bennett [le dirigeant de Habayit Hayehudi]. Il veut qu’Israël annexe toute la Zone C. » [*]

« Tout est interconnecté »

« Cela signifie l’apartheid », poursuit Tamimi.

« Tel est le plan d’Israël : bannir les Palestiniens de toute la Zone C. Par exemple, ma maison est située en Zone C et un ordre de démolition a été délivré à propos de ma maison. Oui, vous êtes ici en Zone C et vous pouvez vous sentir en sûreté puisque Israël est responsable de la sécurité. Certaines maisons de ce village sont en Zone C. La moitié de la maison de mon cousin est située en Zone B et l’autre moitié en Zone C. Treize ordres de démolition ont été délivrés à propos de maisons de ce village. J’ai un permis de bâtir, pour une partie de ma maison, qui émane du gouvernement jordanien. Il a été délivré en 1964.»

« Les Israéliens ont sorti un ordre de démolition pour 300 mètres carrés de ma maison, bien qu’elle n’en compte que 200. Peut-être pourrais-je emprunter 100 mètres carrés à Halamish. Bien qu’il soit possible qu’ils ne détruisent pas ma maison, ils se sont arrangés pour m’effrayer tellement que j’ai décidé de ne pas ajouter un autre étage.

En d’autres termes, quatre de mes enfants vont devoir aller s’installer dans les Zones A et B. Ceci, c’est le transfert en douceur de la population. C’est le génocide « doux », dans lequel personne n’est tué. La prochaine génération quittera la Zone C et seuls les plus vieux resteront. Peut-être recevront-ils des cartes d’identité israéliennes, mais ce sera l’apartheid.»

« Du fait qu’elle est en majeure partie sioniste, la gauche israélienne veut transformer la conscience palestinienne et l’adapter à la conscience israélienne de gauche. Elle n’est pas préparée à accepter notre droit à notre conscience. La gauche israélienne veut nous transformer. Elle veut rendre la vie plus aisée pour nous sous l’occupation, mais elle ne veut pas réellement mettre un terme à cette même occupation.

Après tout, depuis les débuts mêmes de l’époque d’Oslo, la superficie totale de terre que les Israéliens ont prise aux Palestiniens est cinq fois plus étendue que ce qu’ils ont pris avant Oslo. Cependant, quand je vois qui vient ici tous les vendredis afin de manifester avec nous et nous soutenir dans notre lutte, je crois que nous avons un partenaire dans notre désir de modifier la situation.

« La solution à deux États n’est pas juste. Les lieux saints juifs sont situés en Cisjordanie. Mes enfants aiment aller à la plage, qui est située en territoire israélien. J’aime me balader à Jaffa et à Acre, qui sont toutes deux situées en Israël.

La plupart de l’eau d’Israël se trouve en Cisjordanie. Une portion importante des revenus d’Israël vient du tourisme et une partie de l’économie palestinienne est habilitée à s’appuyer sur le tourisme.

Tout est interconnecté. Je ne veux dénier ces droits à personne. Je veux une solution pour chacun. Je sais que ce genre de chose n’a pas toujours vraiment fonctionné dans chaque endroit, mais le monde va vers l’élimination de toutes les frontières et vers l’union économique. »


[*] Conformément aux seconds accords d’Oslo [l’accord intérimaire sur la Cisjordanie et la bande de Gaza], signés par Israël et l’Organisation de libération de la Palestine en 1995, la Cisjordanie est divisée en trois sections : A, B et C. La Zone A, qui comprend la plupart des importants centres à population palestinienne, se trouve surtout sous le contrôle civil et sécuritaire de l’Autorité palestinienne (AP) ; la Zone B est principalement sous le contrôle civil de l’AP et sous le contrôle sécuritaire d’Israël ; et la Zone C est surtout sous le contrôle civil et sécuritaire d’Israël, bien que l’AP ait des compétences dans des questions civiles ne relevant pas de la terre.

Publié sur Haaretz le 17 février 2013.
Traduction pour ce site : JM Flémal

Gideon Levy est journaliste au quotidien israélien Haaretz.
Il a publié : Gaza, articles pour Haaretz, 2006-2009, La Fabrique, 2009

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